A l'Insead, à Harvard, à Chicago, de nouveaux doyens d'origine indienne arrivent aux commandes. Changements à prévoir.
Depuis le début du mois, l'Insead a un nouveau doyen : Dipak Jain, natif de Tezpur, en Inde. Il dirigeait auparavant Kellog, autre école de management de rang mondial, à Northwestern University. L'Insead n'est pas la seule dans ce cas. A Harvard, la plus prestigieuse « business school » au monde, c'est aussi un Indien, Nitin Nohria, qui est aux commandes depuis quelques mois. Idem à la très respectée Chicago Booth School of Business, l'une des plus cotées outre-Atlantique, où Sunil Kumar vient de prendre ses fonctions, en provenance de Stanford. Même chose encore à Washington University. Plus près de nous, à l'Essec, le patron du nouveau Global MBA, Ashok Som, est lui aussi originaire du pays de Gandhi.
« Une élite très bien formée »
Cette arrivée massive de managers d'origine indienne à la tête des meilleures « business schools » de la planète ne doit rien au hasard. Elle reflète la montée en puissance de ce pays dans la compétition mondiale de l'enseignement supérieur. L'Inde y dispose de deux atouts majeurs. D'abord, celui d'être un pays anglophone -ce qui l'aide à creuser l'écart, dans ce domaine, avec la Chine. Surtout, elle s'appuie sur un réseau d'institutions de très haut niveau, les Indian Institutes of Management (IIM). Ceux-ci, par bien des aspects, ressemblent aux grandes écoles françaises : petits effectifs (quelques centaines d'étudiants), sélection draconienne, enseignement de qualité, ouverture internationale.
Ces nouveaux doyens sont les produits de ce système élitiste – qui possède d'ailleurs son équivalent du côté des formations d'ingénieurs, avec les IIT (Indian Institutes of Technology). « L'Inde a énormément investi dans l'éducation, l'informatique et la high-tech, explique Ashok Som de l'Essec. Aujourd'hui, elle commence à en récolter les fruits. Nous avons une élite très bien formée. En outre, beaucoup d'entre nous ont étudié aux Etats-Unis. »
D'autres avancent une autre explication, plus prosaïque : selon le « Financial Times », nombre de professeurs des grandes « business schools » américaines répugnent à endosser la fonction de doyen, malgré un salaire estimé entre 500.000 et 750.000 dollars annuels. Dans cette période de bouleversements, le job serait « trop prenant » -et surtout, incompatible avec une activité de consultant, autrement plus lucrative. Ce qui laisserait le champ libre aux enseignants venus du sous-continent indien, moins gourmands…
Une nouvelle vision
Quoi qu'il en soit, cette nouvelle génération de doyens n'arrive pas les mains vides. S'ils sont parfaitement rompus au fonctionnement et aux exigences de l'enseignement supérieur et de la recherche globalisés, ils ont aussi des idées bien arrêtées sur la formation au management et des projets pour leurs institutions. « Nos écoles ont désormais la possibilité de façonner le monde, de contribuer à le rendre meilleur. L'enseignement du management doit intégrer l'impact de son action et notamment les aspects sociaux », estime ainsi Dipak Jain à l'Insead. La mondialisation, la pauvreté, la répartition des richesses, l'environnement : toutes ces questions qui se posent de nos jours avec acuité, ils les connaissent bien pour y avoir été confrontés dans leur pays d'origine, souvent même dans leur famille. Et ils ont bien l'intention de les prendre à bras-le-corps. « On ne peut pas rester à l'écart de la réalité que vivent les gens », clame ainsi Dipak Jain, qui travaille par exemple à la création d'une « business school » pour les femmes au Bangladesh et planche aussi sur un projet en Angola.
Un autre thème mobilise fortement ces doyens venus d'Inde : le comportement des élites. « Un certain nombre de dirigeants ont perdu leur crédit, dans une période récente, en cherchant à créer de la valeur pour eux-mêmes et non pour l'ensemble de la société. Cela doit changer et nous devons y contribuer, assène de son côté Nitin Nohria à Harvard. Nous devons aborder l'enseignement du management avec de nouvelles idées. Il y a maintenant un besoin général d'éthique et de responsabilité dans la conduite des affaires. »
Autant dire que, si certaines « business schools » ont parfois pu ressembler à des clubs pour fils et filles de famille, cette époque est probablement révolue avec ces nouveaux leaders. Leur arrivée annonce sans doute de grands changements sur les campus.
JEAN-CLAUDE LEWANDOWSKI, Les Echos
29/03/2011
Source: http://www.lesechos.fr