BURKINA-FASO – BOURSES MAROCAINES : “L’attribution est tout sauf transparente”

Dans ce réquisitoire, l’ex-secrétaire général de l’Association des étudiants burkinabè au Maroc peint un tableau très peu reluisant des pratiques en cours dans l’attribution des bourses d’études. Aussi propose-t-il une série de mesures susceptibles d’assainir la situation.

"A l’heure où les Burkinabè manifestent leur désir ardent de voir se concrétiser la bonne gouvernance dans le cadre du fonctionnement de leurs institutions, le traitement des dossiers de certaines bourses par le CIOSPB flirte avec des pratiques moyenâgeuses. Il s’agit notamment des bourses du Maroc, de la Tunisie et de l’Algérie. Voici ce que j’entends souvent dans mon entourage : « Mon petit frère a eu le Bac D avec 15 de moyenne et n’a pas obtenu la bourse marocaine », « Moi j’ai eu 14,50 de moyenne au Bac D et je n’ai pas été retenu pour la bourse algérienne », etc. Ces affirmations sont légion. A côté de celles-ci, il y a l’histoire d’une de mes connaissances qui estime qu’au CIOSPB, la politique des deux poids, deux mesures est souvent mise en avant.

En effet, après avoir décroché sa maîtrise au Maroc avec mention "Bien" et obtenu une inscription dans une université française, il a régulièrement introduit sa candidature pour la bourse française. A l’époque son dossier n’avait pas été retenu par le CIOSPB mais le plus frustrant, disait-elle, était que certains de ses promotionnaires étaient parvenus à passer entre les mailles du filet avec des moyennes inférieures à 14. S’il est vrai que la formation pour laquelle elle était admise (à l’université technologique de Lille1) est délocalisée à Dakar dans un établissement privé, il n’en demeure pas moins que des étudiantes burkinabè inscrites dans une école privée au Maroc ont bénéficié de la bourse nationale.

Au cours de mon mandat en tant que secrétaire général de l’Association des étudiants burkinabè au Maroc (AEBM), je me suis énormément investi, tout comme mon prédécesseur d’ailleurs, pour qu’un étudiant qui a souvent été 1er de sa promotion puisse obtenir une bourse intermédiaire comme il en a droit au même titre que ses compatriotes non boursiers en 1re année mais ayant excellé au cours de leur cursus académique. Nos efforts n’ont jamais été récompensés. Toutefois, je vous rassure que l’intéressé est aujourd’hui Docteur en pharmacie.

"La liste officieuse"

Il y a aussi la question de la "liste officieuse". Je vous avoue que j’avais commencé à m’accommoder avec cette fameuse liste compte tenu de "son utilité" supposée. De quoi s’agit-il ? Ici, je vous parlerai de la liste officieuse des boursiers burkinabè du Maroc. J’ignore s’il en existe d’autres. Chaque année, les anciens étudiants burkinabè au Maroc accueillent une cinquantaine de nouveaux bacheliers boursiers de l’Etat burkinabè et du royaume du Maroc. Ce contingent peut être réparti en deux groupes : la liste officielle des admis dont les noms sont affichés au CIOSPB et qui est connue du commun des mortels, et une autre connue uniquement de « l’initié ». En fait, cette liste, composée généralement d’une vingtaine d’étudiants, n’est jamais publiée par le service des bourses.

Les bacheliers qui y figurent ont des moyennes généralement inférieures à la moyenne requise pour l’éligibilité à la bourse marocaine. J’ai appris par ouï-dire que nos devanciers au Maroc avaient projeté de se battre contre cette pratique en refusant d’accueillir tous les étudiants dont les noms ne figurent pas sur la liste officielle. Le projet en question n’a jamais abouti compte tenu des dommages collatéraux et autres victimes innocentes qui en pâtiraient en l’occurrence les nouveaux bacheliers. Certains anciens étudiants burkinabè au Maroc avaient trouvé quelque chose de positif en cette liste officieuse ! Ils tentaient de se convaincre que "c’est une corruption qui tue la corruption".

Autrement dit, comme "les gros bras" se servaient dans cette liste, il n’y a pas de raison qu’ils viennent s’attaquer à celle réservée à l’excellence et où les enfants du prolétariat peuvent se servir du moment où ils sont performants à l’école. Aujourd’hui, nous constatons non sans amertume que l’attribution de l’ensemble des bourses marocaines est tout sauf transparente. Pour une gestion équitable de ces bourses, j’ai un certain nombre de recommandations à formuler :

• Je plaide en faveur d’une transparence totale. Cette transparence équivaudrait d’abord à l’affichage des moyennes au Bac et en Terminale obtenues par les admis à ces bourses. Curieusement, pour les bourses françaises, les performances des candidats admis sont affichées au CIOSPB. En outre, pour que quelqu’un ne soit pas soupçonné de retenir dans un tiroir les dossiers qui gêneraient ceux de ses protégés, je plaide pour la remise d’un récépissé pour chaque dépôt de candidature.

• Les agents du CIOSPB n’acceptent pas qu’un bachelier postule pour chacune des trois bourses (cela aurait permis aux candidats de maximiser leur chance d’avoir une des bourses) sous prétexte qu’en le faisant, d’aucuns seraient admis pour les trois bourses et léseraient de facto leurs camarades puisque chaque candidat ne peut choisir qu’une bourse. Les deux autres bourses seraient perdues. A cette explication alambiquée, on peut légitimement opposer la solution banale des listes d’attentes. Les autorités en charge de l’Enseignement secondaire pourraient aussi centraliser sur un site web tous les résultats du Bac et les rendre accessibles aux nouveaux bacheliers et à leurs parents afin de leur donner une idée de la performance globale des élèves pour une année donnée. Ainsi, ils pourraient évaluer leur chance pour une bourse donnée (à titre d’exemple et pour ce qui est de cette année, il fallait pour le Bac D 14,50 pour être éligible à la bourse marocaine, 14 pour la bourse tunisienne et 13,50 pour la bourse algérienne). Le CIOSPB peut également négocier avec les institutions sœurs des pays qui offrent les bourses pour solutionner le problème ; les agents sont tout de même payés pour trouver, entre autres, des solutions à ce genre de problème. Sinon, activons la diplomatie.

Je vous invite à faire un tour au CIOSPB pour chercher des informations relatives à ces trois bourses. Vous verrez le flou qui y règne ; en effet, vous aurez droit à plusieurs informations contradictoires : d’abord celles publiées sur le site web à propos de ces trois bourses, qui datent de deux voire trois ans ; ensuite des affiches faites pêle-mêle (comportant toutes la mention "NOUVEAU" même si certaines sont trop vieilles pour la mériter) contredisant les informations disponibles sur le site web ; enfin des agents pas très accueillants donnent d’autres versions à dose homéopathique.

• Je propose que le CIOSPB s’occupe principalement de l’orientation et des bourses nationales, que les représentations diplomatiques des pays qui nous offrent les bourses réceptionnent les dossiers de candidature et les traitent en collaboration avec le CIOSPB tout comme le fait d’autres donateurs en l’occurrence la France pour ce qui est de la Bourse du gouvernement français. En offrant ces bourses, les pays amis (Algérie, Maroc, Tunisie,…), comme aiment les appeler nos autorités, visent d’une certaine façon à construire et consolider des valeurs telles que l’excellence, la méritocratie et à susciter l’émulation intellectuelle dans les classes de Terminale. Malheureusement, le processus d’attribution de ces bourses est flou. Pour le citoyen lambda, les Termes de référence (TDR) des bourses maghrébines en général et des bourses marocaines en particulier sont : favoritisme, passe-droit, corruption, …

Je pense très sincèrement qu’au lieu que les bourses octroyées par ces pays agissent en faveur des relations que ces pays entretiennent avec le nôtre, elles cristallisent la frustration de beaucoup de Burkinabè et ternissent l’image des donateurs. Ces pays gagneraient donc à assainir la gestion des processus d’attribution de ces bourses."

Un ancien secrétaire général de l’Association des étudiants burkinabè au Maroc

Le Pays

28/09/2011

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