Togo – Des femmes fumeuses de poisson reprennent le chemin de l’école
IPS News – [23/09/04]
Tous les jours, Akuété, un pagne noué autour de la taille, le torse nu et plein de sueur, est plongée dans une énorme fumée, en train de retourner des poissons au-dessus d’une grille posée sur le feu.
Un grand foyer traditionnel fait en argile et couvert d’une vielle grille lui sert à fumer les poissons. Dans leur village, l’activité principale des hommes est la pêche alors que les femmes s’adonnent au fumage et à la vente des poissons.
Après le fumage, Akuété doit vite courir, avec un grand panier rempli sur la tête, vers le marché du port de pêche situé à une dizaine de kilomètres de Katanga. ”Nous y vendons, nous-mêmes, les poissons que nous fumons”, déclare-t-elle à IPS. ”Il arrive parfois que des clients viennent chez nous, mais la plupart du temps, nous nous déplaçons au marché”, ajoute-t-elle.
Mais, les mercredis, elle rentre tôt à la maison pour se ”rendre plus à l’école”. En fait, Akuété suit des cours en alphabétisation fonctionnelle. Elle a été choisie ainsi qu’une dizaine d’autres femmes du village pour apprendre à lire, écrire et à compter notamment.
De plus en plus confrontées à des difficultés dans la comptabilité et la gestion de leurs affaires, les fumeuses de poissons de Katanga se sont lancées dans un programme d’alphabétisation fonctionnelle en langue nationale ‘Ewé’.
Le commerce du poisson fumé est plus rentable que celui de poisson frais qui nécessite des moyens modernes de conservation. ”Nous n’avons pas les moyens de bien conserver les poissons, alors le fumage est très adapté”, explique à IPS, Dovéné Amouzou, une autre fumeuse de poisson.
”Nous avons beaucoup de problèmes dans la comptabilité et dans la gestion de nos affaires”, reconnaît Afi Djogbema, une fumeuse de poisson également, ajoutant que les cours d’alphabétisation pourraient les aider à mieux gérer leur petit commerce de poissons fumés.
Le premier groupe de femmes formées se chargera de transmettre plus tard les connaissances reçues à leurs consœurs. ”Cette formation nous aidera à faire face aux difficultés et nous avons accepté d’être les premières pour nous occuper plus tard des autres”, déclare Akuété à IPS.
La formation est assurée par l’Etat togolais qui a désigné un agent de la direction de l’alphabétisation pour dispenser les cours aux femmes dans une école publique de Katanga. Les femmes paient une contribution symbolique de neuf cents US chacune, par séance, qui sert juste à l’achat de la craie pour le travail du formateur.
La formation a débuté depuis deux mois et la plupart des bénéficiaires tirent déjà profit du programme d’alphabétisation, selon Akuété. ”Personnellement, je fais mes comptes sans difficultés depuis quelque temps et mes sœurs aussi”, témoigne-t-elle à IPS.
”J’ai senti une amélioration de mes recettes parce que je ne me perds plus dans mes calculs; et même la semaine dernière, j’ai vendu du poisson jusqu’à 13.000 francs CFA (environ 24,5 dollars)”, souligne Akuété. ”Mes recettes varient d’habitude entre 5.000 et 7.000 FCFA (entre 9,4 et 13,2 dollars environ), mais il arrive des jours où nous ne vendons rien du tout, surtout quand il pleut, les gens ne sortent pas”, ajoute-t-elle.
La formation s’inscrit également dans un vaste programme d’éducation pour la santé, qui vise à faire comprendre aux femmes l’importance de l’hygiène et de l’assainissement de leur environnement.
Le programme d’alphabétisation permet, dans un premier temps, d’instruire les femmes pour leur permettre de mieux gérer leurs activités génératrices de revenus en vue d’une amélioration de leur niveau de vie.
En outre, un système de crédit, en faveur des femmes, est sur le point d’être mis en place à Katanga, et qui sera géré avec la participation des bénéficiaires. ”Etant entendu qu’elles ont l’outil nécessaire en matière de bonne gestion, cette initiative pourrait connaître du succès”, espère Martin Afanou, un pêcheur résidant dans la même zone.
Ce système de crédit sera financé en partie par la fédération des pêcheurs et par un système de tontine aminé par les fumeuses de poissons. Mais aucun montant précis n’est encore défini pour le financement. Les femmes souhaitent recevoir le maximum de crédit.
”Nous avons jugé bon, pour augmenter le niveau de vie de cette population, de leur laisser sur place des moyens d’accompagnement pour qu’à la fin du programme, elles puissent se prendre en charge normalement”, indique Ngoussan Kissito, initiateur du projet.
L’alphabétisation fonctionnelle est un programme d’enseignement destiné à des personnes menant des activités génératrices de revenus. Cette formation leur permet de renforcer leur capacité de gestion des affaires et la bonne marche de leurs activités pour l’amélioration de leurs conditions de vie et de celles de leurs familles.
La population togolaise est estimée à environ cinq millions d’habitants dont 51 pour cent de femmes. Elles occupent une place de choix dans l’économie nationale : les femmes représentent 57 pour cent des actifs agricoles, 55 pour cent dans l’alimentation, le tissage, la poterie, la vannerie et le commerce, selon l’Association pour la promotion et l’épanouissement de la jeune fille (ASPEJEF) qui travaille également dans le domaine de l’alphabétisation des filles.
Le taux brut de scolarisation primaire chez les filles frôle le chiffre de 96,3 pour cent et le taux d’alphabétisation des adultes de sexe féminin est de 38 pour cent, selon un rapport national d’évaluation sur la mise en œuvre des recommandations de la Conférence internationale sur la population et le développement (CIPD, tenue au Caire, en Egypte, en juillet 1994). Ce rapport national a été établi en juillet 2004 par la Direction de la population du Togo.
Un plan d’action élaboré par la conférence dans la capitale égyptienne stipulait : ”Des changements dans les connaissances, les attitudes et le comportement aussi bien des hommes que des femmes sont des conditions nécessaires à la réalisation d’un partenariat harmonieux entre hommes et femmes”. Mais, dix années plus tard, ces objectifs sont, pour la plupart, loin d’être atteints. A l’instar des femmes fumeuses de poissons de Katanga, des femmes d’autres secteurs d’activités suivent également des cours d’alphabétisation fonctionnelle. L’association féminine Zonta club soutient actuellement des femmes portefaix des marchés de Lomé dans un programme d’alphabétisation. Le Zonta club leur a distribué gratuitement des ardoises et des craies au début de ce mois à l’occasion de la Journée internationale de l’alphabétisation.
”Cette journée est consacrée à nos frères et sœurs qui n’ont pas eu la chance d’aller à l’école et c’est une occasion de sensibiliser la masse sur le bien-fondé de l’école”, déclare à IPS, Vincent Makou, directeur régional des affaires sociales du Togo, à Lomé.
”Notre objectif est de permettre à un grand nombre de portefaix d’apprendre à lire, à écrire et à compter”, indique, à IPS, Kayissan Missoh, membre du Zonta club.