"Le diplôme de référence dans le monde, c'est le doctorat américain, le PHd, pas les ingénieurs, formation sur laquelle s'appuyaient beaucoup les entreprises françaises. Or, nous sommes dans une économie de la connaissance; la compétition s'opère sur la capacité des entreprises à développer leur innovation et leur recherche." Martine Pretceille, directrice de l'Intelli'agence et professeur des universités (ex-Association Bernard Grégory), fondée en 1980 pour faciliter l'intégration professionnelle des docteurs, est formelle: "Ceux qui ont l'expertise pour travailler dans ce domaine, ce sont les docteurs y compris en sciences humaines et sociales. Le saut qualitatif sur le plan cognitif entre un master et un doctorat est incommensurable".
UN DIPLÔME RECONNU DANS LE MONDE ENTIER
Si la nouvelle physionomie des échanges mondiaux va dans le sens du doctorat, du côté économique les règles changent, mais lentement… 10% est ainsi l'un des chiffres clés d'une étude publiée en 2010 par le Centre d'analyse stratégique sur les docteurs et qui pointe le taux de chômage de ces derniers, pourtant dotés du plus haut grade universitaire. Certes, cette moyenne cache des disparités importantes selon les disciplines, les diplômés en chimie et en sciences humaines étant moins bien lotis que les cursus en informatique ou en sciences de l'ingénieur. Mais elle n'en demeure pas moins un signe, parmi d'autres, que les docteurs ne s'insèrent pas si bien que ça sur le marché de l'emploi.
Du côté de l'Intelli'agence on tient d'abord à souligner que "10% est un chiffre stable; il n'y a pas eu d'aggravation notamment pendant la crise". La raison? Martine Pretceille en voit plusieurs: "Le monde universitaire se préoccupait peu d'insertion professionnelle, contrairement aux grandes écoles, mettant l'accent sur la formation des esprits avant tout. Cela change car aujourd'hui l'université a l'obligation de former à des métiers et de se préoccuper de l'employabilité de ses étudiants. Si on forme des esprits, c'est pour qu'ils servent à la société".
Mais la question de l'emploi des doctorants n'en demeure pas moins pertinente. Du reste, à l'ANRT (Association nationale de la recherche et de la technologie), on ne cherche pas à l'esquiver. La réponse, elle, dépend du profil de l'étudiant et de sa motivation. "Pour s'engager dans un doctorat, il faut avoir de bonnes raisons et une idée claire quant à son projet professionnel, détaille Denis Randet, son délégué général. D'abord, si la recherche ne vous intéresse pas, autant ne pas s'engager dans trois ans d'études supplémentaires. En revanche, si on veut faire carrière dans la recherche publique – 54% des docteurs sont dans ce cas selon l'étude du Centre d'analyse stratégique -, la question ne se pose pas, il faut faire un doctorat même si la certitude d'être titularisé dans un laboratoire n'est pas acquise. Enfin, si on souhaite travailler dans le secteur privé, il faut savoir qu'on y fait rarement de la recherche tout au long de sa carrière."
L'ÉPINEUX PROBLÈME DU FINANCEMENT
Et si c'est l'entreprise qui vous attire, le dispositif Cifre (conventions industrielles de formation par la recherche) est fait pour vous. Géré par l'ANRT pour le compte de l'Etat, c'est l'un des outils à la disposition d'un doctorant pour financer ses recherches. Il repose en effet sur un partenariat entre le doctorant, une entreprise qui l'embauche, et un laboratoire. "Le doctorant devient alors un professionnel qui passe les trois premières années de sa carrière à préparer une thèse mais aussi à participer à la vie de l'entreprise, explique Denis Randet. Les deux tiers des docteurs Cifre sont engagés par des entreprises à l'issue de leur thèse, un tiers dans l'entreprise qui les employait, un tiers dans une autre. Le taux de soutenance est remarquablement élevé: 90%. Alors que tous doctorats confondus, le pourcentage d'abandon est élevé en France, pas loin de la moitié."
La question financière n'est donc en rien anodine dans le choix de faire un doctorat. Sur les 66000 jeunes gens à avoir opté pour cette voie, 65% sont du reste financés, essentiellement dans les filières scientifiques. Outre le dispositif Cifre, il existe d'autres sources tel le contrat doctoral, mis en place à la rentrée 2009, permettant à l'étudiant d'être salarié d'une université ou d'un laboratoire et de bénéficier d'un contrat de trois ans. Raphaël Royer est l'un de ses heureux élus et, à 24 ans, après un diplôme d'ingénieur, entame sa deuxième année de doctorat en ingénierie mécanique à l'université Bordeaux 1 en percevant un peu plus de 2000 euros par mois: "Je me suis engagé dans ce cursus car le diplôme d'ingénieur, s'il est reconnu en France, ne l'est pas à l'étranger contrairement à celui de docteur. Et puis j'avais envie de faire de la recherche. Le goût m'est venu lors d'un stage en entreprise effectué dans le cadre de mon école. J'y ai testé la recherche et ça m'a plu. Je conseille du reste à ceux qui seraient tentés par un doctorat de faire de même. J'ajouterai que je n'aurai pas fait de doctorat si je n'avais pas obtenu ce financement. Cela me permet de subvenir à mes besoins mais aussi de faire de la recherche sereinement."
Raphaël Royer est par ailleurs membre de l'association AquiDoc rassemblant les doctorants d'Aquitaine dont l'objectif est de faire la promotion de ces derniers auprès des entreprises via notamment un forum de recrutement. Et Raphaël de commenter: "Les entreprises s'intéressent de plus en plus aux docteurs. Notre côte monte, pas assez vite, mais elle monte".
DONNER DE LA VISIBILITÉ AUX DOCTORATS
Bonne nouvelle: les entreprises embauchent de plus en plus de doctorants pour faire de la recherche mais aussi pour occuper des postes à responsabilités hors recherche. Et pour convaincre encore un peu plus le monde économique, tous les acteurs s'y mettent. Il en va ainsi du Medef qui a mené une campagne avec l'Intelli'agence pour convaincre les employeurs de recruter plus de doctorants. "Les docteurs sont souvent considérés comme des “Géo trouvetout” par les recruteurs, avance Hugues-Arnaud Mayer, président de la commission innovation au Medef, également en charge des relations avec l'enseignement supérieur. Mais en multipliant les contacts et les partenariats, cette image est en train de changer. L'enjeu, c'est de préparer les docteurs à aller vers la création de valeur – mise au point de produits et de services permettant de créer des emplois – alors qu'ils se consacrent souvent uniquement à la création de savoir. En résumé, il faut associer les travaux de recherche à une finalité applicative."
Et l'un des outils pour y parvenir, c'est le Cifre, l'enjeu étant d'étendre son influence. "Les grands groupes savent repérer les sujets de recherche moins les PME ; il faut améliorer cette lisibilité: les docteurs représentent un vivier de compétences pour toutes les entreprises!", poursuit Hugues-Arnaud Mayer. Mais pour convaincre, les docteurs ont aussi des efforts à fournir pour se "vendre". C'est l'opinion de Vincent Mittoux, ingénieur conseil dans une PME et représentant des PME au sein de l'Intelli'agence: "Une thèse est bonne ou mauvaise selon la façon de la présenter. Un docteur qui ne souhaiterait travailler que sur un champ précis sans en sortir ne convaincra pas une entreprise. C'est différent s'il met en lumière ses compétences, sa méthodologie de travail, ses capacités à conceptualiser, son aisance avec l'écrit, sa pratique de l'anglais…"
INGÉNIEUR ET DOCTEUR
Pour accroître encore davantage l'employabilité et la visibilité des docteurs, les idées ne manquent pas. Christian Lerminiaux, président de l'Université de technologie de Troyes et premier vice-président de la Cdefi (Conférence des directeurs d'écoles françaises d'ingénieurs) prône ainsi la création d'un label spécifique qui sera délivré aux jeunes chercheurs ayant une double compétence: ingénieur et docteur. Une façon de valoriser ce type de profil auprès des entreprises mais aussi de convaincre les bac+5 de poursuivre en thèse.
De quoi satisfaire la directrice de l'Intelli'agence qui ne cache pas pour autant son inquiétude: "Pour moi la question "faut-il faire un doctorat" ne se pose pas. Si on n'investit pas ce diplôme, l'économie française finira par lâcher et ça serait par ailleurs une perte pour l'université et la société française. Nous n'allons quand même pas nous priver du diplôme le plus prestigieux, qui permet à ceux qui l'obtiennent d'avoir des évolutions de carrière en France et ailleurs bien plus intéressante, et aux entreprises de diversifier leur recrutement."
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Anne Dhoquois
www.lemonde.fr
30/03/2011