UNIVERSITÉ CHEIKH ANTA DIOP DE DAKAR : Pourquoi les échecs massifs au premier cycle
Article publié dans l’édition du Mercredi 1er septembre 2004
Source : http://www.lesoleil.sn
À l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD), les résultats globaux de la première session des examens sont évolutifs, si l’on part de la première année pour aboutir au Diplôme d’Études Approfondies (DEA). Dans les Facultés, les étudiants du second et du troisième cycles ont fait de meilleurs résultats que leurs camarades du premier cycle. Dans les écoles et instituts de formation, les mêmes tendances sont constatées : il s’agit du taux d’encadrement qui favorise de bons résultats. C’est dire en définitive, qu’il se pose un réel problème d’échec massif au niveau du premier cycle. Les explications sont nombreuses, de même que les solutions. Notre reporter explore les tendances des résultats des examens avec le directeur de la Réforme, M. Abdou Karim Ndoye.
DANS LES FACULTES : le second cycle a fait une bonne moisson
Les Facultés ont de quoi êtres satisfaits de leur niveau supérieur. Aux deuxième et troisième cycles, les étudiants ont mieux « bûché » que leurs camarades du premier cycle. Ils font ainsi une bonne moisson.
Pour l’ensemble des cinq Facultés, les chiffres représentant le taux des résultats évoluent positivement de la première année à la quatrième année, a indiqué M. Ndoye. Au niveau de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines, qui a près de 17.000 étudiants : « nous n’avons que les résultats des départements de Philosophie, de Sociologie, de Lettres Modernes, d’Anglais, d’Espagnol, de Portugais, d’Italien, d’Histoire et de Géographie. Dans cette Faculté, on remarque qu’aucun de ces départements n’a un résultat de plus de 50 % de réussite », explique Abdou Karim Ndoye.
Il dit avoir fait le constat selon lequel, les résultats sont mauvais en 1ère année. Car, si l’on fait une comparaison entre les résultats de la première et ceux de la deuxième année, toujours pour les mêmes départements, on constate une nette amélioration en deuxième année. Par exemple, au département d’Allemand, on passe de 13,76 % de taux de réussite en 1ère année à 36,73 % de taux en 2ème année. Au département d’Italien, il y a en 2ème année, un taux de 60 % et 53,33 % au département de Lettres Classiques, pour le même niveau d’études.
Cette progression est nette partout selon les explications fournies par Abdou Karim Ndoye pour qui, les résultats sont très bons en Licence, Maîtrise et DEA à la Faculté des Lettres. Certains taux en Certificat de Licence et en Certificat de Spécialisation varient entre 80 et 100 %. Au DEA, seuls les résultats du département d’Arabe, qui sont de 100 % de réussite, sont détenus par le Rectorat. Pour la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques (Droit), le taux de réussite varie de « 7,59 % en 1ère année à 13,7 % en 2ème année, puis à 91,3 % en 3ème année de Droit Privé Affaires, avant d’atteindre 100 % en 4ème année section Administration Publique et Relations internationales ». Dans cette Faculté, la progression est réelle en Capacité où l’on passe de 13 % en 1ère année à 26,2 % en 2ème année.
La tendance évolutive des résultats est aussi la même à la Faculté des Sciences et Techniques. On y passe de 37,73 % de taux de réussite en 1ère année de Maths-Physiques à 60,86 % en Licence. En Faculté des Sciences Économiques et de Gestion (FASEG), Abdou Karim Ndoye souligne que de bons résultats y sont notés. En effet, le taux d’admission varie entre 38,28 % en 1ère année à 71,14 % en 3ème année Option Analyse et 71,67 % Option Gestion. En quatrième année de cette Faculté, il y a 81,65 % d’admis (Option Analyse) et 82,22 % d’admis (Option Gestion).
À la Faculté de Médecine, Pharmacie et Odontostomatologie, le taux a aussi évolué, passant de 11,67 % en première année, à 26,48 % en deuxième année. En Pharmacie, il y a aussi un taux de réussite de 33,24 % en première année. Ce pourcentage a évolué pour atteindre 58,11 % en 5ème année. La même tendance est observée en Chirurgie dentaire où, cependant, une baisse est constatée en 4ème année.
INSTITUTS ET ECOLES : Un bon encadrement favorise de bons résultats
D’une manière générale, les écoles et instituts de formation rattachés à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar ont fait de bons résultats.
Au niveau de l’Institut National Supérieur de l’Education Populaire et du Sport (INSEPS), de l’Ecole Supérieur Polytechnique (ESP), du Centre des Etudes des Sciences et Techniques de l’Information (CESTI), et de l’Institut de Français pour les Etudiants Etrangers (IFE), les résultats sont « très bons ». Ainsi s’exprimait Abdou Karim Ndoye, directeur de la Réforme à l’UCAD. Appréciant ces résultats, il considère qu’ils varient de 83 à 100 %.
Pour lui, dès lors que l’étudiant passe en deuxième année, le taux de réussite s’améliore. Les écoles nationales et instituts d’université font de meilleurs résultats que les Facultés, a ajouté M. Ndoye. Cela s’explique selon lui par divers facteurs. Il y a d’abord la qualité du taux d’encadrement qui est d’un professeur pour huit étudiants (1/8), soit trois fois mieux que la norme internationale (1/19). Or, dans les Facultés, le taux d’encadrement varie d’un professeur pour 62 étudiants à un professeur pour 87 étudiants. Le taux moyen d’encadrement à l’université est d’un professeur pour 43 étudiants.
De l’avis de M. Ndoye, la notion de taux d’encadrement est essentielle, même à l’université. Elle est surtout «stratégique ». Car : « l’étudiant, qui bénéficie d’un encadrement de proximité, accompagné dans le processus d’enseignement-apprentissage par des professeurs, qui savent être à leur écoute, qui l’orientent, le guident, le conseillent et lui apprennent à apprendre, réussi ».
M. Ndoye persiste sur cette notion d’encadrement. Car, selon lui, si pour différentes raisons d’ordre économique et pédagogique, l’étudiant ne bénéficie pas, dans les Facultés, d’un bon encadrement, il aura des difficultés à trouver des stratégies efficaces d’apprentissage. Ce qui explique souvent les taux d’échec massifs dans les Facultés, notamment en 1ère année des Facultés de Lettres et de Droit.
À cela s’ajoutent des « facteurs de contexte », adverses à la réussite. Il s’agit du type d’apprentissage, de la technique de prise de notes et de la documentation qui ne sont souvent pas maîtrisées par les étudiants qui, du coup, sont laissés à eux-mêmes.
Un autre problème réside dans la nature des évaluations. Celle-ci « ne favorise pas de bons taux de réussite ».Pour donc le directeur de la Réforme : « il n’y a pas une pédagogie de la réussite qui est développée dans les Facultés ».
Il y a enfin les facteurs socio-économiques. Ce sont, pour la plupart, des problèmes sociaux dans leur campus social (5.000 lits pour près de 37.800 étudiants, ce qui crée la promiscuité), de transport (qui entraîne l’épuisement professionnel), de places dans les amphithéâtres où l’on joue aux coudes pour se trouver une place. Il y a ainsi une situation « d’inconfort pédagogique, d’épuisement professionnel » qui a pour conséquence le manque « d’attention et de motivation pour apprendre de manière intelligente un cours ».
ABDOU KARIM NDOYE, DIRECTEUR DE LA RÉFORME À L’UCAD : « Il faut rompre avec la politique solitaire de notation »
Différentes recherches ont démontré que les étudiants échouent moins à cause des facteurs pédagogiques, qu’à cause de facteurs non-pédagogiques ou facteurs de contexte.
L’un des plus importants facteurs d’échec à l’UCAD est son climat organisationnel. En effet, l’UCAD est souvent perturbée par des grèves et des conflits qui ne permettent pas aux étudiants d’avoir le temps d’assimiler les connaissances qu’on leur enseigne, trouve son directeur de la Réforme. Le problème d’inadaptation est réel pour les nouveaux étudiants. Il se demande dans cette optique si, en définitive, le Baccalauréat donne aux nouveaux étudiants : « un bon niveau pour suivre des études supérieures ». Si cela est possible, se pose alors, pour M. Ndoye, la question des « stratégies d’enseignement et d’apprentissage utilisées par les collègues dans les Facultés ».
Dans le cas contraire : « il est nécessaire de réformer le Bac pour que nous soyons sûrs que le nouveau bachelier arrive à l’université avec des Connaissances, des Compétences et des Comportements (les trois C) qui lui permettent de s’intégrer dans l’Enseignement supérieur ». Car explique-t-il encore : « les étudiants échouent moins à cause des facteurs pédagogiques qu’à cause de facteurs non-pédagogiques ou facteurs de contexte, comme l’ont démontré différentes recherches ».
Selon le directeur de la Réforme de l’enseignement et de la pédagogie, pour pallier le récurrent problème des échecs dans les Facultés, il est plus que nécessaire de trouver les moyens d’adapter les stratégies d’enseignement et d’apprentissage, de les améliorer et de les diversifier. À cet effet, les enseignants des Facultés doivent trouver d’autres modalités d’enseignement que les cours magistraux, les Travaux Dirigés (TD) ou les Travaux Pratiques (TP).
« Il faut que nous allions vers d’autres techniques d’enseignement comme l’approche par résolution des problèmes, les pédagogies du progrès, les por folios», confie-t-il. Il ajoute : « je ne suis pas sûr, même si je lui reconnais le maximum de mérite, que la dissertation soit la seule épreuve par laquelle on peut mesurer le niveau de connaissance d’un étudiant à un moment déterminé de sa formation». Mieux, renchérit M. Ndoye : « nos collègues devraient aller vers la pédagogie par objectif. Il faut, au début de l’année, que les professeurs nouent un contrat pédagogique avec les étudiants en définissant de manière claire les objectifs visés dans l’enseignement. En d’autres termes, pratiquer la pédagogie de la transparence ».
Selon lui, l’amélioration du taux de réussite est un « impératif ». Il faut alors que les collègues des Facultés enseignent autrement ! Car il est humainement impossible qu’un enseignant puisse corriger 1.000 copies voire 1.200.
« En évaluation, l’instrument de mesure, c’est l’évaluateur. Or toute chose étant égale par ailleurs, un homme, une femme, un professeur, c’est toujours une personne, donc c’est toujours la subjectivité », s’explique-t-il encore.
Il suggère que l’on abandonne dans les Facultés la politique solitaire de la notation. Il faut donc imaginer des formes plus modernes d’évaluation. Abdou Karim Ndoye précise toutefois qu’il n’encourage pas l’abandon de la dissertation. Mais, il faut faire en sorte que dans les modalités d’évaluation, le contrôle continu prenne le pas sur le contrôle terminal. C’est d’ailleurs ce que préconise la réforme LMD (Licence-Master-Doctorat).
CONTROLE CONTINU
La réforme LMD encourage la «semestrialisation», mais surtout : « le contrôle continu ». Cela pourrait « améliorer les taux de réussite, parce que les étudiants feraient des épreuves sur des choses que maîtrisent les étudiants dans des temps déterminés », affirme M. Ndoye.
Il s’agit, pour le directeur de la Réforme, de faire subir aux étudiants, «du 1er octobre au 15 février, un enseignement et une évaluation, puis du 16 février au 30 juin, des enseignements du second semestre avec l’application du même procédé que le premier semestre ». Ce qui, pour lui, ferait que la masse d’informations qu’un étudiant doit recevoir serait « réduite ». Mieux, « l’étudiant sait à quoi s’attendre lorsqu’il est en salle d’examen, parce que plus les étudiants seront informés sur ce qui les attend, plus ils ont des chances de réussir », pense M. Ndoye.
En somme, pense le directeur de la Réforme, les conditions sociales et économiques et les conditions pédagogiques ne sont favorables à la réussite des étudiants. Et l’on ne peut renverser la tendance sans prendre des mesures « d’ordre social (rôle du COUD), économique (rôle du gouvernement) et pédagogique (rôle du Rectorat).
Le Recteur, avec son équipe, selon M. Ndoye, cherche à créer un espace de «paix, de concertation et de négociations avec tous les acteurs de l’institution : étudiants, enseignants, partenaires sociaux».
Cela a permis de pacifier très sensiblement l’espace universitaire. «L’amélioration constatée des résultats de cette année pourrait être liée à cette relative pacification de l’espace universitaire », pense M. Ndoye. Ainsi, « plus l’espace universitaire est pacifié, mieux les étudiants ont des chances de réussite.
«La preuve, la FASEG, qui n’a pas connu de perturbations, a enregistré de très bons résultats, toutes années considérées. C’est aussi le cas dans les écoles », note le directeur de la Réforme. Il faut donc travailler à « pacifier l’espace universitaire, construire des consensus autour des choix et la vision du Recteur, sont les axes de politique des autorités rectorales », indique M. Ndoye qui appelle tous les acteurs et partenaires de l’université à faire de l’Enseignement supérieur un « enjeu » pour combattre les « facteurs adverses » et «réduire sensiblement les taux d’échec massifs ».
PAR DAOUDA MANÉ