Un trafic d’enfants en Côte d’Ivoire
Un enfant dans le "dortoir" d’une école de football près d’Abidjan
Les services de sécurité maliens enquêtaient encore lundi sur une quarantaine d’enfants ivoiriens surpris avec un passeur qui avait promis de les amener en Europe.
Les convoyeurs ont été présentés mardi au juge à Sissako.
Mais en Côte d’Ivoire, les parents de ces enfants affirment qu’il s’agit plutot de pensionnaires d’une école de football auxquels on avait fait miroiter un recrutement dans des clubs européens contre paiements de sommes d’argent.
Le promoteur du groupe qui convoyait les enfants a été arrêté à Sikasso au Mali avec un autre Ivoirien.
"Je suis El Hadj Diomande Mamadou, instituteur à la retraite et je suis le père de Diomande Assane Nady Adama qui a 16 ans".
Le vieil homme est encore sous le choc au moment où je l’ai croisé.
Il vient d’apprendre avec surprise que son fils est l’une des victimes de ce trafic.
Malgré le jeune âge de son fils c’est El Hadj Diomande Mamadou lui-même qui avait laissé son enfant partir pour cette aventure.
"Aujourd’hui quand on vous dit que votre enfant peut aller monnayer son talent à l’étranger vous ne pouvez qu’être fier et content", me confie Zokoua Albert.
Son fils fait partie du groupe d’enfants qui ont été interceptés au Mali.
Des pseudo-recruteurs
Une école de football impliquée dans le trafic
"Nous avions reçu des assurances que nos enfants seraient recrutés par des équipes de football en Ukraine et en Norvège et nous avons payés 300.000Fcfa, ce qui représentait les frais de transport jusqu’au Mali – les enfants étant pris en charge à partir de la-bas par le manager", explique Zamble Dje Bitra, qui a du mal à realiser qu’ils se sont fait escroquer.
Depuis le 21 décembre dernier, ils sont à Sikasso, ville malienne non loin de la frontière avec la Côte d’Ivoire.
Un rapide calcul permet de se rendre compte que pour les 38 enfants, le promoteur de la soi-disante école de football a encaissé 11 millions 400 mille Fcfa.
Et pourtant comme nous l’a indiqué sa secrétaire, il n’a expédié à son correspondant au Mali que 4 millions, ce qui suppose que monsieur Assouman pour ne pas le citer a empoché dans cette affaire quelques 7 millions 400 milles Francs cfa.
Je suis allé visiter le pseudo-centre de formation à Yopougon Gexco, à 17 Km d’Abidjan.
Inutile de s’attarder sur le dortoir plus proche d’un poulailler mal entretenu que d’une structure d’accueil, tout comme je passerais sous silence ce qui fait office de terrain d’entrainement, dans la banlieue de la capitale economique ivoirienne.
"Notre seul objectif, c’est de former des enfants et de les vendre à des clubs en Europe", nous a confié l’entraîneur qui travaille depuis 2 ans sans salaire.
"C’est ce que m’avait dit monsieur Assouman quand il m’a demandé de venir travailler dans son centre", avoue Dosso Morike, qui encadre les enfants depuis un peu plus de deux ans que le centre de formation existe.
Monsieur Assouman Yao Bernard et un certain Simon (son contact au Mali, lui aussi Ivoirien) – ont été interpellés par la gendarmerie malienne à Sikasso et doivent être présentés au juge qui pourrait les inculper de traffic d’enfants, un crime passible de 5 ans de prison.
Des enfants objets de trafic
Des parents désabusés
Ils pourraient également être poursuivis pour faux et usage de faux.
Les enfants selon d’autres parents que j’ai rencontrés, ont voyagé jusqu’au Mali sans passeport, et c’est sur place avait promis monsieur Assouman aux parents "qu’on leur ferait établir des passeports maliens" nonobstant que ces adolescents sont tous ivoiriens et âgés de 14 à 18 ans.
Alors que ces parents dont certains affirment s’être endettés pour financer le "départ" de leurs enfants, n’ont plus que leurs yeux pour pleurer, ils ont encore été sollicités par des collaborateurs de monsieur Assouman restés en Côte d’Ivoire.
Ils doivent cotiser "car ceux qui ont le dossier au Mali demandent 2 millions pour libérer" le promoteur du centre de formation.
Le centre de formation d’Assouman est l’une des "262 écoles de football ou centres de formation officiellement reconnus par la Fédération ivoirienne de Football’ comme nous l’a confirmé Eric Kacou de la F.I.F., pour une population d’à peine 16 millions d’habitants.
Mais le Directeur technique national a lui indiqué qu’ "en réalité 3 ou 4 de ces structures méritent l’appelation de centre de formation".
Yeo Martial qui est en charge de ce dossier a précisé qu’ils sont entrain de "mettre de l’ordre dans le secteur" en définissant des "critères et un cahier de charge que tous les promoteurs devront respecter".
Totalement désabusés, les parents ne souhaitent plus qu’une chose : qu’on les aide à ramener leurs enfants, mais ils ne désespèrent pas d’en faire un jour des vedettes du football et ils avouent qu’ils continueront à chercher les moyens pour envoyer leurs enfants en Europe.
Didier Drogba, l’attaquant ivoirien du club anglais de Chelsea, élu meilleur footballeur africain pour l’année 2006, gagne 100 millions de Fcfa par semaine.
Ça fait rêver et ça suscite des ambitions, parfois démesurées.
Chaque année d’après la Fédération Internationale de Football (FIFA) des dizaines de jeunes en provenance de pays pauvres sont abandonnés sans ressources par des pseudo-recruteurs, qui avait pourtant promis de faire d’eux des vedettes du ballon rond.
7 mars 2007
Said Penda
BBC Afrique, Abidjan