RD Congo – Mille universités, mille misères
(Syfia RD Congo) Si les universités prolifèrent en RD Congo, c’est la plupart du temps plus pour remplir les poches de leurs promoteurs que la tête des étudiants. Quatre-vingts pour cent d’entre elles n’ont ni bâtiments, ni matériel, ni professeurs… Les jeunes y perdent leur temps et leur argent.
Mille ! C’est le nombre d’établissements d’enseignement supérieur et universitaire que compte aujourd’hui la RD Congo : quatre fois plus que la France, deux fois plus que la Chine ! "Quatre-vingts pour cent de ces établissements n’ont pas de bâtiments, d’équipements, de corps professoral requis ni de matériel didactique approprié", soulignait le 15 avril dernier le ministre congolais de l’Enseignement supérieur et universitaire en annonçant qu’il allait en faire fermer le tiers.
Dans la plupart des provinces du pays, les instituts supérieurs et les universités libres poussent comme des champignons. À Kisangani, en Province Orientale, une dizaine d’instituts ont vu le jour depuis les élections de 2005, créés surtout par des députés et sénateurs. En 2008, dix-sept nouveaux établissements ont été agréés dans la seule province du Sud-Kivu et quatre à Lubumbashi, au sud-est du pays. À Bukavu, les facultés se font une concurrence acharnée : l’université catholique (UCB), l’université évangélique (UEA) et l’université officielle de Bukavu (UOB) ont ainsi chacune une faculté de médecine. Pour attirer le plus d’étudiants possible, toutes ces institutions rivalisent de publicité dans les médias.
Un business avant tout
La plupart des promoteurs de ces centres jouent sur la soif des jeunes de faire des études et sur la décrépitude des universités publiques. Pour la majorité d’entre eux, il s’agit d’abord d’affaires rentables. Dans ces universités, les frais académiques sont élevés. Entre 120 et 350 $ par an à Lubumbashi, par exemple. "C’est le lucre qui caractérise les promoteurs, se plaint Kashoshi Blaise, de Bukavu. Comment comprendre qu’au cours d’une seule année académique, une institution double les frais académiques ?" "Tout se monnaie, affirme Afari Mihigo, de la carte d’étudiant à tout autre document administratif. Chaque institution fixe ses frais à son gré sans avis préalable des pouvoirs publics. Ce qui choque, ajoute cet étudiant, c’est qu’en plus certains professeurs se plaignent de ne pas être payés." Interrogé sur la récente ouverture de l’Institut supérieur d’administration et de développement à Rutshuru, à environ 100 km de Goma, au Nord-Kivu, Jean Hakizi, étudiant en journalisme, est sceptique : "C’est du commerce tout court. Ca va tourner avec les frais payés par les étudiants et les contributions d’éventuels bienfaiteurs occidentaux."
Pour autant, les sommes versées par les étudiants ne leur garantissent pas de bonnes conditions de travail, loin de là. La plupart de ces établissements ne disposent pas des infrastructures minima pour les accueillir. Beaucoup n’ont même pas de bâtiments adéquats. À l’institut Bungulu, au centre de Beni, une école officielle, trois instituts supérieurs et une université publique occupent à tour de rôle des salles de classe l’après-midi. "Nous étudions dans une des salles de la communauté anglicane, confie une étudiante de l’Institut supérieur d’audiovisuel et de la communication. Parfois, nous sommes privés de cours lorsqu’il y a une activité pastorale."
À Bukavu, les étudiants de l’UOB doivent consulter les panneaux d’affichage devant la grande poste pour savoir où auront lieu leurs cours. Certains sont dispensés dans cette poste bâtie du temps des Belges. Les peintures datent de cette époque, les vitres sont cassées et des fissures causées par le tremblement de terre de février 2008 restent visibles. D’autres étudient dans un hangar ouvert aux intempéries sur une colline difficilement accessible s’il pleut ou encore dans un cercle récréatif. "Tantôt le bourgmestre nous enjoint de quitter les lieux ; tantôt ce sont les bruits du quartier ou du stade voisin qui nous dérangent quand ce ne sont pas des clients venus voir un film qui nous prient méchamment de partir", raconte Rosette Kabuo, une étudiante.
Manque de profs et de matériel didactique
À ce manque de locaux s’ajoute celui d’enseignants. Pour les 1 000 établissements du pays, on ne recense, selon le ministre de l’Enseignement supérieur, que 1 400 professeurs en titre, pour la plupart proches de la retraite. Les universités devraient légalement en avoir cinq à dix chacune. La plupart n’en ont aucun. Les enseignants sont souvent de jeunes assistants tout juste licenciés qui courent d’un institut à l’autre pour se faire un peu d’argent. Ils ont rarement le niveau requis et, surchargés, ils sont régulièrement absents.
L’absence de matériel pédagogique n’arrange rien : on apprend l’informatique sans ordinateur, la littérature sans bibliothèque, la radio sans studio… Les rares livres sont souvent vieux et déchirés. Seules quelques universités créées par des confessions religieuses telles les Facultés catholiques de Kinshasa, l’UCB ou l’UEA de Bukavu ont une organisation académique et des infrastructures dignes de ce nom.
Quant aux universités publiques, elles ne sont guère mieux loties. Elles ont certes leurs propres bâtiments, mais ceux-ci sont en général en mauvais état et trop petits pour accueillir des étudiants toujours plus nombreux. Leurs diplômes ont au moins le mérite d’être reconnus par l’État. Ceux décernés par les universités privées doivent être homologués, mais certains diplômés les attendent des années. Le recteur de l’UEA vient ainsi d’annoncer que des diplômes sont enfin disponibles. Ils étaient attendus depuis… 1997.
Source:
5-05-2009
par Baudry Aluma
http://www.syfia.info