Nuit du 11 au 12 mai 1990 : massacre d’étudiants à Lubumbashi
11-12 mai 1990 : il y a 19 ans, jour pour jour, qu’une tuerie aveugle a eu lieu sur le campus de Lubumbashi. Bien que le nombre de morts demeure inconnu jusqu’aujourd’hui, on a parlé de massacre de Lubumbashi puisque, selon plusieurs sources indépendantes concordantes, des dizaines d’étudiants non originaires de la province de l’Equateur ont été soit égorgées, soit abattus par des armes munies d’un silencieux par des éléments de la Division spéciale présidentielle (DSP) de Mobutu dépêchés sur les lieux par Kinshasa. Ci-dessous, le récit d’un Belge.
Dans la nuit du 11 mai, une cinquantaine d’étudiants ont été sauvagement assassinés par des hommes de l’unité d’élite du maréchal Mobutu. Un massacre a eu lieu sur le campus de l’université de Lubumbashi. Selon des témoignages concordants, une cinquantaine d’étudiants ont été sauvagement massacrés, à l’arme blanche, par un détachement de la Brigade spéciale présidentielle (BSP), l’unité «d’élite» du maréchal Mobutu, dépêchée sur place depuis la capitale Kinshasa. Les faits remontent à la nuit du 11 au 12 mai 1990.
Selon la version officielle, le campus de Lubumbashi n’a jamais été que le théâtre d’affrontements «entre étudiants de factions rivales. Il y aurait eu «14 blessés, dont trois grièvement atteints». Dans un premier temps, rien n’est dit sur une intervention des forces de l’ordre. Puis les premières informations sur le massacre parviennent à Kinshasa et, enfin, en Europe. Les autorités précisent alors que «les forces de l’ordre ont été contraintes de s’interposer». Selon les témoignages rapportés par le quotidien belge le Soir, il s’agirait plutôt d’une effroyable tuerie mêlant vengeance tribale et répression politique.
En annonçant, le 24 avril 1990, la fin du parti unique, la séparation des pouvoirs, la «dépolitisation» de l’armée et de l’administration ainsi que l’introduction du «tripartisme», le maréchal Mobutu a voulu ouvrir les portes démocratiques avant qu’elles ne soient enfoncées. Aussitôt, à Kinshasa, à Kisangani et à Bukavu, des manifestants ont voulu – selon un tract – «hâter la démocratisation du régime», trop longtemps attendue. Cette ouverture démocratique, décrétée par le dictateur Mobutu, lui-même, a aussitôt été bloquée par une volte-face officielle suivie d’un «avertissement».
A Lubumbashi, lointaine capitale de la province du Shaba, la contestation prend une tournure violente. Pour empêcher une marche de protestation, la Sûreté zaïroise infiltre le campus de ses indicateurs. Repérés par les étudiants, les informateurs sont copieusement passés à tabac et plusieurs d’entre eux grièvement blessés. Pour ramener le calme à Lubumbashi, les gros bras de la Division spéciale présidentielle (DSP) sont dépêchés sur place.
Le vendredi 11 mai, rien n’est laissé au hasard. D’abord, les étudiants originaires de la province de l’Equateur – Ngbandi, comme le maréchal Mobutu – sont regroupés et mis à l’écart. Pour reconnaître les leaders étudiants, elle se sert d’étudiants ngbandi masqués afin de ne pas être reconnus par leurs camarades. Les étudiants des provinces du Bandundu, des deux Kasaï et du Maniema, repérés dans la journée grâce aux « indics » malmenés, feront les frais d’une vengeance démentielle. Depuis leurs résidences éloignées du campus, les professeurs entendront pendant des heures les hurlements d’agonie de leurs étudiants sans pouvoir intervenir. Le cri de reconnaissance des Ngbandi est «Lititi», auquel on doit répondre «Mboka» pour être épargné. Lititi mboka signifie herbe de mon village. La mauvaise herbe ne sera pas épargnée. Le régime du président Mobutu ne reconnaîtra qu’un seul mort et quelques blessés.
La nuit tombée, l’électricité et l’eau sont coupées à la cité universitaire. Sur un campus plongé dans l’obscurité, les soldats font irruption pour égorger dans leur sommeil une cinquantaine d’étudiants taxés d’anti-régime. Leurs corps ont disparu et les familles des victimes n’ont pu se plaindre.
Certains résisteront dans des combats désespérés. Ils auront le crâne fracassé ou seront passés par la fenêtre, affirment des témoins. Le lendemain, le campus reste fermé pour «nettoyage». Mais la nouvelle du massacre se répand comme une traînée de poudre. Dès la semaine dernière, les étudiants de la Zambie voisine ont manifesté leur colère devant l’ambassade du Zaïre à Lusaka.
Le ministre belge des Affaires étrangères, Mark Eyskens, a mis en cause les «autorités locales». La répression «pourrait saper la confiance suscitée par les réformes annoncées», a-t-il fait savoir. A ce stade, la mise en garde de l’ancienne métropole coloniale restait encore floue. Surtout, elle épargnait la personne du chef de l’Etat. Mais au cours du week-end, des informations de plus en plus accablantes parvenaient en Europe. A tel point que, lundi, l’ambassadeur de Belgique au Zaïre, André Adam, s’est rendu à Lubumbashi alors qu’il était sommé d’écouter, à Kinshasa, les explications des autorités. Celles-ci se sont déclarées ««indignées de la manière dont les récents troubles estudiantins ont été rapportés à Bruxelles».
Ce massacre de Lubumbashi marque le début de la première désolidarisation des Etats occidentaux d’avec Mobutu. Dès juin 1990, la Belgique exige que soit tenu une enquête internationale à Lubumbashi. Elle sera suivie par le Canada et les Etats-Unis; la France reste plutôt réservée. Pendant ce temps Ngunz a Karl i Bond, évoluant alors dans l’opposition, menace de révéler le charnier.
Sur les antennes de Radio France Internationale, un professeur belge a témoigné de l’horreur du massacre. Ecœuré, il vient de quitter définitivement le pays. L’ambassadeur du Zaïre à Paris n’a pas osé apporter un démenti formel. Il s’est contenté de rappeler la version officielle. Les forces de l’ordre ne seraient intervenues que pour mettre fin à «une prise de bec entre étudiants de deux factions rivales». L’extraordinaire dramatisation internationale de ce dossier, ayant abouti à l’impitoyable diabolisation de Mobutu et à sa marginalisation, s’inscrivait dans la droite ligne de la gestion du bras de fer récurrent entre Mobutu et la Belgique.
Les faits rapportés par un Congolais
Par ailleurs, Congo Forum fait revivre l’avant horreur de la nuit au 11 au 12 mai : les étudiants de l’Université de Kinshasa (Unikin) se révoltent le 9 mai. Ils écrivent à leurs collègues de Lubumbashi, les ‘Kassapards’, pour solliciter leur soutien dans ce bras de fer avec le pouvoir. Ce mercredi 9 mai, les étudiants de Lubumbashi décident de donner une suite favorable aux ‘camarades O’ de l’Unikin. Ils vont projeter une marche sur Lubumbashi, exigent la libération immédiate des étudiants arrêtés à Kinshasa, la démission du gouvernement Lunda Bululu et la dissolution du Parlement.
Pendant qu’ils sont réunis sur le campus à la ‘Place Perestroïka’ pour mettre au point les modalités de cette marche de solidarité avec les étudiants de l’Unikin va surgir une voiture Peugeot 504 de la société BIA, conduite par Ya Franck qui transporte sa copine Rose Baramoto, la fille du général Baramoto, le tout-puissant patron de la redoutable Garde civile. La Peugeot viole le code routier imposé par les étudiants. Interpellée par ces derniers, leur collègue Rose Baramoto déverse sur eux injures et insanités. Quand elle les qualifie des fils de pauvres, elle est alors immédiatement arrêtée, molestée rageusement, soumise à des traitements inhumains et dégradants par cette foute en furie.
Son copain Ya Franck s’échappe. Il va alerter le camp de la Garde civile, qui borde le campus. Un peloton de «gardiens de paix» escorte l’amant de Rose Baramoto et tire des balles en l’air à la place Perestroïka pour se frayer un chemin. Vers la paroisse universitaire, ils prennent en otage trois étudiants pour les échanger avec Rose Baramoto qui, dans l’entre-temps était déjà libérée par les étudiants. Cette prise d’otage fait monter la tension. Les étudiants vont se retrouver à la place Perestroïka autour du feu, car il fait déjà nuit. Une seule question est au coeur des cogitations : comment faire pour libérer les trois étudiants pris en otage?
C’est dans cette foule agitée que Mange, étudiant en Polytechnique, disparaît pendant un temps. A son retour, il tranquillise tout le monde: «Les otages seront libérés demain». Son absence prolongée et l’assurance qu’il met dans son propos vont susciter la curiosité des autres étudiants. Molesté, Mange avoue qu’il était parti communiquer avec les services de sécurité par talkie-walkie dans la chambre de Yokoto, étudiant de première licence en Sciences politiques et administratives. Torturé davantage, Mange cite Nzongbia, étudiant en 3ème graduat Médecine. Ce dernier passera aux aveux en citant d’autres mouchards parmi les professeurs et chefs de travaux: Mombo, Essiso, Mondunga et Olofio. Nzongbia avoue avoir en plus égorgé en personne l’étudiant Asha trois mois auparavant, sur ordre des services spéciaux et que leur bande de mouchards avait éliminé au cours de trois dernières années 23 étudiants. La fouille de sa chambre dévoile des jumelles, une baïonnette, des cordelettes commandos avec mousquetons.
Pour cela, les étudiants prennent la décision de brûler vifs leurs camarades mouchards à l’aube du jeudi 10 mai 1990. Mange, Yokoto et Nzongbia sont battus à mort et jetés dans un trou de 5 mètres de profondeur. Le feu y est mis, mais ne prend pas à cause de la rosée matinale. Ils seront libérés vers 8 h par la Garde civile. Les étudiants originaires de l’Equateur sont alors pris pour cibles, pourchassés, tabassés. Leurs chambres sont pillées : syllabus brûlés.
Ce jeudi matin, le gouverneur du Shaba (Katanga) Koyagialo, frère de tribu de Mobutu, exprime le désir de venir parler aux étudiants sur le campus. Ces derniers vont exiger qu’il s’amène sans gardes du corps, sans ‘abacost’ et sans insigne du Mouvement populaire de la révolution (MPR)-parti-Etat. Le rendez-vous est pris pour samedi 12 mai. Entre-temps, le campus est bloqué par la gendarmerie du camp Mutombo en bordure du campus. Les affrontements entre étudiants et militaires vont durer trois heures, jusqu’à 14 heures sans faire des victimes.
Stephen Smith
11 Mai 2009
Source: Le Potentiel