Tanzanie – Beaucoup de filles tombent enceintes et arrêtent leurs études
DAR-ES-SALAAM, 26 fév (IPS) – La grossesse est la première cause d’abandon de l’école pour les jeunes filles en Tanzanie. Mais, des efforts d’accompagnement du retour aux études ont été réalisés, comme une nouvelle loi de 2010, afin de remédier à ce phénomène qui revient régulièrement sur le devant de la scène.
Le problème des grossesses prématurées n’est pas nouveau en Tanzanie et intervient régulièrement dans le débat national. Le 10 février dernier, au cours d’une session de l’Assemblée nationale à Dodoma, la capitale, un parlementaire du ‘Civic United Front’, parti de l’opposition, interpellait Mwantumu Mahiza, député et ministre de l’Education, afin de connaître les mesures prises par le gouvernement dans la réduction du nombre de jeunes filles tombant enceintes à l’école.
Mahiza a répondu que son ministère prépare actuellement de nouvelles lois et politiques afin de résorber le phénomène, ajoutant que six pour cent des jeunes filles scolarisées abandonnent chaque année leurs études pour raison de grossesse. Ce chiffre rejoint un autre : 25 pour cent des Tanzaniennes de moins de 18 ans seraient déjà mamans.
Selon des statistiques du ministère de l’Education, 28.600 adolescentes auraient quitté l’école entre 2004 et 2008 pour cause de grossesse. Dans l’enseignement secondaire, les chiffres sont alarmants : une fille sur cinq aurait été enceinte et n’aurait pas terminé l’année scolaire en 2007.
La raison principale de ce nombre important de filles enceintes s’explique par des rapports sexuels non-protégés, et le manque de moyens contraceptifs. A cela, s’ajoute le contexte social. Par exemple, dans la région de Shinyanga (ouest de la Tanzanie), des parents ont menacé leurs filles de les expulser du domicile familial si elles passaient au cours secondaire.
Ils leur demandaient d’échouer afin de se marier le plus tôt possible. Dans certaines zones reculées du pays, des filles seraient enceintes à 11 ans. En cause, pour certains, la Loi sur le mariage de 1971 qui légalise l’union d’un homme avec une fille de 14 ans. Pour certains parents, marier leur fille et recevoir en échange une dot est un moyen de gagner de l’argent.
En outre, dans une population tanzanienne à 80 pour cent rurale, les parents, aux revenus modestes, ne peuvent bien souvent pas envoyer leurs enfants à l’école secondaire. A 13 ou 14 ans, quand elles finissent l’école primaire, les adolescentes se retrouvent donc au village, et c’est ainsi qu’elles tombent enceintes. "Un certain nombre de parents ne prennent pas au sérieux l’éducation de leurs enfants", leur reproche le ministère de l’Education.
Quoiqu’il en soit, le phénomène est pris très au sérieux par les autorités du pays car il confronte la plupart de ces adolescentes à des problèmes auxquels elles ne sont pas préparées. La chanteuse béninoise, Angélique Kidjo, ambassadrice du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), est venue en janvier en Tanzanie, sensibiliser la population à ce problème.
"Je suis triste quand je vois ces jeunes filles parce qu’être mère à 16 ans, ce n’est pas facile", a-t-elle notamment déclaré à Dar-es-Salaam lors d’une rencontre avec de jeunes mères.
Grâce à la pression de l’UNICEF sur le gouvernement tanzanien, une nouvelle loi a été adoptée en janvier 2010, qui fait réintégrer les filles mères dans leurs écoles d’origine. Ce qui était auparavant formellement interdit. Mais, l’UNICEF admet que tout n’est pas encore gagné, certaines écoles n’acceptant pas encore de réintégrer ces jeunes filles après l’accouchement, par ignorance de cette nouvelle loi.
Avant la révision de la loi, certaines jeunes filles étaient tout de même retournées étudier, dans des "centres professionnels" facilitant un retour aux études. Par exemple, on trouve à Dar-es-Salaam celui de Temeke que Kidjo a visité lors de son séjour en Tanzanie. Le centre de Temeke a été créé en 2006 : 80 étudiants enseignent aux jeunes filles ayant arrêté leurs études pour cause de grossesse bien souvent.
Les centres de ce type sont installés un peu partout dans le pays et dépendent du ministère de l’Education. Pour la formation, c’est souvent un soutien familial qui assure le financement : les filles y apprennent un métier manuel (coiffeuse, couturière…) ou font une remise à niveau sous la forme de cours du soir.
Bethsheba, 18 ans, est dans le centre de Temeke, mais vit chez sa tante. Mère du petit Thabit, elle est tombée enceinte en 2006, à la fin de sa dernière année d’école primaire, d’un ami et voisin. "Il disait qu’il m’aimait. Comme j’attendais les résultats de mon examen de dernière année, je pensais que c’était le bon moment pour avoir une relation", a-t-elle déclaré à IPS. Actuellement, Bethsheba suit des cours de remise à niveau dans le centre, espérant pouvoir intégrer bientôt une école secondaire.
Néanmoins, malgré la meilleure des volontés, le retour aux études reste délicat, surtout sans soutien familial. Catherine, 16 ans, est tombée enceinte au cours de ses études secondaires. "J’étais en 3ème année quand j’ai été obligée d’arrêter en raison d’une grossesse", se rappelle-t-elle. "Je veux aller au centre professionnel, mais c’est difficile car je n’ai personne à la maison pour garder ma fille".
En plus d’une éventuelle contamination au HIV contractée lors du rapport sexuel, il n’est pas exclu que des complications surviennent à l’accouchement pour ces jeunes filles. En Tanzanie, trois-quarts des accouchements s’effectuent à domicile, sans les soins et traitements appropriés.
Angelina, 16 ans, a quitté, enceinte, son école primaire de Dar-es-Salaam. Son bébé est né prématuré avec des problèmes cardiaques. Elle-même est restée quatre mois à l’hôpital, mais elle étudie à présent dans un centre similaire à celui de Temeke. Une issue heureuse parmi tant d’autres en Tanzanie, qui n’ont pas cette chance.
Quant au père de l’enfant, un conducteur de bus de transport en commun, il a disparu, abandonnant, comme souvent, seules ces filles, trop jeunes pour être mères, avec un bébé entre les bras, et sans autre forme d’assistance pour elles.
Parfois, les parents aident leurs filles quand ils le peuvent, mais certains n’hésitent pas à les renvoyer de la maison. Conséquence : beaucoup de jeunes filles, avec des enfants très petits, vendent des fruits et légumes au bord des routes. Elles doivent se débrouiller seules. (FIN/2010)
Par Arnaud Bébien
Source: http://ipsinternational.org