RDC – Moins de visas, moins de français
Source : http://www.lemessager.net
Au Katanga, au sud de la Rd Congo, la cote de l’anglais monte au détriment du français. La quasi-impossibilité d’obtenir des visas pour aller dans les pays francophones d’Europe, même pour poursuivre des études ou participer à un colloque, en est la principale raison.
Petite histoire révélatrice. Empereur du peuple Lunda de Rd Congo, d’Angola et de Zambie, le septuagénaire Mwant Yav Kabwit Tshombe, qui réside à Kapanga à 1 000 kms à l’ouest de Lubumbashi, se présente à la mi-septembre 2004 à l’Ambassade de France à Kinshasa. Ce grand chef traditionnel vient demander un visa pour participer à Paris à la Conférence internationale sur la préservation du patrimoine de la Rd Congo, placée sous la présidence de l’Unesco et du Musée de l’Afrique centrale de Tervuren en Belgique. Il n’a pas été autorisé à venir en France et il ne comprend pas pourquoi : "Ce n’est pas à moi qu’un pays ami comme la France peut refuser un visa pour assister à une conférence qui concerne notre patrimoine culturel. En ma qualité d’empereur, je ne peux en aucun cas disparaître dans la nature à mon arrivée en France pour devenir un sans – papier. Je suis bien dans ma peau à Kapanga".
Début août 2004, c’est un homme d’affaires, André Kapwasa, qui a essuyé le même refus. "Comme j’ai des moyens financiers, je cherche des meilleures conditions d’études et de formation universitaire pour mon fils en France mais le visa lui a été refusé sans raison valable. Depuis lors, mon fils étudie l’anglais dans un centre de Lubumbashi pour aller faire de la géophysique en Inde".
"Notre avenir, c’est l’anglais"
Au Katanga, les humiliations et le mépris dont sont victimes les demandeurs de visas d’entrée et ou d’asile dans les pays francophones d’Europe ont un effet boomerang sur la langue française. Quiconque débarque à Lubumbashi, deuxième ville de la Rd Congo, est désormais frappé tout le long des avenues par des pancartes portant les inscriptions "Venez apprendre l’anglais pour avoir une place au soleil en Afrique du Sud", "Si vous voulez faire des affaires en Tanzanie, à Dubaï, à Hongkong, etc. venez apprendre l’anglais ici" ou encore "Notre avenir, c’est l’anglais et pas une autre langue".
Outre les élèves, les hommes d’affaires se ruent sur les cours d’anglais afin de pouvoir acheter sans difficultés des produits manufacturés dans les pays anglophones comme Dubaï, la Thaïlande, l’Afrique du Sud, etc. L’afflux des Chinois, des Coréens et des Japonais à Lubumbashi depuis 2003 à la suite de la faillite de la Gécamines, la société minière, renforce la tendance. "Les Chinois se comptent maintenant par milliers à Lubumbashi, à Likasi et à Kolwezi pour acheter le cuivre auprès des exploitants artisanaux. Nous avons maintenant appris l’anglais pour bien négocier les affaires, car dans les pays asiatiques et africains de l’espace anglophone comme la Tanzanie, vous obtenez votre visa d’entrée dès l’arrivée à l’aéroport", explique l’un d’eux.
Traquer les immigrés illégaux
A l’université, le recul du français est net. "Nous enregistrons depuis cinq ans plus d’étudiants au département de langue et littérature anglaises qu’à celui de français, constate Michel Kibale, agent de bureau à l’Institut supérieur pédagogique de Lubumbashi. Les étudiants disent tout haut qu’il est plus facile de trouver un emploi, si on est hautement qualifié, aux États-Unis qu’en France, en Belgique et en Suisse."
La prolifération des Églises évangélistes américaines dans la province du Katanga, comme ailleurs en Afrique, est aussi un facteur d’expansion de l’anglais. "Nous sommes contraints d’apprendre l’anglais pour lire les traités bibliques et pour assister aux conférences annuelles aux États-Unis où il n’y a pas de restrictions comme celles de Schengen. Avoir un visa pour une croisade évangélique ou pour assister à un congrès scientifique à Chicago ou à Washington est une affaire de quelque minutes dans une ambassade américaine en Afrique du Sud", explique Samuel Tshiswaka de l’Église mormone dont le siège est aux États-Unis. Ces Églises accordent même des bourses d’études.
En dépit de ce recul de la langue de Voltaire, certains Katangais se sentent toujours plus proches de l’Europe francophone. Tout ce qu’ils demandent à la Belgique, à la France ou à la Suisse, est de frapper sans pitié tous ces immigrés illégaux qu’ils soient musiciens, militaires, joueurs de football ou autres et de laisser rentrer ceux qui cherchent à étudier en Europe ou vont seulement se faire soigner.
Par Bethuel Kasamwa–Tuseko (Syfia)
Le 26-11-2004