Le PDEF*, la qualité et l’orientation professionnelle : pour un maintien « fonctionnel » des filles à l’école
Par :
Malang Mané – Psychologue – Conseiller d’orientation (Sénégal)
Mars 2005
(*) Programme décennal de l’éducation et de la formation
A quoi sert ce que j’apprends ? Voilà une interrogation dont la réponse est non moins un échafaudage sur lequel pourrait reposer toute la crédibilité d’un projet d’éducation.
Au Sénégal, de nombreuses stratégies sont déployées pour arriver à la parité entre garçons et filles à l’école. Celles ci se traduiraient par l’élimination des disparités et l’instauration de la longévité du cursus scolaire des filles. Cependant faut–il maintenir pour maintenir ? Pourquoi et comment maintenir les filles si l’on sait que les canevas traditionnels d’orientation demeurent l’apanage des garçons au détriment des filles jusqu’ici confinées à des études ou métiers aux considérations colorées ?
Au moment où un accent particulier est mis sur la composante qualité dans la réalisation du PDEF, des réponses hardies doivent être trouvées contre les déperditions scolaires qui ne cessent de se féminiser. Pour ainsi dire, la désertion des parcours scolaires scientifiques et techniques par les filles ainsi que leur taux élevé de déscolarisation comparativement aux garçons, continue de constituer des obstacles majeurs à l’atteinte des objectifs de qualité.
En effet, la division sexuée de l’accès à l’éducation est renforcée par la différenciation du choix d’orientation selon le sexe ou l’origine sociale rendant problématique la finalité éducative face aux impératifs de développement équitable des ressources humaines. Sans nul doute, la promotion de la qualité
des enseignements et apprentissages passe par une amélioration véritable des conditions d’études et de formation (collèges de proximité, cantines et bourses scolaires, recrutement et formation des enseignants, développement des outils pédagogiques etc.). Cependant, s’il y a un trou noir dans la définition actuelle des stratégies d’édification d’une qualité durable à l’école, c’est bien la non mise d’un cachet technique dans l’appréciation des procédures et processus d’orientation au niveau surtout des paliers dits d’orientation que sont les classes de troisième et de terminale. Jusqu’ici, on continue de procéder à une ventilation-orientation des élèves sans aucun accompagnement professionnel réel aussi bien en amont qu’en aval. Pourtant, en plus des résultats scolaires qui déterminent les voies scolaires, il y a des facteurs psychoaffectifs ou socioculturels qui articulent bien des décisions d’orientation, avec tout ce que cela comporte comme conséquences. Tout compte fait, il n’est pas besoin d’avancer des chiffres pour constater les pertes énormes en ressources humaines et économiques : beaucoup de réorientation d’élèves à l’issue de la seconde scientifique, peu de filles dans les filières scientifiques, de nombreux cas d’abandon et de redoublements. Si l’on ne prend garde à faire de l’orientation des élèves surtout des filles une priorité afin de les aider à mieux s’orienter plutôt qu’à être orientés, on manquerait à donner une finalité au droit à l’éducation par une méprise du droit à l’orientation qui pourtant lui vaut tout son sens.
A ce titre, soulignons pour illustrer notre propos, le cas des clichés professionnels et stéréotypes sur les rôles hommes-femmes nées des traditions culturelles et souvent reproduits jusque dans les représentations de manuels scolaires. Ce qui compromet à juste titre, l’égalisation des normes d’évaluations car prédisant les possibilités d’orientation selon le sexe ou l’origine sociale.
Bien qu’elles soient les plus assidues à la réussite scolaire, l’évidence est là de l’état de désertion très féminisée des séries scientifiques. Une grande partie d’entre elles, est guidée vers les séries littéraires. Et même si certaines sont attirées part des professions médicales ou sociales, rares sont celles qui se destinent au secteur de l’industrie par exemple.
Pourtant elles ont les mêmes aptitudes que les garçons sinon plus de potentialités compte tenu des nombreuses contraintes domestiques (travaux ménagers…) et des aléas socioéconomiques dont beaucoup d’entre elles issues de familles pauvres sont confrontées.
Sous cet angle, et par souci d’équité et de justice sociale, il importe de leur prodiguer un suivi-accompagnement aux fins de les aider à mieux s’épanouir. Une attention doit ainsi être accordée à l’élaboration, à la construction et au déroulement optimal de leur projet scolaire ou professionnel car quoi qu’on puise dire le niveau de formation et la spécialité influencent inexorablement l’insertion professionnelle.
Il s’agit, entre autres, d’éclairer leur choix, de renforcer leur motivation, d’aiguiser leur curiosité, bref leur aider à s’auto-éduquer au choix, à la persévérance d’une orientation durable, ambitieuse et prometteuse.
Cela ne peut se faire sans l’implication de tous et de chacun : professeurs, parents d’élèves, conseillers d’orientation, assistants sociaux, médecins scolaires etc.
Il faut le reconnaître, les enseignants peuvent et doivent jouer un rôle décisif dans l’orientation des filles. Dans l’exercice de leur profession, dans leurs actes, outils et méthodes pédagogiques ils enrichissent l’éventail de représentation ou de motivation de la fille par rapport à la matière enseignée et aux savoirs transmis. A ce titre, les procès d’évaluation et les sanctions positives ou négatives qui en découlent, attisent le questionnement de celle-ci sur sa vocation, ses aptitudes ou inaptitudes. Ce qui à l’évidence interpelle dans un souci de cohérence et de continuité, la contribution du conseiller d’orientation parmi d’autres spécialistes, pour un accompagnement personnalisé, globalisé et contextualisé de l’élève.
De nos jours, avec les inquiétudes nées des contingences socio-économiques, technologiques et culturelles, les parents, pour ne pas dire l’entourage, ont un regard particulier sur l’orientation de leurs filles. Sans restreindre la portée opportune de leurs investissements «émotionnel» et économique, il importe de renforcer leurs capacités d’accompagnement de leurs enfants pour les amener à éviter la réalisation de projections ou préjugés inopérationnels ou inopportuns sur une filière d’étude ou une profession. Qui plus est, le renouvellement constant des profils et des compétences liés aux postes de travail rend désuète tout choix béat, rendant ainsi plus que jamais nécessaire un coaching personnalisé et professionnalisé dans toute démarche d’orientation. Car, à vrai dire le choix n’est pas une fatalité, il ne peut obéir à la linéarité. Il ne se décrète pas. Il n’est pas un héritage à imiter. Il est la conjugaison de dynamiques à la fois internes et externes. Pour une école qui ne désoriente pas les filles, choisir c’est se donner un but, des moyens et une raison d’espérer. C’est inscrire sa personnalité dans le temps et l’espace pour se maintenir. Mais, c’est savoir se maintenir pour quelque chose de durable et non pour être maintenu par quelque chose de figé.
Malang MANE,
Psychologue – Conseiller d’Orientation
Tel : (221) 650 25 84