Système éducatif en Côte d’Ivoire : l’enseignement privé, quelle utilité ?
Source : Notre Voie
22 Novembre 2005
Cendres Glazaï
Le rôle que joue l’enseignement privé dans le système éducatif en Côte d’Ivoire est d’une importance capitale. Toutefois, s’il encadre un nombre toujours croissant d’élèves et obtient souvent de bons résultats, l’enseignement privé connaît de nombreux problèmes jusqu’ici insolubles qui jettent le discrédit sur la corporation. Alors, faut-il le supprimer ?
Grèves et licenciements des enseignements par ci, séquestrations et bastonnades des fondateurs d’établissement par-là, l’année scolaire 2004-2005 a connu bien de remous et a défrayé la chronique dans l’enseignement privé, notamment au secondaire. Les uns et les autres s’interrogent alors si les mêmes causes ne vont pas produire les mêmes effets pour la rentrée scolaire 2005-2006. Surtout qu’on sait que toutes les rencontres organisées pour aplanir le contentieux qui existe entre les antagonistes n’ont pu apporter de changements notables.
Etats des lieux
M. Dadié K. Julien, directeur du service autonome de l’enseignement privé (SAPEP) est formel. L’Etat de Côte d’Ivoire ne peut, à lui tout seul, assurer la formation de ses jeunes. C’est pourquoi il n’a pas hésité à accorder une place de choix dans son système éducatif à l’initiative privée. Il a pris à cet effet le décret n° 61 140 du 15 avril 1961 tel que modifié par le décret n° 97 625 du 3 décembre 1997 fixant les conditions de cession du service public. A en croire le ministre de l’Education nationale, M. Michel Amani N’Guessan, la concession de service n’enlève rien à l’autorité totale de l’Etat sur le secteur privé de l’éducation qui ne peut se soustraire des décisions générales traduites par les ministres chargés des enseignements.
L’enseignement privé comprend quatre secteurs : catholique, méthodiste, islamique et privé laïc. Les trois premiers relèvent de l’ordre confessionnel. Les établissements tels que le collège Notre Dame d’Afrique, le Collège Saint Viateur de Bouaké et même le grand séminaire d’Anyama ont fait les beaux jours de l’enseignement privé. Avec 28 établissements pour près de 10 000 élèves encadrés par plus de 3000 enseignements, le secteur catholique reste l’un des plus viables. L’enseignement méthodiste, quant à lui, gère quatre établissements dont le plus célèbre, le cours protestants de Dabou, compte 1500 élèves. Le secteur islamique est de création récente (année scolaire 94-95) et ne possède qu’un seul établissement secondaire.
Le gros du lot des établissements secondaires et des effectifs sont rattachés au privé laïc qui est l’affaire des promoteurs économiques. Près de 60 000 élèves repartis dans plus 465 établissements. Les problèmes rencontrés par tous sont multiples et se posent souvent de manière cruciale : arrêts intempestifs des cours, non paiement des salaires du personnel, grève des enseignements, licenciements abusifs de ceux-ci, effectif pléthorique, gestion approximative etc.
Des problèmes financiers
Le noeud de tous les problèmes évoqués, de l’avis de M. Koffi Yeboua, secrétaire général de la fédération des syndicats de l’enseignement privé laïc, est d’ordre financier. Pourtant, sur ce plan, la contribution de l’Etat n’est pas négligeable. Pour l’année 2004-2005, selon des sources généralement bien informées, les établissements laïcs ont bénéficié de 3 860 525 000 f. CFA, les catholiques 851 500 000F et les méthodistes 208 620 000. Ces établissements subventionnés, malgré tout, connaissent toujours un important déficit financier. Les fondateurs d’établissement unanimes se défendent : "La subvention et les frais scolaires ne sont pas toujours suffisants surtout que ceux-ci n’arrivent pas à temps". Puis, ajoutent-ils, auprès des banques de la place, ils ne peuvent, pour la majorité, dans une situation d’incertitude, bénéficier d’aucun crédit financier. Aussi ,
doivent-ils attendre une éventuelle aide du gouvernement qui permettrait de boucler l’année. A cela, il faut ajouter le problème de la mauvaise gestion comme l’explique ici M. Yaya fofana, professeur de français : "Les subventions que l’Etat accorde aux établissements privés ne sont pas extensibles. Le gouvernement fait déjà beaucoup d’effort de son côté. Aux fondateurs de bien gérer le peu qui leur est versé. Ce qui n’est pas le cas. C’est pourquoi il apparaît impérieux pour eux de mettre en place un véritable plan comptable qui puisse leur permettre de gérer convenablement leurs établissements. Ceci est d’autant plus vrai que chaque année, le gouvernement se trouve dans l’obligation de fermer certains établissements dont la plupart exercent dans une quasi clandestinée".
Les difficultés financières et la mauvaise gestion se traduisent généralement par des revendications salariales génératrices de turbulence.
Difficile entente
Les revendications sont naturellement le fait des enseignants qui, insatisfaits parce que ne percevant pas leurs salaires, boycottent les cours, observent des arrêts de travail chaque année scolaire. Mlle Gouley Odette, professeur de sciences, schématise ici la situation souvent vécue dans nombre d’établissements privés : "Le premier mois va toujours bien. Au deuxième mois, le fondateur dit : "écoutez, un peu de patience, tout ira pour le mieux". Au troisième et au quatrième mois, rien ne va plus". Jean Firmin Sihou Kemou, professeur d’anglais au lycée moderne de Port -Bouët est sans équivoque : "Dans ce cas, il s’ensuit des retards volontaires aux cours. Les élèves sont alors livrés à eux-mêmes". Avant d’ajouter : "Pour avoir été enseignant détaché dans un établissement privé, je sais que les professeurs sont victimes de la mauvaise foi et du manque de sérieux des fondateurs". Si vous voulez des preuves de cette assertion, l’orateur renvoie les sceptiques au partage des 14 milliards FCFA de l’union européenne détournés sans vergogne par les fondateurs. Les enseignants qui leur ont fait confiance n’ont leurs yeux que pour pleurer.
Par ailleurs, selon des témoignages concordants, déjà au mois d’avril, c’est-à-dire quelque 5 semaines avant la fin normale de l’année scolaire, ils congédient les élèves pour des raisons qu’on ignore. Mais M. Djegba réfute l’accusation de la mauvaise foi. "Au sein de certains de nos établissements, nous ne sommes jamais au courant des effectifs qui sont le plus souvent en dents de scie, soit pour cause de mauvais résultats aux examens, soit simplement parce que les rumeurs ont couru pour leur fermeture. Nous n’avons pas d’argent, mais nous payons 12 mois sur 12 lorsque nous engageons des professeurs permanents. Évidemment, cela est différent pour les enseignants vacataires, rémunérés à l’heure.
Avec des effectifs incertains et le problème des impayés de certains élèves, on ne peut pas faire un budget convenable".
Outre les irrégularités et les retards dans le paiement des salaires, les fondateurs d’établissement sont en désaccord sur le statut des enseignants. A en croire Rolland Guehiès, professeur de mathématiques, les enseignants du privé ne perçoivent que des salaries de "catéchistes". Tous les enseignants (une dizaine) que nous avons interrogés sur ce sujet estiment qu’une nette amélioration de la grille salariale est nécessaire.
Mlle Sylvie Goudagnon, professeur d’espagnol, se plaint de son salaire qui tourne autour de 46 000 FCFA. Elle accuse les fondateurs de bloquer malhonnêtement l’application de la convention, une bataille que les enseignants du privé ont gagné le 4 août 1994 au prix de mille et un efforts. Notons que cette convention devrait permettre de rémunérer les professeurs du second cycle à 103 450 F, et pour le premier cycle à 95 450 F. Ces réamenagements sont d’autant plus justifiés que contrairement aux allégations des fondateurs, les frais scolaires connaissent une augmentation sensible. Toutes les écoles privées affichent complet depuis l’arrêt des recrutements parallèles dans le secteur public. Mais aussi et surtout à la faveur de la guerre que connaît le pays.
Aussi, la libéralisation des tarifs scolaires devrait-elle permettre aux fondateurs d’équilibrer leur budget. En même temps, il s’est agi par cette mesure de mettre un terme aux exagérations de toutes sortes dans les établissements privés où les responsables instituent anarchiquement des tarifs flous, injustifiées. Mais cette hausse des tarifs scolaires, si elle a été salutaire pour les fondateurs, elle n’en a pas moins indisposé les parents d’élèves. Pour M. Gossio Robert, président des parents d’élèves à Port Bouët, à cause de la suppression du recrutement parallèle dans le secteur public, l’effectif dans les collèges privés a plus que doublé. Justement, le problème d’effectif pléthorique est l’un des maux dont ces établissements souffrent.
En effet, dans presque tous les établissements de l’enseignement privé, on enregistre des effectifs qui ne permettent pas toujours de respecter ni les quotas réglementaires ni la structure des classes. Lazare Koffi Koffi, ancien ministre de l’enseignement technique et de la formation professionnel, soutient, quant à lui, que le problème d’effectif pléthorique est partout une question de structures d’accueil en rapport avec la pression démographique.
Baisse de niveau
Dans ces conditions, a ajouté le ministre, il n’est pas surprenant que des difficultés d’ordre pédagogique soient courantes. Ces difficultés sont essentiellement liées au mode de recrutement fantaisiste des élèves mais aussi et surtout à la compétence approximative des enseignants. Le minimum exigé à ces derniers est le BEPC pour le premier cycle et le Bac pour le second cycle. Certes, M. Josué Loko, fondateur des cours Loko, rassure que la plupart des établissements privés utilisent un fort pourcentage de diplômés universitaires et même certains enseignants titulaires d’un doctorat. Mais de l’avis de ceux-ci, très souvent, ils sont affectés à des classes qui ne sont pas de leur domaine de compétence.
Ainsi, on parle de baisse de niveau à juste titre comme le témoigne ici un enseignant qui a requis l’anonymat : "Plus les années passent, plus les élèves deviennent faibles". Puis l’homme nuance ses propos : "Les fondateurs reçoivent souvent des cas dont les établissements publics ne veulent plus. Sans oublier la démission des parents et la trop grande place accordée aux distractions". Il faut reconnaître qu’il existe dans certains établissements privés un malaise et une atmosphère malsaine peu propice aux bons résultats. C’est précisément pour atténuer les effets néfastes de cette situation sur la crédibilité du système que le ministre de l’éducation nationale veut assainir la profession. Son premier responsable, M. Amani N’Guessan, met l’accent sur la responsabilité de tous les promoteurs en leur exigeant plus de sérieux et de maturité en tant qu’éducateurs.
Cela implique un courant permanent de réflexion et de concertation. Cette responsabilité sous-entend une nouvelle approche qui puisse garantir de façon durable une bonne image de l’enseignement privé en Côte d’Ivoire. Aussi la qualité devrait-elle désormais en être le maître-mot, à en croire le directeur de SAPEP. Car l’enseignement privé ne saurait se complaire dans la médiocrité. Cette exigence de qualité appelle un changement systématique de comportement des principaux acteurs et plus de conscience professionnelle de la part de l’encadrement. La nécessité d’une dotation en matériel didactique approprié (qui fait le plus souvent défaut), l’amélioration de la compétence des enseignants, ainsi que celle de leur statut social sont plus que jamais impérieuses.
Toutes les pratiques qui iraient contre ces exigences ne pourraient que nuire à la crédibilité de l’enseignement privé qui produit malgré tout des résultats satisfaisants. Il ne saurait donc être question de sa disparition. C’est un mal nécessaire.