Où va l’Université sénégalaise ? Était notre cri de détresse en 2004. Une contribution publiée dans le quotidien Xalfadjri n° 3823 du 10/12/2004. Parce que la médiocrité des résultats de celle-ci nous semblait être le cadet des soucis des autorités. Quand bien même, moins de deux étudiants sur trois entrants à l’UCAD en même temps, en sortaient sans aucun diplôme.
Ce qui nous avait amené à la qualifier de « l’université garderie de bacheliers ». L’autre université, Gaston Berger, avec la posture « Harvardienne » de ses autorités et sa capacité d’accueil très limitée, était loin d’être à la hauteur de l’attente des autorités politiques et peut-être de certains sénégalais. Son crédo « excellentissime » mécontentait la tutelle plus qu’il ne l’agréait. Celle-ci défendait bec et ongle la nécessaire montée en puissance de ses effectifs. Ce qui n’était pas sans engendrer des tensions entre elle et la communauté universitaire de Saint-Louis. Il en a résulté, que l’actuel très (trop) ambitieux recteur ait complètement changé son orientation. Il est entrain de le faire monter vertigineusement en puissance ! Le nombre de ses unités de formation et de recherche a doublé en deux ans sans mûr érigé ou maître carré bâti supplémentaires. Autrement dit, l’Académie sénégalaise est dans l’impasse, le seul mode de développement qui vaille est celui de l’UCAD, le modèle Harvardien reste dans le domaine du rêve !
Au niveau des autres ordres d’enseignement, les résultats n’étaient pas meilleurs. Si on arrivait à scolariser les trois quarts de l’effectif de chaque classe d’âge (population de 7ans), on n’en conduisait qu’un enfant sur trois à l’obtention du Certificat de Fin d’Études Élémentaire (CFEE), un sur vingt au baccalauréat. Ce qui donne à l’arrivée : moins de 2% de diplômés d’université par génération (Jeunes ayant le même âge).
Il pourrait être utile de rappeler ici, que l’objectif actuel de la France est d’emmener 50% de chaque génération au niveau de la licence afin de rattraper son retard dans l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) qui est autour de 65% de diplômés du supérieur par génération! Quel gap !!
Mais les autorités chargées de l’enseignement annoncent d’autres résultats et tiennent à les confirmer « chiffres » à l’appui. Il va sans dire que cette stratégie de maquillage de données est dangereuse. Elle peut empêcher le Sénégal d’être compétitif dans le marché des valeurs scientifiques et handicaper toute sa jeunesse.
Dans cette situation, quitte à faire dans le quanti-fétichisme gouvernemental, il importe de ramener toutes les questions aux finalités de l’Ecole et de ne pas s’attarder sur des Objectifs du Millénaires Mal Définis (O2MD). A cette fin, la seule attitude utile consiste à bien examiner les données et voir si les objectifs scolaires sont atteints, si les élèves acquièrent les compétences attendues à la fin de chaque étape scolaire.
A) De bons et moins bons indicateurs de scolarisation
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On note ces temps-ci l’importance de la place des indicateurs statistiques dans la communication des autorités en charge de l’éducation. Il en va ainsi certainement parce que les bailleurs de fond ont manifesté leur intérêt pour cette pratique. Mais, en le faisant, nos responsables devraient aussi faciliter l’accès aux données qui permettent d’élaborer ces statistiques. L’Information publique doit être mise à la disposition des citoyens avant même qu’ils ne la sollicitent. Il est très frustrant de devoir écrire une demande de renseignements et attendre l’autorisation d’un chef de service (IA, IDEN, Division, etc.) pour en disposer. Cela dit, les chiffres officiels ne sont pas sans semer le doute dans l’esprit des évaluateurs de systèmes éducatifs. Le mode d’élaboration de ces indicateurs ainsi que leur interprétation heurtent leur conscience. Aussi, importe-t-il ici de les passer en revue.
-Taux d’admission(TA)
On mesure le niveau du développement de la scolarisation en déterminant la proportion scolarisée dans la population de 7 ans. Celle-ci étant impossible à avoir, fautes de données suffisantes, on utilise des outils statistiques pour son estimation. A cet effet, les services compétents de l’Etat sénégalais, comparent l’effectif total des élèves de CI (Cours d’Initiation), pouvant être âgés de 5 à 15 ans, à la population des enfants âgés de 7 ans. Et ils estiment que le nombre d’enfants à scolariser baisse annuellement de 1,04% depuis 2004. Deux « données » qui leur permettent de trouver 117,5%, indiquant un niveau de scolarisation plus que satisfaisant.
C’est l’effet combiné de ces deux biais qui anéantit la fiabilité de la valeur du taux d’admission brut officiel. Une surestimation du numérateur couplée avec une sous-estimation du dénominateur. En réalité, 32,68% des élèves dénombrés ne sont pas âgés de 7 ans. En plus, la population totale augmente de 2,5% annuellement, elle est caractérisée par sa jeunesse (données du dernier recensement). Car la fécondité n’y baisse pas et la mortalité des enfants y diminue.
On pourrait être tenté de corriger l’indicateur officiel en défalquant du nombre des effectifs de CI, le compte des enfants qui ne sont pas âgés de sept ans afin d’obtenir le taux net (84,92%). Mais alors, on ne prendrait pas en charge les membres du groupe qui seront scolarisés plus tard. Ce qui constituerait une sous estimation de la proportion recherchée.
De ce fait, le taux d’admission générationnelle, qui permet de corriger le taux net avec la prise en compte des retardataires, constitue la meilleure approximation possible. Sa valeur est autour de 88,42%. Ce qui signifie que le niveau du développement de la scolarisation au primaire n’est pas à 100% satisfaisant comme on le proclame.
-Taux brut de scolarisation (TBS)
On mesure le niveau de la demande de scolarisation élémentaire en déterminant la proportion scolarisée dans la population de 7 à 12 ans. Pour son estimation, les services de l’Etat rapportent l’effectif total des écoles élémentaires, comprenant 13,06% d’élèves en dehors de la tranche d’âge normale, à la population scolarisable. Et ils considèrent, là aussi, que la croissance annuelle de celle-ci entre 1999 et 2010 est quasi nulle( 0,395%). Ce qui leur permet de trouver un chiffre qui dépasse 93% (d’après le ministre de l’éducation), indiquant une couverture scolaire très satisfaisante.
Si ce compte s’avérait, il aurait été difficile d’expliquer le niveau élevé de la fréquentation des écoles coraniques dans le Baol et le Fouta, où des sales de classes se ferment faute d’élèves ! Il en va de même du nombre d’enfants vagabonds qu’on voit dans les villes !
Autrement dit, les deux indicateurs officiels qu’on vient de voir (TBS et TA) ont les mêmes défauts : numérateur gonflé, dénominateur réduit. En vérité, la proportion qu’on arrive à scolariser, parmi les enfants âgés de 7 à 12 ans, ne dépasserait pas 82,97%. Ce qui signifie que le niveau de demande de scolarisation élémentaire n’est pas satisfaisant à 93 % comme on le prétend.
– Taux d’achèvement (du programme !!)
Comme à chaque étape de l’Ecole correspond un niveau de compétence, le degré d’acquisition de celle-ci nous renseigne sur le rendement du système. Le taux d’achèvement, qui mesure la proportion d’enfants ayant terminé le cycle primaire avec les compétences requises, rends compte de l’efficacité du système éducatif. L’indicateur nommé ainsi par le gouvernement est obtenu en rapportant le nombre d’élèves arrivant au CM2 à la population sénégalaise de 12 ans. Ce qui, d’après le ministre de l’éducation, donne un chiffre de 73%, voulant dire que l’efficacité du système est très satisfaisante.
Si cela correspondait à la réalité, le Sénégal ne serait pas à un enfant certifié sur trois par génération. Ajoutons à cela, que les données de la dernière évaluation de la compétence des élèves sénégalais de CEI en lecture , ont permis de savoir que 52,1% des enfants sont incapables de comprendre une petite histoire écrite de cinquante mots. Près de 25% d’entre eux ne savent pas du tout lire. Seule 10% peuvent lire correctement. Or, à ce niveau la compétence fondamentale, qu’est la lecture, devrait être acquise. En outre, plus de la moitié des élèves sortent de CM1, avec un niveau médiocre en mathématiques et français . Ce qui veut dire que le taux d’achèvement au niveau élémentaire est loin d’avoir la valeur officiellement proclamée. Celle-ci aurait pu être valable, si la progression de l’élève était basée sur les décisions du Conseil de classe ou le relevé de notes. Ce qui n’est pas le cas. En effet, le nombre de ceux qui passent ou redoublent est en définitive fixé par l’administration (IDEN ou Ministre). Il serait intéressant d’ailleurs de voir comment un Ministre qui interdit le redoublement au niveau des classes d’acquisition (CI, CE1, CM1) et limite le maximum de redoublants à 10% dans les autres, peut-il considérer sérieusement une telle statistique ? On peut décider d’emmener le nombre d’élèves qu’on veut au CM2, mais pourrait-on leur donner les compétences attendues à ce niveau par arrêté ?!! Ce n’est pas en bafouant l’autorité des enseignants, seuls habilités à apprécier le niveau des élèves pour décider de leur passage au niveau supérieur, qu’on améliorera la qualité de l’éducation. Il est étonnant que les syndicats n’en fassent pas cas !!
D’ailleurs, ce sont les effets de cette destitution de l’autorité scientifique qui apparaissent dans l’extrême disparité de niveaux entre élèves d’un même groupe pédagogique. Ceux qui savent lire et calculer sont mis ensemble avec ceux qui n’y arrivent pas ; ceux qui sont bons en mathématiques ou français côtoient les médiocres. Ce qui fait que toutes les classes au Sénégal sont multigrades. Il faut savoir que cette pratique de promotion des élèves sans tenir compte de leurs fiches de notes, rendait très difficile le travail des enseignants de CM2. Ces derniers, pour avoir de bons résultats au concours d’entrée en sixième, travaillaient sans arrêt pour rectifier les lacunes des années précédentes et relever les niveaux de leurs élèves. Ce qui n’est plus le cas avec la suppression du Concours. Il n’y a plus de challenge pour eux. Tant pis pour les élèves qui arrivent en CM2 et continuent sans le niveau requis. Voilà pourquoi l’ouverture des portes de collèges à presque tous les élèves est inquiétante. On devrait d’abord déterminer les modalités d’accès à ce niveau. Même si l’obligation scolaire à dix ans est devenue une nécessité historique, il vaut mieux se donner les moyens d’emmener tous les enfants du pays au niveau scientifique du BFEM au moins. Sinon, on transforme cet objectif purement pédagogique en visées bailleurs de fonds.
Cela dit, il faut auparavant réduire la disparité des conditions de scolarisation.
– Ecole à deux vitesses
Il est connu que les enfants n’ont pas au départ les mêmes avantages en termes d’environnement familial ou social favorable pour une scolarisation sans difficulté. Mais, l’Ecole de la République est là pour réduire ces inégalités et égaliser les chances de réussite. Au Sénégal, qu’on le veuille ou non, elle fonctionne avec deux vitesses. Des CI de 32 élèves dans les écoles de Dakar Plateau y sont à côté de celles pleines à craquer à Hann Bel-Air : plus de 80 élèves par classe. Une répartition très inégalitaire des salles de classes fonctionnelles (au sens du Ministère de l’éducation), des salles informatiques, des enseignants professionnellement certifiés. Pour améliorer les résultats des établissements à environnement difficile, il urge, à défaut d’une discrimination positive, de rétablir l’équilibre. Là, les maires de communes d’arrondissement devraient jouer leur partition au lieu de gaspiller leurs maigres ressources dans les cérémonies télévisées de remise de prix.
Enfin, retenons qu’il y a danger quand des hommes d’état s’amusent avec des chiffres dans le domaine de l’éducation, et que les producteurs de données scientifiques les laissent faire. Ces derniers, quelque soit leur lieu de fonction, doivent garder l’autorité de publier eux-mêmes les résultats de leurs investigations sans préalable ou visa d’un quelconque supérieur. Sans cela, l’information scientifique pourrait être utilisée à d’autres fins que la révélation de la vérité. S’ils n’assument pas leur fonction d’éclaireurs d’opinion en toute indépendance, l’obscurantisme prospérera.
Dans le même sillage, il urge de rétablir l’autorité de l’enseignant afin qu’il retrouve sa prérogative comme seul décideur dans le domaine pédagogique. Il faut que les pouvoirs des inspecteurs ou autres supérieurs se limitent à encadrer et former. Personne ne devrait repêcher un élève à la place du conseil de classe.
Ajoutons que l’automaticité de passage d’une classe à une autre ou l’option zéro redoublement peut-être décidée. Mais, celle-ci s’accompagne toujours de politiques de mise à niveau des élèves faibles afin qu’ils puissent profiter de la suite de leur scolarité. Il ne sert à rien de bruler les étapes pédagogiques. Sans le respect de celles-ci, l’objectif « Éducation Pour Tous », qui est différent de celui de « la solarisation universelle », ne sera jamais atteint. En effet, il ne faut pas perdre de vue que ce projet de l’UNESCO, va au-delà d’une couverture scolaire complète. Il vise bel et bien une éducation réelle et réussie pour tous les enfants. Ce qui correspond aux programmes qu’on retrouve dans certains pays développés. En France, il s’intitule : « Pour la réussite de tous les élèves ». Aux États-Unis en 2002, après le rapport intitulé la Nation est en danger « The nation at risk », le Gouvernement de Georges W. Bush s’était fixé comme objectif scolaire à atteindre en 2012, (No Child left behind : NCLB) ; consistant à œuvrer pour qu’aucun élève ne soit plus en dessous du seuil minimum de connaissances en lecture et mathématiques. Vivement que nos hommes leur emboîtent les pas !!
Mamadou Youry SALL
Enseignant-Chercheur
UGB
http://www.sudonline.sn
12/10/2011
Dioumessy Moussa
M. Sall, vous avez peint avec précision ceux qui ternent l’éducation non seulement au Sénégal mais aussi en Afrique subsaharienne et suggéré des solutions pour y remédier.
Je suis désolé de vous annoncer que la situation de ma chère Guinée est encore plus grave.