SENEGAL – "Il faudra accélérer le rythme des réformes

Abdoulaye Bio-Tchané, Directeur du département Afrique du Fmi : "Il faudra accélérer le rythme des réformes structurelles"

Source : http://www.walf.sn
19/10/2005

En 2004, le taux de croissance du Sénégal était de 6,2 %. Cette année, les prévisions du Fonds monétaire international portent sur 5,7 %. Soit une baisse de 0,3 points. Selon son directeur du département Afrique, cette baisse est à dédramatiser. Dans l’entretien qui suit, Abdoulaye Bio-Tchané pense que pour relever la croissance, le Sénégal doit accélérer le rythme des réformes structurelles.

Wal Fadjri : Qu’est-ce qui explique la baisse du taux de croissance de 6 à 5,7 % notée au Sénégal entre 2004 et 2005 ?
Abdoulaye BIO-TCHANE : Cette baisse est due aux chocs exogènes, en particulier au renchérissement du prix du baril de pétrole. Je crois qu’il faut aussi regarder sur les situations spécifiques de certains secteurs. On a parlé par exemple des phosphates, il y a aussi l’effet des criquets pèlerins, etc. Mais je crois qu’il ne faut pas dramatiser cette diminution de la croissance que le Sénégal connaît cette année. La croissance du Sénégal est passée de 6 à 5,7 %. Une baisse de 0,3 points n’est pas dramatique. Le taux de croissance du Sénégal dépasse la moyenne en Afrique subsaharienne (environ 4 %). Les perspectives économiques du Sénégal sont favorables. Mais pour relever durablement la croissance, il faudra accélérer le rythme des réformes structurelles. Ce que nous souhaitons tous est que la croissance s’accélère. Que d’une année à l’autre, elle augmente plus tôt qu’elle diminue. De ce point de vue-là, ce sont les réformes qu’il faut conduire qui sont les plus importantes, notamment dans le secteur de l’énergie, dans le domaine des finances publiques, dans l’environnement de l’entreprise en général, dans la création des infrastructures, etc. Voilà les chantiers qui permettent de relever le niveau de croissance et arriver à des taux allant de 8 à 10 % sur de nombreuses années. Ce qui permettra donc au Sénégalais moyen de voir que la croissance se traduit par quelque chose pour lui.

Wal Fadjri : La baisse minime soit-elle n’est pas un bon signe pour la stratégie de croissance accélérée mise en place par le Sénégal ?

Abdoulaye BIO-TCHANE : (Hésitations). La baisse minime soit-elle est quand même une baisse. Mais il faut davantage mettre l’accent sur la durée. Je veux voir d’ici deux à trois ans comment la tendance va se projeter. Si on fait des efforts dans les infrastructures comme le gouvernement l’envisage, si on fait des réformes dans l’environnement de l’entreprise, si on continue les réformes dans l’assainissement des finances publiques, etc. cela se traduira par une croissance beaucoup plus élevée.

Wal Fadjri : Quelle est la situation en Afrique subsaharienne ?

Abdoulaye BIO-TCHANE : Nous avons une situation qui est relativement bonne. Comme je l’ai indiqué tout à l’heure nous avons une croissance de 4, 6 % cette année contre 5,3 % l’année dernière. Nous avons une inflation qui reste relativement modérée, je pense que, si on la compare aux dix dernières années, là encore comme je l’ai dit, l’année dernière, nous avons pour la première depuis 25 ans atteint un taux d’inflation inférieur au seuil fatidique de 10 % malgré l’augmentation de cette inflation cette année 2005 nous restons en deçà de 7,8 %, et l’année prochaine nos estimations font que nous atteindrons un taux nettement inférieur à 8 %. Et de façon générale, les déficits sont relativement maîtrisés. Là également, ce qu’il y a à noter est que contrairement aux années passées ou lorsque nous avons eu des augmentations de prix de produits pétroliers aussi fortes que l’année dernière, cela a été suivi d’un marasme automatique. Nous n’avons pas connu ces situations en 2004 et pour une raison simple. C’est que premièrement, nous avons les gouvernements qui ont mené des politiques appropriées justement; deuxièmement, les réserves d’échanges dont les pays disposaient étaient relativement solides et troisièmement, une conjoncture qui n’était pas absolument défavorable puisque dans le même temps les autres matières premières ont connu des résultats qui étaient relativement bons et donc de façon générale les termes de l’échange ne se sont pas dépréciés au cours de l’année dernière. Cette année les mêmes politiques vont certainement continuer de sorte que bien que les termes d’échanges soient détériorés en 2005, nous allons quand même terminer cette année avec une note d’optimisme. Nous espérons une situation pas si mauvaise que cela. Puisque les réserves d’échanges qui existent dans la plupart des pays, pourront financer cet accroissement des prix des produits pétroliers sur leurs propres ressources sans recourir à des financements exceptionnels.

Wal Fadjri : Quelles sont les perspectives pour 2006 ?

Abdoulaye BIO-TCHANE : L’année prochaine, nous pensons que la situation va certainement s’améliorer, nous projetons une croissance encore plus solide que cette année. Nous projetons, comme je l’ai indiqué tantôt, un taux d’inflation relativement plus modéré, et nous projetons les déficits qui seront encore relativement plus faibles que cette année. Donc voilà un peu la situation de façon générale, mais évidemment, il y a des défis importants. Ces défis sont liés à la poursuite des réformes ; que nous continuons de travailler pour créer un environnement beaucoup plus favorable aux entreprises, en particulier les entreprises du secteur privé. Qu’il s’agisse des entreprises étrangères, régionales ou nationales et puis enfin que nous engageons les réformes qui nous permettent (pays africains) d’attirer davantage l’aide extérieure qui nous avait été promise par les pays du G8 et de façon générale par les pays de l’Ocde. Donc un vaste chantier mais tout est possible, les pays sont engagés pour la plupart dans cette voie-là, et je pense que nous avons des bonnes raisons d’être optimistes.

Wal Fadjri : Ce qui est paradoxal, c’est que les populations ne ressentent pas les fruits de cette croissance ?

Abdoulaye BIO-TCHANE : Ce n’est pas paradoxal parce que je vous ai dit tout à l’heure que nous avons connu pour la première fois un taux d’inflation inférieur à 10 % depuis 25 ans. Nous avons connu un taux qui dépasse de façon générale 5 % sur le continent pour la première fois depuis 8 ans. Il faut que ces résultats qui interviennent depuis deux ans, trois ans puissent se poursuivre sur la durée. Les pays comme la Corée, Taiwan, de façon générale les pays de l’Asie du Sud-est qui ont connu une situation prospère pour leurs populations, ont connu ces résultats après dix ans, vingt ans, trente ans d’efforts continus. Vous avez vu des pays qui ont connu des taux de croissance de dix pour cent pendant plus de vingt ans, c’est cela qu’il faut que nos pays arrivent. C’est pour ça que les efforts qui doivent nous permettre d’accélérer la croissance, de porter cette croissance de 5,7 %, 6 % au Sénégal ; à 7 %, 8 % et pourquoi pas 10 % sont importantes. Il faut que nous fassions ces réformes qui nous permettent de porter l’investissement à des niveaux beaucoup plus importants et de façon à ce que la croissance atteigne ces niveaux sur des nombreuses années, dix ans, vingt ans, trente ans et là vous verrez que cela se traduira par un niveau de vie plus élevé pour les populations. Ce n’est pas sur un ou deux ans, que ces résultats peuvent se traduire dans la vie quotidienne de nos concitoyens.

Propos recueillis par J. MBENGUE

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