Le ministre de l'Enseignement supérieur se serait bien passé de cet échange musclé avec les étudiants camerounais, sortant à peine d'autres combats…
Le ministre de l'Enseignement supérieur a convoqué mardi dernier à son cabinet les fonctionnaires tant des Finances que du Minesup qui interviennent dans le circuit de la gestion des bourses des étudiants camerounais hors du pays. Il avait l'air, selon des témoins, passablement irrité. Ayant constaté à la fois des écueils et les pesanteurs dans l'acheminement des bourses vers l'extérieur, Jacques Fame Ndongo a aussitôt instruit les intéressés à prendre des dispositions d'urgence, afin que la sérénité soit revienne, en commençant par les étudiants en souffrance en Chine, et dont le cas aura été le détonateur de la grogne estudiantine.
Avant cette ultime concertation, le Minesup avait auparavant fait cette mise au point à travers un communiqué : «Tout étudiant bénéficiaire ou non de l'assistance de l'Etat, doit respecter les lois de son pays d'accueil, et se garder de tout comportement susceptible de ternir l'image du Cameroun à l'étranger. Il devra également respecter l'inviolabilité des locaux diplomatiques.» Une réponse plutôt musclée, adressée par Jacques Fame Ndongo, aux étudiants camerounais qui, depuis la Chine, revendiquent le paiement de leurs arriérés de bourse qui s'élèvent à 288 millions de Fcfa. Depuis la semaine dernière, ces compatriotes de l'Empire du Milieu hurlent leur détresse au gouvernement qui, depuis 24 mois, fait la sourde oreille à leurs douloureux gémissements.
Une réaction du Minesup qui a rapidement été présentée comme un discours de sophiste teinté de marketing politique, d'où semblait davantage transparaître la langue de bois. Qui a donné le sentiment de servir des illusions aux infortunés de Chine qui, à l'image de leurs coreligionnaires de Tunisie, du Maroc, du Burkina Faso ou encore du Togo qui furent expulsés pour insolvabilité, voient leurs études perturbées à cause de la puissance inertielle d'un système, lui qui indiquait que «les engagements financiers relatifs à votre complément de bourse sont exécutés au même titre que toute autre dépense publique et soumis à la réglementation en la matière (notamment le respect des quotas mis à la disposition du Minesup et un traitement trimestriel des dossiers».
Pour qui connaît le fonctionnement de notre administration publique, le discours du Minesup paraît cohérent. Les démarches peuvent avoir été faites à son niveau, sans que les conséquences financières concrètes, qui ne dépendent pas toujours de lui, ne soient exécutées. Mais, intervenant quelques jours après la fameuse conférence publique sur les motions de soutien adressées par les enseignants d'université au président de la République, où le Minesup, arborant à l'occasion sa casquette de patron de la propagande du parti au pouvoir, a soufflé le chaud et le froid à l'amphi 700 de l'université de Yaoundé, comment ne pas penser dans le même temps qu'il fait du dilatoire, s'adonnant au sophisme dont il maitrise les arcanes pour gagner du temps ?
Chasse aux sorcières
Maitriser les arcanes ? C'est peu de le dire. A bientôt 61 ans (il les aura le 14 novembre prochain), Jacques Fame Ndongo fait partie du premier cercle ayant accompagné Paul Biya depuis son accession à la magistrature suprême en novembre 1982, alors qu'il venait d'hériter de la direction de ce qui s'appelait encore l'Ecole supérieure internationale de journalisme de Yaoundé (et qui allait devenir plus tard l'Essti puis l'Esstic), et surtout d'avoir cru en lui en multipliant les initiatives d'ouvrages collectifs, au moment où plusieurs autres acteurs politiques semblaient encore hésiter.
Près de 30 ans plus loin, il peut s'estimer heureux, d'avoir reçu un bon retour d'ascenseur, lui qui aura été tour à tour conseiller technique à la présidence de la République (en réalité conseiller en communication du président), recteur de l'université de Yaoundé 1, ministre de la Communication puis de l'Enseignement supérieur. Une carrière bien remplie en somme et qui justifie qu'il soulève souvent des tollés dans son accompagnement sans réserve de Paul Biya.
Comme au cours d'une réunion préparatoire au Comice agropastoral d'Ebolowa, en d'avril 2010, dans la salle des banquets de la Cnps d'Ebolowa, où Jacques Fame Ndongo affirma que toutes ces élites du sud étaient des créatures de Paul Biya. «Nous sommes tous des créatures ou des créations du président Paul Biya, c'est à lui que doit revenir toute la gloire dans tout ce que nous faisons. Personne d'entre nous n'est important, nous ne sommes que ses serviteurs, mieux, ses esclaves».
Il s'est rarement départi de cette posture, faisant le dos rond à toutes les critiques qui estiment qu'il exagère et, surtout, qu'il tient souvent rigueur, même indirectement, à ceux qui refusent de l'accompagner dans sa démarche. A l'amphi 700 le 29 avril dernier, il a cependant mis quiconque au défi d'indiquer un fait par lui posé qui traduirait quelque chasse aux sorcières. Un débat qui était l'épilogue d'un échange commencé à travers les médias de la presse écrite, et qui s'était prolongé au Hilton hôtel lors de la présentation du 4e tome de «Paul Biya : l'Appel du peuple», compilation de motions de soutiens publiée par les éditions Sopecam.
Et l'opinion commence également à le connaître. Lorsque l'argumentaire devient compliqué, il puise dans sa réserve de sémiologue pour se livrer à un show médiatico-académique. Au Yaoundé Hilton hôtel, pour ceux qui ont voulu tourner en dérision les motions de soutien, Fame Ndongo a dans un élan sophiste, servi un cours de rhétorique inspiré d'Aristote, dont «le processus syntagmatique obéit rigoureusement à l'organicité esthétique de l'art oratoire gréco-latin»…
Mais pour l'actuelle crise avec les étudiants camerounais de Chine, Jacques Fame Ndongo devra aller plus loin que les réunions avec ses collaborateurs, et plus haut que les grandes formules. Parce que dans ce jeu de ping-pong, le seul résultat attendu sera l'argent des étudiants.
Pierre Célestin Atangana
Source: http://www.quotidienmutations.info
13 mai 2011