Après le bac, j'ai choisi d'entrer dans une prépa classique, au lycée François-Ier du Havre, raconte Paul Vigreux, actuellement en première année du cycle ingénieur à l'Université de technologie de Troyes (UTT). Assez vite, j'ai réalisé qu'il n'y avait pas suffisamment d'ouverture sur le monde du travail et sur les applications pour que je sois suffisamment motivé pour tenir deux années sur ce mode. Mes bons résultats m'ont permis d'intégrer la seconde année de classe prépa intégrée de l'Insa de Rennes. Mais là, il n'y avait pas de contrôle continu, je n'arrivais pas à trouver mes marques. Et finalement, l'année suivante, j'ai repris une seconde année à l'UTT, où j'ai trouvé un juste milieu qui me convient mieux."
Pas évident pour un lycéen de faire son choix parmi les quelque 200 écoles d'ingénieurs françaises habilitées par la CTI (Commission des titres d'ingénieur), qui se caractérisent par leur diversité, en termes d'admission, de pédagogie et de spécialisation. Un bon tiers dépend des universités auxquelles elles sont rattachées, les autres sont sous la tutelle de différents autres ministères et, pour une petite part, privées.
PRÉPA : LA VOIE ROYALE
La voie royale, celle qui donne accès aux écoles les plus prestigieuses comme Polytechnique, Centrale Paris, les Arts et Métiers ParisTech ou l'Ecole des ponts ParisTech, passe par les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE), qui se déroulent sur deux années. Si elle est encore majoritaire parmi les 700000 ingénieurs français, la proportion issue de classes préparatoires est en baisse constante: 52% en 2009, contre 53,4% en 2008.
Elles donnent accès à des concours communs à plusieurs écoles. Par exemple, les concours communs polytechniques qui permettent de postuler dans 33 écoles, le concours commun Mines Ponts qui regroupe, lui, 10 écoles ou encore le concours e3a rassemblant 64 établissements. "C'est du classement aux concours que dépend l'accès aux meilleurs établissements. Les élèves n'accèdent donc pas toujours à l'école qu'ils souhaitaient intégrer initialement", rappelle utilement Jean-Michel Nicolle, directeur de l'EPF, une école de la région parisienne, accessible elle dès le bac.
A TOUS LES NIVEAUX
Certains établissements comme le réseau des écoles nationales d'ingénieurs (ENI) de Brest, Metz ou Blois et les cinq instituts nationaux des sciences appliquées (Insa) recrutent directement après le bac. Si ces derniers ne sont pas encore aussi cotés que les écoles post-prépa les plus renommées, ils ne sont pas loin derrière. La formation y dure cinq ans, avec deux ans de classes préparatoires "intégrées".
La prépa intégrée, c'est ce qu'a également choisi Pierre Lecathelinais, 27 ans, diplômé de l'Ecole supérieure de chimie organique et minérale (Escom) de Compiègne, aujourd'hui ingénieur d'affaires chez Assystem: "Durant les deux premières années, les enseignements sont sensiblement identiques à celles que des prépas classiques, mais les cours sont davantage orientés vers les applications. J'ai aussi apprécié de faire un stage dès la première année, ce qui n'est pas le cas en prépa classique". Autre différence: le contrôle continu, qui valide une acquisition progressive des connaissances.
Certaines écoles recrutent à bac+1. Dans ce cas, la sélection est ouverte aux élèves ayant suivi une première année de classe préparatoire ou une première année de licence. Enfin, il est également possible d'entrer dans la plupart des écoles avec un diplôme de niveau bac+2, par exemple un BTS ou un DUT, mais aussi une licence ou une première année de master par le biais des admissions parallèles.
D'AUTRES CRITÈRES DE CHOIX
Côté finances, à l'inverse des écoles de commerce, de nombreuses écoles d'ingénieurs sont publiques et sont donc, pour une part, financées par l'Etat. Les frais d'inscription, identiques à ceux des universités, avoisinent les 600 euros. En revanche, dans les établissements privés, l'éventail des tarifs est très large, jusqu'à 6000 euros par année d'études. Dans la plupart d'entre eux, il existe des dispositifs (bourses, aides) destinés à prendre en charge, au moins en partie, les frais de scolarité des étudiants les plus modestes. Et lorsqu'une partie des études se déroule à l'étranger, les étudiants peuvent aussi bénéficier d'aides, par exemple d'une bourse Erasmus.
La plus ou moins grande spécialisation des écoles est également à prendre en compte. Nombreuses sont en effet celles qui affichent leur caractère généraliste, tout en offrant une large palette d'options ou de dominantes dans des domaines spécifiques. "A l'Université de technologie de Troyes, si le cursus dure cinq ans en continu – il ne s'agit pas d'une prépa intégrée puis d'un cycle d'ingénieurs de trois ans –, on construit son parcours à la carte, en choisissant parmi de nombreuses UV qui façonnent un cursus d'ingénieur adapté à un projet professionnel. Il peut être complété par des cours dans des domaines autres que la technologie, comme le théâtre ou l'économie", explique Christian Lerminiaux, son président.
D'autres, au contraire, forment d'emblée des professionnels pour des secteurs d'activité particuliers. C'est le cas de l'école spéciale des travaux publics, du bâtiment et de l'industrie (ESTP), de l'Institut supérieur de l'aéronautique et de l'espace (Isae) ou de l'Institut supérieur de l'électronique et du numérique (Isen). Des écoles qui s'adressent à ceux dont la vocation est déjà bien affirmée.
DE PLUS EN PLUS INTERNATIONALES
Aussi diverses soient-elles, les écoles d'ingénieurs possèdent également de nombreux points communs. Le premier, et non le moindre, est la qualité de leur formation, reconnue par la Commission des titres d'ingénieur (CTI). Composé de professionnels de l'industrie, de représentants des associations d'ingénieurs et du monde académique, cet organisme veille au respect d'un cahier des charges très précis concernant les moyens matériels, la qualité de l'encadrement, les liens avec les entreprises, les compétences scientifiques et professionnelles des diplômés, l'ouverture internationale ou encore la démarche d'amélioration continue. Des experts auditent régulièrement les écoles avant de leur accorder une habilitation pour une durée maximale de six ans.
Autre caractéristique, l'internationalisation des parcours. Toutes les écoles affichent des partenariats avec des établissements étrangers, dans lesquels les étudiants peuvent ou doivent effectuer une partie de leur cursus. Les stages hors de nos frontières sont également encouragés. à Centrale Paris, par exemple, impossible d'obtenir le diplôme sans une expérience minimale de six mois à l'étranger. Idem par exemple à l'ENSEEITH de Toulouse, où une mobilité internationale d'au moins dix semaines est exigée. À l'école des Arts et Métiers-ParisTech, il est possible de passer un semestre ou une année dans l'une des 100 universités partenaires.
Certains établissements proposent même un double diplôme à l'issue de cette période à l'étranger. Une ouverture qui répond d'ailleurs aux attentes des employeurs. "L'accent mis sur l'international correspond à l'évolution de la plupart des entreprises, où les projets sont de plus en plus transnationaux et sur lesquelles travaillent des équipes multiculturelles", remarque Stéphane Dahan, directeur du développement des ressources humaines de la SSII (société de service et d'ingénierie informatique) Alten. "Cette ouverture s'illustre aussi par le développement de l'accueil de professeurs et d'étudiants étrangers", complèteJulien Roitman, président du Conseil national des ingénieurs et scientifiques de France (CNISF).
DE PLUS EN PLUS PROFESSIONNALISANTES
Le souci de professionnaliser les étudiants est tout aussi partagé, d'où des stages qui ponctuent chaque année d'étude. Classiquement, la première année se conclut par un stage ouvrier, la seconde par un stage ingénieur et la dernière, par un stage de fin d'études de plusieurs mois. Accentuer les efforts en matière de recherche est encore une démarche commune. "Il est indispensable de maintenir l'effort dans ce domaine, note Marc Houalla, directeur de l'école nationale de l'aviation civile (Enac) de Toulouse. Ce sont les chercheurs qui indiquent les voies à suivre et permettent d'introduire de l'innovation dans les enseignements". Autre intérêt pour les écoles : les projets de recherche confiés par les entreprises constituent des sources de financement non négligeables. Sans oublier que les activités de recherche, en particulier les publications, constituent un des critères des classements internationaux.
Autre marque de professionnalisation des cursus, les écoles d'ingénieurs s'engagent dans l'apprentissage depuis une dizaine d'années. Pionnières, les formations dites "ingénieurs en partenariat" (FIP) sont une soixantaine et recrutent principalement, sur entretien ou concours, des titulaires de BTS, DUT, voire licence (plus rarement des bacheliers). Timide au début, le mouvement s'est amplifié rapidement, puisque, aujourd'hui, 12% des ingénieurs de moins de 30 ans sont passés par cette voie. "C'est un choix qui n'est pas seulement financier. Il me semblait plus motivant d'acquérir des compétences que je pourrais mettre immédiatement en œuvre en entreprise", raconte Charline Platel, 23 ans, étudiante à l'école supérieure d'ingénierie et travaux de la construction (ESITC).
Dans ce domaine, les établissements ont chacun leur approche: les apprentis ne se voient pas toujours remettre le même diplôme que ceux de la filière classique."L'apprentissage induit une spécialisation, explique Alain Jeneveau, responsable du bureau formation de la CTI. Ce qui explique que certaines préfèrent décerner un diplôme spécifique la mentionnant."
QUE VALENT LES ÉCOLES SANS LABEL?
Epitech, Supinfo, Ipsa, Epsi, Insia, In'Tech Info … un certain nombre d'écoles, notamment en informatique, ont bien des caractéristiques d'écoles d'ingénieurs mais n'en sont pas, faute d'habilitation par la Commission des titres d'ingénieur (CTI). De ce fait, elles ne sont pas autorisées à délivrer le "titre d'ingénieur diplômé". Quelles sont les raisons de cette absence d'habilitation? Certaines d'entre elles, comme Supinfo et l'Institut supérieur d'informatique appliquée (Insia), assurent ne pas rechercher cette reconnaissance. D'autres, au contraire, souhaitent rejoindre le cercle des formations estampillées CTI mais ne satisfont pas aux critères requis, qu'il s'agisse de la sélectivité des étudiants, du nombre d'enseignants permanents ou de la qualité des moyens pédagogiques. Souvent, le label leur est refusé parce qu'elles se concentrent sur l'employabilité à court terme de leurs élèves, ou que leurs enseignements sont trop spécialisés.
Pour autant, certains de ces établissements sont appréciés des entreprises et offrent des débouchés intéressants. "La pédagogie de l'Epitech est différente de celle des écoles d'ingénieurs “classiques”. Nous ne partons pas des principes mais de la pratique. Le projet est à la source de l'apprentissage ", commente ainsiFabrice Bardèche, vice-président exécutif du groupe Ionis, dont fait partie aussi bien l'Epitech que des écoles d'ingénieurs estampillées CTI, telles l'Epita ou l'ESME Sudria. Et rien n'empêche les employeurs de recruter leurs diplômés à des postes d'ingénieur. Dans tous les cas, avant de s'inscrire, mieux vaut se pencher sérieusement sur le contenu de la formation, la durée des stages, la qualité des partenariats internationaux ou encore l'insertion professionnelle des anciens.
TOUJOURS UNE BONNE INTÉGRATION SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL
S'ils restent les enfants gâtés du marché de l'emploi, les ingénieurs ne sont pas épargnés par la crise, dont les effets sont ressentis fortement dans certains secteurs de l'industrie: en 2009, 48000 ingénieurs ont été recrutés, contre 72000 l'année précédente. "En 2008, 56% des débutants avaient trouvé un poste avant même l'obtention de leur diplôme, constate Julien Roitman. En 2009, ils n'étaient plus que 43%. Et plus de six mois après leur sortie de l'école, il y en avait encore 18% qui cherchaient toujours un employeur, alors que, l'année précédente, ils n'étaient que 10% dans cette situation". Mais la situation est contrastée: dans certains secteurs, par exemple le nucléaire, la pénurie se fait toujours ressentir.
Côté secteur d'activité, les jeunes ingénieurs ont toujours l'embarras du choix: si les SSII embauchent près de 15% d'entre eux, les opportunités sont aussi du côté du bâtiment et des travaux publics, de l'énergie, des transports (automobile, aéronautique et spatial, ferroviaire), des télécommunications et même de la finance et des assurances. D'une année à l'autre, il n'y a pas de changement en ce qui concerne les premiers emplois occupés: 84% des jeunes diplômés font leurs premières armes dans des fonctions techniques. Près de la moitié d'entre eux débutent dans des fonctions liées aux études, à la recherche et à la conception. Et ils sont 22% dans la production ou dans les fonctions connexes (maintenance, gestion de la production, achats, etc.). Une première étape avant d'évoluer vers le management ou l'expertise, les deux grandes filières s'offrant aux ingénieurs.
"Les ingénieurs? Ils représentent 70% de nos recrutements, commente Ève Royer, responsable des ressources humaines d'Assystem, groupe spécialisé dans l'ingénierie et l'innovation. Intervenant dans l'aéronautique et le spatial, l'énergie et le nucléaire ou l'automobile, nous apprécions autant les profils généralistes, dont les compétences sont transversales et polyvalentes, que ceux qui sont plus spécialisés et qui développent une expertise dans un domaine particulier. Mais, si le diplôme garde évidemment son importance, au moment de l'entretien de recrutement, c'est la personnalité et la motivation qui font la différence."
Cet article est issus du hors série du Monde " Le Guide des grandes écoles " que vous pouvez acheter sur la boutique en ligne du Monde (9,90 euros)
Jean-Marc Engelhard
Et les filles?
27,4% des ingénieurs actuellement en formation sont des ingénieures. C'est peu mais la progression ces quatre dernières années est de 12,6%. Un encouragement alors que seulement 17% des ingénieurs en activité sont des femmes. " Tout le paradoxe étant que les entreprises veulent recruter des femmes ingénieurs pour diversifier leurs cadres ", constate Paul Jacquet, le président de la Conférence des directeurs des écoles françaises d'ingénieurs (CDEFI), qui regrette de constater que"les filles réussissent très bien en S, même mieux que les garçons, mais qu'on ne les retrouve pas dans nos écoles ensuite".
En tout cas pas partout car elles sont par exemple largement majoritaires dans les écoles d'agronomie comme AgroParisTech dont les promotions sont à 60% féminines. "Sans doute parce que nous sommes une école du vivant dans toute sa complexité, scientifique bien sûr mais également éthique ou politique. Des dimensions qui passionnent tout particulièrement les filles", commente Remi Toussain, son directeur général.
Lui-même informaticien, Paul Jacquet a vu le mouvement contraire dans les filières informatiques, comme par exemple en DUT: "Il y a trente ans on y retrouvait des garçons et des filles à parité, aujourd'hui il n'y a quasiment plus que des garçons et le phénomène s'auto-alimente. Moins il y a de filles dans une filière moins les candidates sont nombreuses".
Mais comment changer l'image des métiers d'ingénieur pour y attirer plus de jeunes filles. L'association des femmes ingénieurs y travaille en organisant par exemple des journées "1000 Ambassadrices" où se rencontrent des élèves de filières scientifiques et des femmes en activité. "Nous présentons seulement nos métiers, nos parcours, pour montrer aux jeunes filles (et aux jeunes garçons) qu'elles aussi peuvent devenir ingénieurs ou scientifiques, explique Delphine Virte, la secrétaire générale de l'association. On ne peut pas avoir envie de ce qu'on ne connaît pas, et l'influence d'un rôle-modèle est déterminant pour le choix d'orientation."
Olivier Rollot
Mais qu'y apprend-on?
Un noyau d'enseignements communs. "Même si chaque établissement propose une part d'options et de spécialisations, il y a un noyau d'enseignements communs", explique Alain Jeneveau, responsable du bureau formation de la CTI. Au premier rang desquels figurent l'acquisition et la maîtrise des connaissances scientifiques fondamentales (maths, physique, chimie, mécanique…).
Avec l'apprentissage des méthodes et des outils propres à l'ingénieur, elles constituent le cœur de la formation. "Les écoles françaises forment des professionnels avec un bon bagage technique et technologique, avec de la curiosité et des capacités à s'adapter au changement", constate Stéphane Dahan, directeur du développement RH de la société d'ingénierie et de conseil en technologies Alten.
Développer le sens critique. "L'une des caractéristiques du métier d'ingénieur, c'est la capacité à appréhender des connaissances et des technologies en évolution permanente, complète Jean-Michel Nicolle, directeur de l'EPF. Il faut préparer nos étudiants à s'adapter à ces changements tout au long de leur carrière. C'est pourquoi nos formations n'ont pas seulement pour but de capitaliser sur des connaissances, elles doivent aussi permettre aux étudiants de développer leur sens critique et leur capacité à prendre du recul ".
Ainsi, les futurs ingénieurs suivent des cours de gestion, économie, droit, propriété intellectuelle, ressources humaines, éthique… autant de disciplines indispensables pour comprendre l'environnement économique et le fonctionnement des entreprises."La culture générale et la sensibilisation aux enjeux de la société, comme le développement durable, ne peuvent pas être absentes des enseignements, affirme Jean-Michel Nicolle. Car nous ne formons pas des instruments techniques mais de futurs décideurs, capables d'analyser les effets de leurs décisions sur le monde qui les entoure."
Etre rapidement opérationnel. Autre incontournable, la maîtrise des langues étrangères, et en particulier l'anglais dont le niveau doit être certifié par test reconnu, par exemple le Test of English as a Foreign Language (TOEFL). Viennent s'ajouter des périodes plus ou moins longues en entreprise (stages, année de césure), qui viennent conforter la capacité des jeunes diplômés à intégrer le monde professionnel. "Il y a encore une dizaine d'années, les ingénieurs avaient surtout des connaissances théoriques quand ils arrivaient sur le marché du travail, remarque Stéphane Dahan. Aujourd'hui, grâce aux stages, aux partenariats, notamment dans le domaine de la recherche appliquée, et aux projets de fin d'études, les jeunes ingénieurs sont rapidement opérationnels ".
Restent quelques points d'amélioration possible. "Toutes les écoles ne sont pas aussi avancées en matière de management, d'approche “business” et de travail en équipe, en particulier celles qui rassemblent des professionnels de métiers différents", assure Sophie Arnould, responsable du recrutement d'Accenture France, société de conseil en management, systèmes d'informations et technologies de l'information. Mais les écoles y travaillent !
Source: Le Monde
9/03/2011