FRANCE – Comment vivent les étudiants en France

Sont-ils les premières victimes de la crise ? Ou s'agit-il d'une population plutôt épargnée par les problèmes de fin de mois ? Sur les conditions de vie des étudiants, le diagnostic varie, selon les interlocuteurs, entre une vision très sombre -voire misérabiliste -et un relatif optimisme. Avec tous les stades intermédiaires.

Cette difficulté à appréhender le phénomène tient à plusieurs raisons. D'abord, les étudiants en tant que tels forment une catégorie sociale peu étudiée, que ce soit par l'Insee ou par le Cereq (Centre d'études et de recherches sur les qualifications). Résultat : les données statistiques manquent à leur sujet. Mais surtout, il s'agit d'un public très hétérogène. «  Les profils sociaux sont très divers selon les académies ou les institutions, note Camille Galap, président de l'université du Havre et qui dirige la commission vie étudiante à la CPU (Conférence des présidents d'université). De plus, avec les mêmes ressources, on vit plus ou moins bien ici ou là. Un boursier à Paris n'a pas les mêmes contraintes que son collègue au même échelon de bourse à Amiens ou au Havre. »

Disparités régionales

Autre facteur de disparités, l'action des collectivités locales. Certaines régions accordent ainsi des aides significatives à la mobilité internationale. A Compiègne ou en région Paca, les étudiants bénéficient du transport gratuit. La région Centre, de son côté, prête un ordinateur à tous les inscrits en master…

Enfin, une origine modeste n'est pas forcément synonyme de difficultés sociales. «  Nous avons une majorité d'étudiants de milieux peu favorisés. Beaucoup ont une bourse et habitent chez leurs parents. Ils n'ont pas de problème majeur, relève Evelyne Mandroux, assistante sociale au CROUS de Cergy-Pontoise. Alors que d'autres, qui ont des parents aisés, se retrouvent parfois en grande détresse par suite d'une rupture avec leur famille. »

« Les boursiers à l'échelon 6 [le plus élevé, NDLR] peuvent faire face à tous leurs frais et sont dans une situation plutôt satisfaisante, confirme Clotilde Marseault, chargée de mission à la CPU. Alors que les boursiers à l'échelon zéro ont besoin d'être aidés par leurs parents, dont les moyens sont pourtant limités. C'est souvent dans les catégories intermédiaires que les choses se compliquent. » Même pour les apprentis, réputés à l'aise puisque rémunérés, la situation devient tendue s'ils doivent payer deux loyers, dans le cas où leur entreprise d'accueil est éloignée de leur domicile.

Trois sur quatre travaillent

Quelques tendances fortes apparaissent cependant. Premier constat, une proportion très élevée d'étudiants (les trois quarts, selon l'Observatoire de la vie étudiante) exercent au moins un petit travail rémunéré. Là encore, les situations sont très diverses : cours particuliers ou baby-sitting, tutorat universitaire, travail nocturne à la caisse d'un supermarché, job d'été… Certains occupent même un poste à temps plein pour financer leur cursus.

A l'université de Cergy-Pontoise, par exemple, 12 % des étudiants sont salariés au moins à mi-temps. «  Au détriment de la réussite des études », s'indigne l'Unef. Sans doute faut-il nuancer : l'expérience de la vie professionnelle est, aux yeux de nombreux recruteurs, un plus dans un CV et une bonne préparation à l'insertion. Encore faut-il ne pas en abuser…

Deuxième tendance forte : le poids croissant du logement. Il s'agit du premier poste de dépense pour un étudiant -souvent 40 ou 50 % du budget. D'autant que les loyers ont flambé ces dernières années : en région parisienne, une chambre dans le privé coûte couramment 500 ou 600 euros par mois. Et les bourses n'ont pas suivi l'envolée. «  De plus, pour signer un bail, il faut disposer d'un minimum de ressources, avoir un garant… », remarque Hélène Thébault, directrice de la vie étudiante à Cergy-Pontoise. Ajouter encore le poste transports, qui peut atteindre 80 euros par mois, notamment en Ile-de-France.

Recul du pouvoir d'achat

La crise n'a rien arrangé. L'emploi se dégrade, le pouvoir d'achat des familles stagne : tout cela finit par rejaillir sur les étudiants. L'Unef estime que, depuis 2006, leurs dépenses obligatoires ont crû de 33 %, alors que les aides sociales n'ont progressé que de 13 %. Selon elle, le coût de la vie étudiante a augmenté de 4,1 % cette année – contre 2,1 % pour l'inflation. La Fage, elle, évalue à 2.657 euros le coût de la rentrée pour un étudiant francilien, et 2.266 euros pour un étudiant en province.

Tous les étudiants ne galèrent pas, certes. Mais beaucoup se retrouvent face à une situation tendue. Et quelques-uns affrontent de graves difficultés. Même le prix d'un ticket de resto U (3,05 euros cette année) peut poser problème. A Nantes ou à Tours, des « épiceries solidaires » dédiées aux étudiants ont même vu le jour…

Autre aspect souvent oublié, la santé. Les étudiants ont tendance à repousser (ou à négliger) les soins -notamment dentaires. Surtout, leur situation psychologique se dégrade, comme le montre une enquête récente de la mutuelle LMDE, qui réclame la création d'un plan santé des étudiants. «  Beaucoup de jeunes étudiants connaissent des difficultés d'adaptation à leur nouvelle vie. L'éloignement de la famille, un rythme de travail différent, la liberté, tout cela peut les déstabiliser », note Martine Rosenbacher, directrice de la médecine préventive à l'université de Nancy.

Les pouvoirs publics semblent avoir pris conscience de ces difficultés. Le dixième mois de bourse intégral, qui vient d'être accordé par le gouvernement, constitue une bouffée d'oxygène pour nombre d'étudiants. Le ministre de l'Enseignement supérieur, Laurent Wauquiez, vient aussi d'annoncer le lancement d'un « passeport logement étudiant », avec un fonds national qui financera les dépôts de garantie et pourra se porter caution. Un Fonds national d'aide d'urgence (FNAU) a également été créé il y a deux ans. Les collectivités locales se mobilisent aussi. Midi-Pyrénées annonce ainsi un « pass mutuelle » pour les étudiants. L'agglomération de Cergy leur propose un « pass culture » : moyennant 5 euros d'abonnement, ils ont accès à tous les spectacles pour 5 euros au maximum.

Reste un problème de fond : à vingt ou vingt-deux ans, beaucoup d'étudiants souhaiteraient ne plus dépendre financièrement de leurs parents. Ici ressurgit la vieille revendication de l'Unef d'une « allocation d'autonomie » pour tous les étudiants. Une revendication qui, dans le contexte actuel, a peu de chances d'être satisfaite…

JEAN-CLAUDE LEWANDOWSKI, Les Echos

Une interview de Louis Maurin (Observatoire des inégalités) et les chiffres de l'OVE et de la LMDE Lesechos.fr/formation

http://www.lesechos.fr

20/09/2011

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