Sénégal – « Les épreuves aux examens ne tiennent jamais compte des grèves »

« Les épreuves aux examens ne tiennent jamais compte des grèves »

Les examens de fin d’année scolaire 2008-2009 ( Bac, Cfee, Entrée en 6éme, Bfem..) démarrent pour l’ensemble du système éducatif national. Mais cette année encore, les retards liés à des mouvements de grèves des enseignants et des enseignés inquiètent bon nombre de parents et d’élèves candidats aux différents examens et concours. Et pour cause, malgré l’énorme déficit de quantum horaire enregistré à cause des nombreuses perturbations, le calendrier des examens restent inchangé. Ce qui laisse douter certains que les candidats aux examens aient pu, entre temps, rattraper tout le temps et les cours perdus. Peu importe semble dire, le doyen de l’IGEN. Pour Monsieur Ndiougou Faye, Inspecteur général de l’éducation nationale « l’examen ressemble parfois à une loterie ». Et d’ajouter en substance que « les épreuves sont toujours confectionnées sur la base du principe que l’année est supposée toujours normale.

Le système éducatif Sénégalais a connu au cours de l’année scolaire 2008-09 encore beaucoup de perturbations. Comme ça été, d’ailleurs le cas toutes ces dernières années. Malgré tout le calendrier des examens reste maintenu. Dans une telle situation à quoi faut-il s’attendre avec les examens ?

Il faut tout de même déplorer ces grèves qui, à coup sûr, ont toujours un impact négatif sur la qualité de notre système éducatif. Parce qu’il est évident dès qu’il y a une heure de cours de perdue ça impacte négativement sur l’enseignement qu’aurait dû recevoir les élèves. Même si au niveau des examens l’impact peut être différent. Parce que tout simplement un heureux hasard peut faire que des élèves qui n’ont pas vu tout leur programme tombent sur un aspect qu’ils ont abordé en classe. Et il arrive ainsi à enregistrer des résultats appréciables. Mais le seul fait d’avoir réussi, par pur hasard à l’examen, ne veut pas dire que les lacunes accumulées ne vont pas impacter négativement le cursus.

Pourquoi quand il y a eu de nombreuses perturbations au cours de l’année on ne pense jamais à réajuster les épreuves ?

(rires) En fait tout examen est un jeu de loterie. Je veux vous dire simplement qu’il y a chaque année un calendrier officiel qui est fixé. C’est sur cette base qu’en début d’année l’Office du Bac et le service des Examens et Concours qui est devenue une direction repèrent des enseignants chevronnés proposés par les inspecteurs de spécialités et des inspecteurs généraux pour leur demander de faire des propositions de sujets pour les examens.

A partir du mois de janvier ces épreuves sont envoyées à ces services qui procèdent au premier tri pour voir celles qui respectent le niveau supposé des élèves en fin d’année et des programmes officiels. Et c’est à la suite de ces premiers tris que les inspecteurs généraux vont procéder au dernier choix avant de passer aux autres étapes à savoir la frappe, la correction, la relecture. Toutes sortes d’étapes préalables avant le bon à tirer des épreuves définitives.

C’est dire en fait que les épreuves des examens ne sont pas choisies en fonction du déroulement de l’année mais plutôt sur la base du principe supposé d’une année normale. Ainsi, si les élèves tombent sur quelque chose qu’ils ont déjà vue c’est une chance sinon c’est l’hécatombe.

Vous voulez dire que le niveau des élèves et l’évolution des enseignements importent donc très peu ?

Le problème fondamental c’est qu’il n’y a pas une allure harmonisée de la progression des enseignements et des programmes. On peut voir selon les enseignants que les uns commencent par la fin du programme conventionnel, d’autres par le milieu, etc. C’est pourquoi, je pense qu’il est difficile de faire de la démocratie à ce niveau.

Pourquoi ne voudrait-on, compte tenu de certaines situations particulières, réaménager le calendrier scolaire ?

Ces questions de calendriers des examens relèvent du niveau politique. Et vous n’êtes pas sans savoir par exemple, que pour ce qui est de l’organisation du baccalauréat cela obéit à un certains nombre de contraintes liées aussi bien au temps imparti aux élèves devant remplir les formalités d’inscription pour l’enseignement supérieur que celles qui sont liées à la disponibilités des professeurs chargés de l’encadrement des épreuves. Ces professeurs relèvent tous de l’Université. Il y a souvent d’autres taches qui les attendent ailleurs.

Comment, selon vous, situer les responsabilités des uns et des autres par rapport à cette grande confusion qui règne dans le système éducatif sénégalais ?

En fait ceux qui font des grèves de manière sauvage sont les premiers responsables de cette situation. Parce qu’à un certain niveau de responsabilité on ne doit pas décider d’aller en grève n’importe comment. Aussi, dès qu’on arrête une grève, on doit toujours penser à combler les lacunes et ne pas avancer des discours trop simplistes et vides de sens consistant à dire à tel niveau les enseignants continuaient à faire cours. Ce qui est toujours faux d’ailleurs. Dès lors il n’est pas étonnant de constater pour le regretter que la construction du savoir de nos enfants en prend un sérieux coup. Aussi, ce qui est valable pour les lycées et les collèges ou encore pour les gens de l’Université ne l’est pas pour l’enseignement élémentaire car pour ces premiers ordres d’enseignement il y a des bibiographies, et le Net qui permettent aux élèves et étudiants de continuer leurs apprentissages. Mais pour les élèves de l’élémentaire, après une semaine de grève ils désapprennent tout.

Certainement c’est ce qui explique le niveau actuel des élèves dans ce dernier ordre d’enseignement

C’est une catastrophe. Si les enseignants pouvaient trouver d’autres moyens de revendiquer et ne pas hypothéquer l’avenir de ces gosses ce serait beaucoup mieux. Parce que 2, 3 voire un mois de grève remet tous les acquis de l’élémentaire en cause. C’est malheureusement ce à quoi on assiste chaque année au Sénégal.

Ceux qui sont à l’origine de cette situation sont-ils réellement conscients de toutes ces difficultés ?

En fait ceux qui sont à l’origine de cette situation sont malheureusement bien conscients du tort qu’ils causent aux élèves et au système. Pour mettre un terme à cette situation je ne vois qu’une solution politique qui consiste à un accord de trêve sur 3 voire 4 ans pour permettre ainsi de combler toutes les lacunes accumulées toutes ces dernières années.

Au-delà de cette décision politique ne pensez-vous pas qu’il y a également lieu de revoir le choix des hommes devant présider les établissements scolaires ?

Je partage entièrement ce sentiment. Et je pense qu’il faut qu’on arrive à professionnaliser la fonction de chefs d’établissements. Parce que tout le monde est d’accord que la gestion démocratique a vraiment donné ses limites. Je pense qu’il n’est plus question de confier le pilotage des établissements à des hommes qui sont supportés par des syndicats ou qui sont à 2 ou 3 ans de la retraite. La meilleure méthode, à mon avis, serait de faire passer des concours aux candidats à des responsabilités et qu’ils subissent après leur admission une formation. Comme c’est le cas pour les professeurs, les inspecteurs. C’est dire qu’il faut qu’on créé à la Fastef une section spécialisée dans l’administration scolaire.

Il semble que l’on s’achemine de plus en plus vers la suppression de l’Entrée en 6éme. Mais avec le niveau actuel des élèves est-ce que cela ne va pas contribuer à affecter davantage la qualité des enseignements au niveau du moyen secondaire ?

C’est vrai que c’est l’objectif fixé à long terme mais sa réalisation dépend de l’extension du réseau des collèges de proximité. Aussi, ce qu’il y a lieu de faire remarquer c’est que chaque décision à son aspect positif comme son aspect négatif. Mais quand même je suis tout à fait d’accord que l’on s’oriente vers la massification qui s’accommode mal avec la qualité. Seulement il y aura un accompagnement qui va améliorer la qualité. Et que aussi il faut à tout prix rompre avec l’enseignement élitiste.

Quid de l’énorme déficit du quantum horaire dont on dit qu’il a fini de grever la qualité du système.

C’est vrai que le déficit en matière quantum horaire pose problème. Dans les régions où il pleut beaucoup la situation semble beaucoup plus difficile c’est le cas notamment à Kédougou. Mais ce dont on est sûr c’est qu’on n’atteint nulle part dans les régions du pays les 900 ou les 800 heures requises.

Vous les Igen, arrivez-vous à jouer correctement votre rôle d’analyse, d’évaluation et de conseils pour améliorer le secteur ?

A cause de certains dysfonctionnements on n’a pas encore atteint notre vitesse de croisière dans notre mission d’analyse, d’évaluation et de conseils. On souhaiterait que toutes les informations puissent nous parvenir pour que nous puissions donner des avis motivés et circonstanciés. Malheureusement tous les inspecteurs de spécialité ne sont pas ampliataires des rapports des inspections d’Académie.

Y-a-t-il des régions qui se distinguent des autres de part leurs performances ?

Tout dépend en fait du dynamisme de l’équipe, de sa capacité d’impulsion et de ses capacités de contrôle. D’ailleurs, dans la plupart des régions les Inspecteurs d’Académie sont assez chevronnés et ils savent comment manager une Académie.

Mais au vu de la situation actuelle de l’école sénégalaise, avec ses perturbations, les pluies précoces, les grèves cycliques qui sont liées à certains facteurs qui sont souvent fonction de l’évolution de l’année, n’y-a-t-il pas lieu de réaménager le calendrier scolaire ?

Je pense que le réaménagement du calendrier scolaire est assez opportun et nécessairement important. Je suis d’avis qu’il est temps de se passer de l’Agenda hérité de la colonisation. Il faudra voir d’autres jalons en dehors de ce qui existe.

Est-ce que ces jalons dont vous faites allusion ne recoupent la réforme initiée par les membres de l’Académie des sciences qui ont tenu tout récemment un atelier à l’issue duquel ils ont annoncé l’impérieuse nécessité de réformer en profondeur le système ?

Nous partageons les mêmes idées. D’ailleurs des Igens sont parmi les groupes de réflexion constitués par l’Académie des Sciences. Quand ils auront fini leur travail on pourra faire nôtre les conclusions.

En parlant du système on ne peut vraiment pas oublié la question des corps émergents (volontaires et vacataires) que certains prennent parfois pour responsables de la baisse de qualité du secteur. En tant responsables en quelque sorte de l’éthique de la corporation enseignante, quel est votre sentiment sur la question ?

A mon avis les corps émergents ont rendu énormément de services au système. Il faut bien le reconnaître certains d’entre eux s’acquittent avec bonheur de leur mission. Et je pense que quand ils sont motivés ils peuvent soutenir vaillamment la comparaison avec d’autres acteurs du système. Beaucoup d’entre eux ont bien réussi à s’incruster mais comme dans tous les corps il ya des touristes en leur sein. On y retrouve du tout dans le corps. Et le problème fondamental c’est qu’il y a beaucoup d’entre eux qui n’ont pas encore été formés . C’est parce qu’à l’Ecole normale il y a un problème lié à des capacités d’accueil. C’est pourquoi aujourd’hui on s’oriente vers la décentralisation si bien que les corps émergents vont rester dans leurs régions d’exercice où les inspecteurs de spécialité, les conseillers pédagogiques et les inspecteurs généraux vont servir de relais et de répétiteurs. Et la Fastef va se charger de leur donner les programmes. Ainsi, les Efis et PRF vont être regroupés et selon leurs statuts, les uns et les autres vont s’orienter vers leurs sections de spécialité.

Et l’épineuse question de leur recrutement ?

C’est au niveau des IA que cela se fait. C’est vrai qu’il y a un problème à ce niveau qui est surtout lié à la qualité de certains parmi les recrutés. Mais que voulez-vous, il est quand même très rare de trouver des vacataires licenciés à Tambacounda ou ailleurs dans les régions éloignées. C’est pourquoi dans ces localités on est obligé de se rabattre sur des bacheliers comme vacataires. Certes ils peuvent rencontrer des problèmes mais ils arrivent toujours à se débrouiller tant bien que mal.

Exergues :

1-« Tout examen est en quelque sorte un jeu de loterie »

3-Le problème fondamental c’est qu’il n’y a pas une allure harmonisée de la progression des enseignements et des programmes. »

2-« Il est temps de se passer de l’Agenda héritée de la colonisation. Il faudra voir d’autres jalons en dehors de ce qui existe »

Mamadou Mika LOM | SUD QUOTIDIEN
19 juin 2009

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