Université de Ouagadougou : La vie des étudiants ivoiriens " bannis " d’Abidjan
jeudi 16 septembre 2004.
Parfait KOUASSI
Sidwaya
Quelque quatre vingt étudiants ivoiriens ont trouvé refuge à l’Université de Ouagadougou (Burkina Faso) au cours des trois dernières années. Les uns fuyaient les effets de la guerre déclenchée en septembre 2002 ou les incongruités du système académique.
D’autres, partis plutôt, en 2001, voulaient échapper à leurs anciens camarades de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI) qui les traquaient avec des machettes. Hormis la formation de qualité dont ils profitent aujourd’hui à Ouaga, les conditions de vie et d’étude de ces étudiants restent préoccupantes.
Des milliers d’étudiants ont fui la Côte d’Ivoire ces dernières années. Environ quatre vingt parmi eux ont privilégié la destination du Burkina Faso, pays voisin avec une université redevenue stable. Ces étudiants, issus de familles modestes en général, ne sont pas partis de leur gré. C’est le cas d’Arthur-Martin A. Lorsque ce jeune Ivoirien de 19 ans décrocha son Baccalauréat série F7 au Lycée technique de Yopougon en 2003, son rêve était d’intégrer la faculté de médecine d’Abidjan.
Quelle ne fut sa déception quand il apprit que l’Université de Cocody ne l’acceptera pas dans cette branche d’étude. " Je me suis révolté contre ce système incongrue. Notre matière de base en Terminale F7, c’est la biochimie. Et je savais que je pouvais étudier la médecine ailleurs ", explique-t-il. Arrivé à Ouaga l’année de son succès au Bac, il est autorisé à s’inscrire à la Faculté des sciences de la santé. Il opte alors pour des études en pharmacie. Même s’il est aujourd’hui en deuxième année, Arthur-Martin n’a pas le sourire. Il se demande s’il pourra arriver au bout de son chemin.
Et pour cause, il ne vit que de la charité de ses camarades étudiants burkinabè et de la sollicitude des autorités académiques de l’Université. "Quand je suis arrivé à Ouaga pour la première fois, je me suis rendu sur le campus. Un étudiant burkinabè qui m’a vu, arrêté sous un arbre, m’a recueilli et m’a donné l’hospitalité(…). Une fois, je suis tombé gravement malade. N’ayant pas d’argent pour me soigner, je fuis l’hôpital. C’est mon directeur d’UFR qui est venu, en personne, me demander pardon pour m’emmener à l’hôpital. Je dois vous dire que nos camarades du Burkina font preuve d’un grand humanisme pour nous ", raconte-il. Aujourd’hui, Arthur-Martin est plutôt peiné de constater qu’il ne peut compter sur les autorités de son pays. "On nous dit que l’ambassade ne délivre que la carte consulaire, elle n’héberge pas et elle ne nourrit pas ", déplore t-il. C’est aussi l’avis de Jean Michel E. Actuellement en 4e année de sciences économiques et de gestion, Henri Michel a fuit la Fac d’Abidjan, en 2e année, " à cause des grèves intempestives ".
A Ouaga, la vie est dure, sans aucun soutien financier. Les étudiants ont les yeux rivés sur l’ambassade. Mais cette institution ne cesse de rappeler que le budget s’est effrité ces dernières années comme une peau de chagrin. L’Association des Etudiants Ivoiriens à l’Université de Ouaga(AEIUO) n’a plus de dynamisme de solidarité. Et ces étudiants ne peuvent réellement compter que sur leurs camarades burkinabè.
D’ailleurs, Arthur-Martin précise qu’il partage avec trois autres de ses camarades burkinabè, une chambre prévue pour une personne. " Nous partageons également le repas d’une seule personne ", ajoute-il. Certaines fois, il est obligé de dormir à l’Amphi A600. " Je veux rentrer à Abidjan, mais je ne suis pas accepté en pharmacie là-bas ", dit-il en écrasant une larme. Mais le retour au pays préoccupe davantage une autre catégorie d’étudiants ivoiriens, anciens militants de la FESCI.
Etudiants bannis de l’Université d’Abidjan Baker, l’un d’entre eux scrute toujours l’horizon dans l’espoir d’une décrispation susceptible de favoriser son retour. Le 18 mai 2001, il est arrivé à Ouaga avec quatre de ses camarades alors que la crise des machettes ravageait les campus de Côte d’Ivoire. Ils sont recueillis par leurs camarades de l’Association Nationale des Etudiants Burkinabè (ANEB) qui les ont logés et nourris, par " humanisme et par solidarité syndicale ". " Nous avons bénéficié de cette hospitalité une année durant, le temps d’obtenir un statut de réfugiés ", dit-il.
Aujourd’hui, rien n’est vraiment clair pour Baker et ses amis. Le dossier qu’ils disent avoir introduit au Haut-commissariat aux réfugiés (HCR) est en souffrance. Le statut de réfugiés leur serait refusé à cause du coup de froid qui avait secoué les relations ivoiro-burkinabè au lendemain du déclenchement de la crise du 19 septembre 2002. Pour mémoire, les autorités ivoiriennes avaient accusé les autorités burkinabè d’avoir accordé l’asile à des déserteurs de l’armée ivoirienne.
Baker était partit d’Abidjan en 2001 avec ses camarades parce qu’il était poursuivi par les partisans de Charles Blé Goudé. Il était précisément reproché à Baker d’être partisan de la dissidence qui menaçait Blé Goudé, accusé de connivence avec le pouvoir. Pourtant Baker se dit un syndicaliste désintéressé. En 1998, il avait écopé d’une exclusion du centre universitaire de Daloa, après une grève violente qu’il a conduite suite à l’assassinat d’une étudiante. Il s’était inscrit dans une grande école et évoluait en marge des activités syndicales devenues entre-temps très politisées. Contre toute attente, il est sollicité fin 2000 par ses anciens camarades pour redonner du " tonus " à la section FESCI de la Cité-Rouge d’Abidjan.
C’est le début d’une aventure ambiguë. " On disait que cette cité était le cams des dissidents. Mais c’était difficile pour moi de faire marche arrière. Et puis, tout compte fait, je me suis dit que s’il s’agissait de combattre Blé pour sa gestion de la FESCI, je suis d’accord. Mais je ne menais aucune lutte politique ". C’est ainsi que devenu persona non grata, Baker a été traqué par les partisans de Blé Goudé jusqu’à ce qu’il s’enfuit. " Les autres sont allés au Mali, au Sénégal et en Europe ", dit-il.
Mais Baker et ses amis n’ont pas eu la même chance. " Si aujourd’hui on pouvait nous accepter dans notre pays, nous allions retourner ". Cet étudiant amer regrette son passage à la FESCI. Cette organisation syndicale semble avoir été une pépinière de la classe politique en conflit à Abidjan. " Nous en sommes les victimes. Aujourd’hui on voit nos amis de part et d’autre. Les uns sont avec le pouvoir, les autres sont avec les rebelles. Nous, nous sommes au milieu et nous souffrons", raconte Baker avec beaucoup de regret.
Ces étudiants ivoiriens de l’Université de Ouagadougou apparaissent come des " bannis " d’Abidjan. Dans la chambre que l’un d’entre eux squatte, on peut lire ce message de consolation inscrit en bonne place : "la vie n’est pas une droite. Il comporte des courbes appelées chutes, un rond-point appelé confusion, des feux-rouges appelés amis, des voyants appelés famille…". Ils indiquent tous qu’ils n’ont de courage pour continuer d’espérer que grâce à l’hospitalité de leurs hôtes burkinabè dont le soutien ne leur a jamais fait défaut malgré le contexte tumultueux entre les deux peuples en raison de la guerre en Côte d’Ivoire.
Parfait KOUASSI
Sidwaya