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FRANCE – 30 janvier 2005- par RIDHA KÉFI, CORRESPONDANT À TUNIS
Emigrés et étudiants d’un côté ; touristes de l’autre : entre les deux pays, les flux humains sont intenses et de qualité. Seule ombre au tableau, les visas imposés aux Tunisiens.
afrique du nord Le Premier ministre français Jean-Pierre Raffarin se rend en Tunisie, les 30 et 31 janvier, à la tête d’une importante délégation (voir J.A.I. n° 2298). Au-delà de sa dimension politique et de ses effets espérés sur la relance des échanges bilatéraux, cette visite officielle est aussi une occasion pour les deux peuples de mesurer la profondeur des liens qui les unissent.
La Tunisie est un « partenaire de proximité » de la France, explique l’ambassadeur de France en Tunisie, Yves Aubin de la Messuzière. Leurs relations sont « marquées par la nécessité, la familiarité et l’ouverture » : nécessité de la géographie et de l’histoire, familiarité des échanges humains et ouverture fondée sur les valeurs partagées, notamment la langue française et les idéaux de liberté et de modernité. Faut-il s’étonner dès lors que la France soit le premier pays d’émigration des Tunisiens et le premier pays sollicité par eux en matière de demandes de visas, loin devant l’Italie, l’Allemagne et la Belgique, autres pays européens où résident d’importantes communautés tunisiennes ?
Les Tunisiens en situation régulière en France sont au nombre de 160 000, soit près de 5 % du total des étrangers (statistiques au 31 décembre 2000). Ils constituent la troisième nationalité « non communautaire » installée dans l’Hexagone, après les Algériens (550 000) et les Marocains (450 000). L’écrasante majorité d’entre eux (plus de 90 %) détient un titre de séjour d’une durée de validité supérieure à un an. Depuis 1999, près de 20 000 titres de séjour sont délivrés chaque année à des ressortissants tunisiens, soit un peu plus de 3 % des 600 000 titres délivrés annuellement en France, toutes nationalités confondues. Les Tunisiens de France ne sont plus seulement, comme ce fut longtemps le cas, des ouvriers du bâtiment et des épiciers. Ils sont aussi médecins, ingénieurs, universitaires et chercheurs, qui plus est, bien intégrés dans leur pays d’accueil.
Avec 9 000 personnes, la communauté estudiantine tunisienne est la troisième de France. Ses effectifs ont augmenté de 40 % au cours des trois dernières années, selon des statistiques de l’Unesco. Chaque année, l’État français octroie près de 300 bourses à des étudiants tunisiens inscrits en thèse de doctorat ou dans des grandes écoles. Chaque année aussi, l’Institut préparatoire aux études scientifiques et techniques (Ipest), sis à La Marsa, dans la banlieue nord de Tunis, permet à près de 90 étudiants d’accéder aux écoles d’ingénieurs et aux concours d’agrégation (de mathématiques et de physique) dans l’Hexagone. La plupart de ces scientifiques optent pour une carrière professionnelle au pays de Pierre et Marie Curie, où les sollicitations ne manquent pas. Peu d’entre eux rentrent en Tunisie une fois leurs études achevées, mais tous gardent des attaches très fortes avec leur pays d’origine.
En sens inverse, près de 18 000 Français résident en Tunisie, sans compter les quelque 10 000 personnes non immatriculées. Plus de 95 % sont natifs du pays, ou y ont des attaches familiales au premier degré (ascendant ou conjoint), les deux tiers bénéficient de la double nationalité et 36 % exercent une activité professionnelle. Cette population relativement jeune – la moyenne d’âge est estimée à 33 ans – est durablement installée dans le pays.
Par ailleurs, chaque année, plus de 900 000 touristes français passent leurs vacances à Gammarth, Hammamet, Sousse, Djerba ou Tozeur. Les Français constituent le premier marché touristique tunisien. Selon une nouvelle tendance, beaucoup de retraités français séjournent pendant plusieurs semaines dans les établissements hôteliers tunisiens au cours de la saison hivernale, qui s’étend de novembre à avril, profitant ainsi du climat – beaucoup plus clément qu’en Europe – et, surtout, de la baisse des tarifs à cette période de l’année.
Cependant, si tous les Français peuvent entrer en Tunisie sans visa ou laissez-passer, les Tunisiens, quels qu’ils soient, désirant se rendre en France sont soumis au rituel de la demande du visa Schengen. La majorité d’entre eux se soumet de bonne grâce à cette exigence. Mais d’autres se plaignent de ce qu’ils considèrent comme une humiliation. Ils déplorent la complexité des procédures et, parfois, leur incohérence.
Certains vont jusqu’à regretter que leur pays n’applique pas la règle de la réciprocité – en exigeant des visas aux ressortissants français -, comme il vient de le faire récemment à l’égard des Saoudiens. « On demande des tas d’attestations (d’hébergement en France, de travail en Tunisie, de revenu, de congé, de souscription d’une police assurance, etc.), sans parler des longues files d’attente, parfois sous le soleil ou la pluie, devant les portes des consulats français », explique un jeune fonctionnaire. Qui ajoute : « Aux barrières géographiques et culturelles s’ajoutent les obstacles administratifs, dictés par les contraintes de sécurité et la hantise de l’immigration clandestine. »
À ces récriminations, les Français répondent que « les délais d’attente ont été réduits et les conditions d’accueil améliorées ». Ils citent aussi des chiffres : sur 90 742 demandes présentées en 2004, leurs services consulaires de Tunis (nord) et de Sfax (sud) ont délivré 72 201 visas, dont 17 308 visas de circulation, permettant à leurs bénéficiaires de voyager sans aucune contrainte ni limitation de fréquence pendant des périodes allant de 1 à 4 ans. Ce chiffre est d’ailleurs en légère hausse, puisqu’il s’établissait à 13 193 en 2002 et 14 773 en 2003. L’année dernière, 2 153 étudiants ont pu aussi se rendre dans l’Hexagone afin d’y parfaire leur formation, contre 1 414 en 2002 et 2 280 en 2003.
Avec 18 541 demandes non satisfaites, le taux de refus (20,4 % en 2004, contre 30,3 % trois ans auparavant) est jugé excessif par les Tunisiens. « Avec quatre visas accordés sur cinq demandes, le taux de délivrance est le plus élevé de la région », répliquent les Français.
Ces derniers citent aussi le nombre de personnes (15 000) et de familles (7 800) de nationalité tunisienne qui ont pu s’installer en France depuis 1997 dans le cadre du regroupement familial, ainsi que celui des saisonniers admis à travailler dans le secteur agricole français – la Tunisie fait partie des trois pays autorisés à fournir des saisonniers agricoles, avec le Maroc et la Pologne – et dont le nombre varie, bon an mal an, entre 500 et 900 personnes. Près des deux tiers de ces travailleurs sont originaires de la région de Jendouba (Nord-Ouest), l’une des plus pauvres du pays, précise une note du consulat général de France en Tunisie.