Les présidents de 80 Clubs Harvard dans le monde sont réunis depuis hier sur le célèbre campus de Cambridge, près de Boston. Leur mot d'ordre : bâtir des connexions entre les 300.000 anciens élèves. Le Harvard Club de France sera de la fête.
Ils sont près de 300, ce soir de décembre, à se retrouver pour la World Holiday Party de Noël organisée par le Harvard Club de France (HCF) dans le luxueux hôtel de Talleyrand, place de la Concorde à Paris. Propriété du gouvernement des Etats-Unis, soigneusement restauré, l'hôtel particulier abrite le Marshall Center, quelques salons de réception et les bureaux du cabinet d'avocats international Jones Day. C'est d'ailleurs l'un de ses associés, Eric Morgan de Rivery, qui accueille en voisin et mécène de la soirée ces convives triés sur le volet. Tous diplômés de l'université la plus prestigieuse du monde. Tous membres du non moins élitiste Harvard Club de France.
Sous les lambris sculptés, la tenue est « casual chic » et l'atmosphère bon enfant : rien à voir avec le dîner de gala huppé, donné peu avant sous les ors de l'hôtel de Lassay, en l'honneur de la présidente de l'université de Harvard, Drew Faust, de passage à Paris. Pour créer de la convivialité, l'équipe du Harvard Club de France dispose d'une martingale infaillible : le Holiday Bingo. L'une des ex-vice-présidentes du club, Carole Gardner, coiffée d'un bonnet de père Noël, distribue les « bingo cards ». Pour jouer, chacun a apporté un cadeau d'une valeur modique : un T-shirt « I love Paris », un porte-clefs avec la tour Eiffel, un savon Roger & Gallet, du thé Mariage Frères… Près du bar, l'autre rendez-vous incontournable est le stand du Harvard French Scholarship Fund, fonds caritatif fondé en 1987 pour apporter une aide d'environ 30.000 euros aux étudiants français admis sur le prestigieux campus. Sur un panneau figure, en regard du don effectué, le coût réel de la contribution après déduction fiscale de 66 %. Pragmatisme très anglo-saxon. Plus de 140 bourses ont déjà été accordées à des étudiants en droit international, architecture, biologie, chimie, art japonais… « Harvard a fait beaucoup pour chacun d'entre nous, il est naturel de renvoyer l'ascenseur, de soutenir les suivants, de remercier l'université », commente Philippe Le Corre, associé chez Publicis Consultants et président du Harvard Club de France. Un peu plus loin, on peut acheter moyennant 15 euros le T-shirt du HCF et ainsi soutenir ce cercle aux cotisations raisonnables, de 50 à 100 euros, voire 35 euros pour les « young graduates ».
La crème de l'élite mondiale
Les conversations s'animent, chacun cherche dans l'assistance des « profils » susceptibles de satisfaire les exigences de sa grille de bingo. Au gré de la soirée, il faudra par exemple trouver un convive persuadé que Microsoft survivra à Apple, un bourlingueur ayant vécu dans plus de dix villes différentes, un membre d'un conseil de direction d'une entreprise du Top 500 de « Fortune », un amateur de jazz ou encore un diplômé de Harvard en 2010… Astucieux, pour obliger les participants à se dévoiler tant sur le plan privé que professionnel. Les événements du Harvard Club de France sont les lieux de toutes les rencontres : un ambassadeur de Géorgie côtoie un avocat d'affaires français, une économiste japonaise de l'OCDE s'entretient avec un physicien américain, puis un musicologue canadien… Ce soir, des diplômés de Columbia, Yales, Boston, Stanford, ont même été conviés et la fête se termine par la remise des lots du bingo dans un brouhaha chaleureux, près du buffet, et en musique.
Moins imposant que son homologue britannique (plus de 6.000 membres) ou canadien (près de 5.000), le Harvard Club de France est néanmoins, avec ses 2.000 adhérents, l'un des plus actifs : il organise aussi bien des « happy hours » dans un bar chaque premier jeudi du mois que des visites privilégiées de lieux culturels, des conférences confiées aux experts les plus éminents, des soirées de levée de fonds, des championnats de rhétorique… Il est même à l'origine des rencontres entre European Clubs Leaders. Cénacle ayant lui-même donné naissance au rassemblement mondial annuel des présidents de Clubs Harvard, qui se tient depuis hier sur le célèbre campus de Cambridge, près de Boston. Son mot d'ordre : « Make the network works ! ». Au cours des deux jours de débats auxquels participeront 80 clubs de tous les continents, l'objectif est de bâtir des connexions entre les 300.000 anciens élèves, de partager les expériences…
L'université la plus riche du monde, dotée d'un budget qui a atteint plus de 36,9 milliards de dollars avant la crise financière (27,6 millards en 2010), est une machine de guerre dont chaque diplômé s'avère un rouage précieux : un ambassadeur doublé d'un donateur. « Dans chaque faculté de Harvard, il y a des "retrouvailles de promotion" tous les cinq ans, je ne raterais cela pour rien au monde. C'est savamment entretenu par Harvard car c'est là que réside le secret de sa richesse », confie Claire Mays, première vice-présidente du HCF et diplômée du département de psychologie sociale. L'annuaire de la plus ancienne université américaine, fondée en 1636, est un véritable « Who's who » : une quarantaine de prix Nobel, huit présidents des Etats-Unis dont Barack Obama, et la crème de l'élite mondiale, puisque près de la moitié de ses étudiants sont des étrangers. L'université rattrape même en chemin les brillants sujets qui n'ont pas terminé leur cursus, tel Bill Gates, appelé par l'aventure Microsoft et diplômé « à titre honorifique ».
Le dynamisme du club français
A son échelle, le Harvard Club de France a lui aussi ses personnalités influentes : d'Irina Bokova, directrice générale de l'Unesco, à Pierre Lellouche, secrétaire d'Etat français au Commerce extérieur, de Jean Burelle, président du Medef International, à Karen Kornbluh, ancienne conseillère du sénateur Barack Obama devenue représentant permanent des Etats-Unis à l'OCDE, de Samuel Pisar, juriste et écrivain, ex-politologue de la Maison-Blanche, à l'Aga Khan, diplômé d'histoire islamique à Harvard, en passant par le chef d'orchestre star de la musique baroque William Christie. Ceux qui sont allés enseigner à Harvard sont enrôlés également, tel l'artiste Jonathan Shimony ou Thierry Breton : l'université, reconnaissante, a d'ailleurs classé ce dernier parmi les 100 meilleurs patrons mondiaux dans la « Harvard Business Review » de janvier 2010… « Harvard, c'est une carte de visite incroyable, il y a une vraie entraide au sein du réseau », confie Claire Mays. Ainsi, il y a quelques jours, une séance de travail animée par un coach apprenait aux femmes du Harvard Club de France comment « être de meilleurs leaders et ôter les obstacles sur le chemin du succès ».
Diplômé du Massachusetts Institute of Technology et professeur à Harvard, fondateur du Laboratoire, un lieu d'innovation art-science situé près du Palais-Royal, David Edwards emploie de nombreux jeunes fraîchement sortis du campus américain. « L'univers de Harvard est beaucoup plus diversifié que celui du MIT, c'est ce qui m'intéresse dans cette jeune génération, à l'instar d'Apollonia Poilâne qui a fait la Business School et monte, à vingt-sept ans, un club de jeunes innovateurs », observe-t-il. Ce scientifique a mis au point des aliments à inhaler aux goûts chocolat, café ou thé ; le HCF l'a aidé dans sa recherche de capital-risqueurs et les produits sont maintenant commercialisés par cette start-up. Le dynamisme du club, David Edwards l'explique par l'expérience marquante que constitue Harvard : « Les étudiants sont très minutieusement choisis et ils ont ensuite envie de reproduire cet environnement, de revivre cette expérience, au sein du club. » Le jeune directeur de R&D du Laboratoire, Jonathan Kamler, diplômé en physique de Harvard il y a juste trois ans, le confirme : « La première année au campus, on est obligatoirement interne, alors on rencontre des étudiants de toutes les disciplines. Une formidable ouverture. »
50.000 dollars l'année
« Il y a un tel choix à Harvard ! Quelle joie d'ouvrir le catalogue riche de 300 cours donnés par les plus grands ! », se souvient Claire Mays. Très occupée entre son mi-temps à l'OCDE et son mi-temps chez Symlog, laboratoire en sciences humaines et sociales, elle s'évertue pourtant à dénicher les perles rares, en France, susceptibles d'intégrer Harvard. Elle fait passer des entretiens aux lycéens prodiges. Certes, la France ne fournit que de faibles bataillons en premier cycle, une trentaine de postulants issus d'écoles bilingues, de couples franco-américains, de milieux aisés. Le coût de 50.000 dollars l'année a de quoi refroidir, même s'il existe des bourses. La sélection est en outre de plus en plus sévère avec, cette année, 35.000 candidatures venues du monde entier pour 1.600 places, soit une progression de 50 % en quatre ans. Le dossier d'admission est déjà une épreuve : « Il faut être prêt à y passer des nuits blanches ! », reconnaît Claire Mays. Aidée d'une équipe d'anciens de Harvard, elle présélectionne les dossiers transmis outre-Atlantique au comité d'admission. Outre l'excellence des notes, la curiosité intellectuelle, l'engagement personnel, l'adaptabilité, sont déterminants. « En France, on veut une ascension verticale, en ligne droite ; à Harvard, on doit s'illustrer dans des domaines différents, on est dans un mouvement horizontal », poursuit Claire Mays.
L'université est d'ailleurs considérée comme un must quelle que soit la filière. « J'étais un canard sauvage à Harvard à la fin des années 1960, le seul Français en histoire de l'art et muséologie quand mes compatriotes étaient tous dans la Business School », se souvient Jean Clair, académicien et ancien directeur du musée Picasso à Paris. « Aujourd'hui, même en histoire de l'art, l'enseignement dispensé y est supérieur à celui de la Sorbonne ! » Un paramètre que le Harvard Club de France a su anticiper. « La force du HCF, c'est son côté multiprofil et multigénérationnel qui le distingue de beaucoup d'autres », estime Philippe Le Corre.
Source: Les Echos, 04/02/2011