Rd-Congo: les journaux katangais piratés par des émigrés
15/4/2004
Pour obtenir l’asile politique en Europe, des Congolais fabriquent de faux articles censés avoir été publiés par des journaux katangais et témoignant qu’ils sont persécutés. Informés par des organismes européens, les éditeurs s’inquiètent
Les éditeurs des journaux paraissant au Katanga, dans le sud-est de la RD-Congo, sont inquiets. Ils ont peur d’être accusés de favoriser l’entrée illégale des Congolais en Europe. Ces derniers temps, en effet, pour obtenir le droit d’asile, des clandestins brandissent des coupures de journaux de cette province attestant qu’ils sont pourchassés pour leurs opinions politiques ou qu’ils ont été emprisonnés sans procès. Ces sans-papiers ne manquent pas d’alibis. Certains disent qu’ils sont traqués parce qu’ils y sont nés d’un père tutsi du Rwanda et d’une mère luba congolaise. D’autres prétendent qu’ils sont poursuivis par le régime de Kabila parce que leur frère de tribu, Katebe Katoto, du sud du Katanga, a fait alliance avec les ex-rebelles congolais soutenus par le Rwanda à l’est du pays.
À Kinshasa, depuis plusieurs années déjà, des journalistes peu scrupuleux se font payer par des candidats à l’émigration pour écrire des articles racontant que ceux-ci sont menacés par le régime en place afin de justifier leur demande d’asile politique. Au Katanga, ce sont les émigrés qui écrivent eux-mêmes les articles et les font passer pour des informations publiées par les journaux. Éditrice du journal Esther, Maguy Kikontwe estime que l’absence de journaux sur la toile favorise la contrefaçon. Selon elle, "ce n’est pas possible de pirater un journal qui est sur le Web car on peut se faire prendre très vite". Diffusés uniquement à Lubumbashi et à très peu d’exemplaires, ces titres sont introuvables à l’extérieur ce qui facilite leur piratage.
De faux articles jamais publiés
Pour autant les Occidentaux ne sont pas dupes. Pour vérifier l’authenticité de ces articles, ils interrogent souvent les Ong de défense des droits humains. "L’Office canadien des réfugiés à Montréal au Canada nous a par exemple demandé récemment d’attester si le journal Le Lushois existe bien à Lubumbashi, témoigne Dieudonné Been Masudi, directeur exécutif du Centre des droits de l’homme de cette ville. Ils nous ont demandé de leur trouver des exemplaires du Lushois de juillet 2003 et la copie de l’une des éditions d’un mois de 2003". Outre les services chargés des dossiers des réfugiés, "les avocats de certains clandestins de Belgique et des États-Unis, poursuit Dieudonné, nous contactent régulièrement pour vérifier certaines dépositions de leurs clients. Même Amnesty International nous a déjà écrit de Londres pour enquêter sur le cas de demandeurs d’asile congolais".
Les autorités des pays européens sont de moins en moins enclines à prêter foi aux soi-disant preuves de persécution de ces demandeurs. L’utilisation d’articles de journaux de complaisance ou fabriqués de toutes pièces ne convainc plus les organismes chargés d’étudier les dossiers. Selon Jérôme Camus, de la Commission de recours des réfugiés à Paris, le stratagème est désormais bien connu. Ces "preuves" ne suffisent plus pour obtenir l’asile politique.
Des éditeurs désemparés
Les éditeurs katangais, eux, sont embarrassés. L’éditeur du journal Le Devoir , Jean Pierre Lenge, a reçu une lettre du conseiller d’immigration de l’Advisory Service en Grande-Bretagne l’interrogeant sur son journal. "Reconnaissez-vous en votre âme et conscience, lui demandait-il, avoir publié en 2003 cet article dont vous trouverez une copie en annexe ?". Après vérification, il s’agissait d’un faux. "Je leur ai dit que ce demandeur d’asile est un escroc, poursuit cet éditeur, car nous n’avons jamais écrit dans notre journal que la vie de ce monsieur du Nord-Kivu était en danger".
Noé Ngoy Kikungula, éditeur du Lushois a connu, à plusieurs reprises, la même mésaventure. Depuis le début de l’année, il a été contacté par un organisme basé à Genève et par le ministère belge des Affaires étrangères. "Je n’ai pas caché mon indignation et j’ai dit haut et fort au téléphone que mon journal n’avait jamais publié un article sur ces clandestins qui prétendent être en insécurité en RD-Congo."
Face à ces escroqueries dont ils sont aussi les victimes, les éditeurs, désemparés, craignent de se voir accusés de complicité dans le "trafic des êtres humains", selon les termes employés en Europe.
InfoSud-Syfia / B. Kasamwa-Tuseko
Bethuel Kasamwa-Tuseko
Source : http://www.infosud.org