Sans papiers en octobre, plus jeune bachelier de France en juin
Mohammed, 14 ans, a eu beaucoup de mal à trouver un lycée en arrivant.
Par Damien ALBESSARD
lundi 05 juillet 2004 (Liberation – 06:00)
Dans deux mois, Mohammed sera étudiant. En maths sup à Charlemagne, l’une des plus prestigieuses prépas de la capitale. Mais le plus jeune bachelier de France (14 ans) n’a pas oublié son arrivée en France, il y a quelques mois. Le 16 octobre 2003, six semaines après la rentrée des classes. A l’époque, il cherchait encore un lycée sous peine d’être expulsé.
«Momo» est né à Abidjan, d’un père professeur de dessin d’architecture. Il est le premier garçon d’une famille musulmane de huit enfants. Après une scolarité brillante et «trois classes sautées» (CP, CM1 et 5e), ses parents décident de l’envoyer en France. Pour suivre ses études tranquillement, loin des conflits qui déchirent son pays. A Paris il est accueilli par Adjara, 33 ans, sa soeur aînée. Etudiante dans une école de mode, elle vit en France depuis six ans avec son époux, un professeur de maths agrégé. Mohammed est alors sans papiers. Et doit rapidement régulariser sa situation. «Or, pour obtenir un visa, il devait impérativement trouver un lycée», explique Adjara. La course contre la montre commence. La petite famille s’organise. «Pendant que mon mari cherchait dans un quartier, je cherchais dans un autre.» Ils écument les établissements publics, puis privés. Tous refusent de le prendre. Selon eux, Mohammed est trop jeune et ne parle pas assez bien français. Finalement, le lycée Massillon, dans le IVe arrondissement de Paris, accepte de l’accueillir. Mais il doit rattraper son retard en physique et en biologie. Et doit passer le bac français dans la foulée.
Dès son premier jour de classe, il est chaleureusement accueilli par les élèves. «Surtout par les filles qui le coucounent», confie Adjara. Mohammed refait alors son retard et obtient les meilleures moyennes de sa classe en maths, sa matière préférée. Parallèlement, il prend des cours de français et d’allemand. Mais il n’aime pas cette image de bosseur qu’on souhaite lui donner: «Je n’oublie pas de m’amuser», dit-il. D’ailleurs, il n’a pas apprécié un reportage télévisé le concernant. «Ils ont dit que je ne faisais que travailler. Que je ne jouais pas aux jeux vidéo, que je ne faisais pas de sport. C’est faux. J’adore jouer à la console et au ballon avec mes amis.»
Le foot est une de ses passions, avec la break dance qu’il pratique le samedi soir près de la gare de Lyon. A quelques minutes à pied du petit studio qu’il partage avec sa soeur et son mari. Et puis il y a Brassens, dont il connaît toutes les chansons par coeur. «Il n’arrête pas de les chanter», précise Adjara. «Et même pendant les intercours, confie un camarade de classe. Alors on chante avec lui.» Mohammed adore aussi Ferré, Piaf et Brel. De ce dernier, il apprécie particulièrement la Valse à 1000 temps. «ça commence doucement et puis ça accélère.»
Samedi, au lendemain des résultats du bac, on pouvait lire une petite déception sur son visage. Malgré un 16 en physique et en maths, il n’a pas obtenu de mention. «Mais bon ce n’est pas grave. Ce qui compte c’est de l’avoir, non ?»
Source : http://www.liberation.fr