Que vaut le baccalauréat aujourd’hui au Cameroun ?
Baccalauréat 2010 : Etat, enseignants et parents tous coupables !
Les résultats du baccalauréat de l’enseignement secondaire général sont déjà disponibles mais certaines composantes de la chaîne éducative s’interrogent sur l’enjeu, l’efficacité et la fiabilité des résultats.
Plusieurs enseignants interrogés s’inquiètent des conditions des délibérations. En effet, on note de plus en plus une mode consistant pour l’Office du baccalauréat à « gonfler » ou à « améliorer les résultats. M. Njikam, enseignant de mathématique dans le Littoral explique que « pendant les délibérations du baccalauréat 2010, je suis rentré bien choqué convaincu que j’ai participé à l’assassinat de la jeunesse camerounaise. Si elle est le fer de lance de la nation, il est inutile de moduler les notes des candidats. Je trouve que c’est juste car cela ne reflète pas le niveau réel des enfants. J’enseigne depuis 15 ans, j’ai pensé que cela changerait mai chaque année, le constat est le même. Je rêve encore de l’époque de Ndam Njoya. Un candidat devait bien étudier et se préparer avant d’affronter un examen. Ce n’est plus le cas, on tue nos enfants et le comble, c’est que la culture du diplôme ne garantit pas l’emploi. Pour moi, les délibérations sont le principal problème du baccalauréat de l’enseignement secondaire général . Le Jour publiait et démontrait déjà en juillet 2009 que près de 52 points étaient ajoutaient à certains candidats d’un centre que nous taisons volontairement. Cette année, le même principe a continué car il y avait trois critères de délibérations si on s’en tient aux trois cas de figures de l’admission directe au bac 2010. Selon plusieurs sources, la pratique des délibérations n’est pas aussi récente. Déjà en 2004, le journal bilingue du syndicat national autonome de l’éducation et de la formation n* 008 d’octobre appelait à une « mobilisation générale » contre la modulation des notes. Bien avant, en 2002, le même journal publiait dans le premier numéro « Examens 2002 : Accusés, levez-vous ! ».
Plus loin, on peut lire « parlez-moi du « désastre 2002 » et je vous répondrai qu’il ne s’agit pas d’un désastre, que ces résultats obtenus d’ailleurs par césarienne(…) ces résultats manifestent fidèlement la maladie dont souffre notre école (..). Je t’accuse, toi l’élève candidat (tu as cru qu’on continuera toujours à avoir le Bacc au Cameroun avec 07/20 de moyenne à l’examen. Je t’accuse, toi le parent…Je t’accuse toi, Gouvernement « Ne te contentes-tu pas de mettre de la peinture neuve sur un édifice éducatif lui-même vermoulu par les mites que sont la corruption, l’incompétence généralisée, le népotisme et le carriérisme. Toi qui ne parvient pas à refonder l’Ecole Camerounaise…Je t’accuse, toi président de la République (…) Tous accusés, nous sommes tous coupables. Discutons chacun avec lui-même, puis tous ensemble, et travaillons à reformer et nos comportements et notre système éducatif ». Allons-nous continuer à nous taire ou nous engager courageusement dans un processus de refonte de notre système éducatif ?
Evolution des statistiques depuis 1995 à 2010
Les résultats de la session 2010 du baccalauréat de l’enseignement général sont connus depuis vendredi dernier .L’Office du bac vient de rendre compte des résultats provisoires, sous réserve d’éventuelles réclamations et vérifications. Selon l’Office du baccalauréat du Cameroun, avec 41444 admis sur 71396 inscrits, le Cameroun enregistre l’un des taux de réussite les plus élevés depuis la création de l’Office du baccalauréat. Le taux de réussite de la session 2010 est de 58 ; 94%, soit près de 60 % de réussite. En attendant les résultats du probatoire qui seront connus ce week-end, les uns et les autres s’interrogent sur les problèmes que posent les résultats du bac camerounais. Commençons par présenter les statistiques de 1995 à 2010.
Maurice Angélo Phouet Foe, : « On ne doit pas donner l’examen aux élèves par pitié ».
Secrétaire général du syndicat national autonome de l’éducation et de la formation, il analyse les résultats du baccalauréat 2010 et donne son avis sur les délibérations.
Certains enseignants estiment que les délibérations constituent le mal de l’examen du baccalauréat de l’enseignement secondaire général…
Si on prend la chose au sommet, c’est-a-dire au niveau des délibérations, ce qui se fait aujourd’hui relève d’une manœuvre, d’une manipulation des résultats des élèves pour présenter un visage qui satisfait l’opinion nationale et l’opinion internationale. Mais ce sont des résultats politiques, quand Adamou Ndam Njoya , je n’ai pas l’année à l’esprit mais je crois c’est en 1977, avait voulu que les choses se passent telles cela se doit, c’est-à-dire au niveau des délibérations que n’ai son diplôme que celui qui a dix de moyenne, on a eu le résultat ; le bas taux de réussite. L’échec était très élevé, Ahidjo avait à l’époque fait que l’on reprenne tout simplement pour que l’on n’essaye de corriger les résultats, disons la forme. A ce niveau ce niveau là, on a continué à réformer les résultats, à moduler les résultats. Donc, ce sont des résultats bien souvent politiques.
Cela pose quand même problème, parce que ceux qui n’ont pas dix, on doit chercher à ajouter des points. Et c’est là qu’il y a problème. Pourquoi ajoute-t-on des points ? On ajoute des points pour donner quelle impression ? Est-ce une façon de reconnaître qu’on n’a pas le taux de réussite que l’on doit brandir aux yeux du monde ou du peuple ?Et là, on reconnaît que ce qu’on devait faire n’a pas été fait ? Et si tel est le cas, c’est un problème. On ne peut pas ajouter des problèmes pour rien, on ne peut ajouter des points que parce qu’il y a quelque chose qui ne va pas et que l’on cherche à remonter d’une manière ou de l’autre. A-t-on raison de le faire ? Vraiment, nous pensons le contraire. Si l’on veut donner des points aux élèves, c’est en créant les conditions optimales de travail pendant toute l’année. On ne doit pas donner l’examen aux élèves par pitié. Autant ceux qui ont 11 ou 12 au départ peuvent ressentir cela comme une injustice autant ceux à qui on donne ces points peuvent s’en sentir humiliés. On doit reconnaître chez l’élève son effort de manière objective, on n’a pas besoin de complaisance dans ce domaine là.
Les épreuves facultatives notamment l’épreuve de dessin sans normes constituent également un problème pour le baccalauréat..
Oui, je pense qu’il est bien vrai que l’on dit que c’est facultatif, ça signifie que nécessairement, on n’enseigne pas cela à l’école et que l’élève peut améliorer ses performances dans un domaine comme celui-là et de manière facultative parce qu’il se propose à composer dans ce sens. Mais, il faudrait quand même reconnaître que le dessein ne devait plus rester dans le domaine du facultatif. Il faudrait déjà penser à l’introduire dans les programmes parce que comme vous venez de souligner, le dessin participe de la création. On devrait voir plus clair dans ce domaine et nous dans ce domaine dans notre syndicat, nous avons commencé à faire une réflexion là-dessus. Je peux vous dire qu’on songe à mettre le dessin au programme.
A qui la faute s’agissant en ce qui concerne les délibérations ?
La faute à notre système éducatif qui est un système d’insertion et non d’intégration. On ne prépare pas les enfants de telle sorte que tous puissent réussir. Tout est fait pour que certains échouent. C’est un système de sélection, d’insertion. Donc, il faut refonder notre système éducatif. Ceux qui sont formés doivent être des acteurs de développement. Il faut mettre en place un système d’intégration. Nous avons trois principaux acteurs ou trois structures d’encadrement de l’enfant : l’Etat, la famille et les enseignants. La famille n’est pas dans les délibérations, elle entend dire que cela se passe pendant les délibérations mais elle n’est pas partie prenante. Mais elle peut prendre position et chercher à savoir ce qui en est. Jusque-là, les familles ne prennent pas postions, elles sont plutôt contentes que les enfants aient leurs examens. Et leurs parents bien souvent veulent qu’on donne les diplômes à leurs enfants même s’ils ne les méritent pas. Il y a de l’autre côté, les enseignants qui sont vraiment partie prenante dans les délibérations et qui se laissent manipuler par ceux qui organisent ces examens là et qui sont pour la plus part des enseignants. Ils acceptent que cela se passent, ils en sont donc responsables. Et l’Etat qui donne le mot d’ordre, c’est qui veut que cette année, on passe à tel pourcentage ou à telle autre et par rapport à ses objectifs en est également responsable. C’est l’Etat qui initie les modulations à travers ceux qui le représentent dans la chaîne des examens. Donc, tous ces trois acteurs sont responsables, chacun à son niveau de ce qui se passent.
Les enseignants ont le choix, nous au niveau de notre syndicat, nous demandons aux enseignants de ne pas accepter ce tripatouillage. Mais maintenant les enseignants syndicalistes ne sont pas les seuls à opérer dans la chaîne. Ce sont les enseignants qui se laissent faire, la preuve, c’est qu’on écarte de plus en plus les syndicats dans l’observation des examens. Au temps du ministre Etoundi, les syndicats avaient été retenus comme observateurs mais au fil du temps, on a diminué leur représentation dans l’observation des examens au point où aujourd’hui, on a beaucoup plus les acteurs du ministère pour être juge et partie. Les syndicats ont toujours pris position contre ces manœuvres. On s’appuie sur ceux qui acceptent et qu’on reconduit d’ailleurs chaque année comme chef de mission, chef de salle, président de jury.
Quelle peut être la solution à votre avis ?
Mais maintenant pour améliorer le niveau des élèves de telle sorte que ceux-ci puissent réussir leur examen, il faut réduire les effectifs 40, 50 ou au trop 60 par classe. Il faut mettre les enseignants dans les conditions de travail optimales. Ils ont besoin d’un minimum pour travailler c’est-à-dire de préparer leurs cours. Pour que leurs cours répondent aux besoins de l’heure, ils réclament pour cela une prime de documentation et de recherche. On leur a octroyé ces primes mais il n’est pas encore effectivement payé parce qu’on attend le décret d’application. Et cela fait aujourd’hui près de dix ans, vous voyez, ils ne peuvent pas donner le meilleur d’eux-mêmes. Il y a d’autres aspects qu’il faut améliorer au niveau des programmes scolaires et au niveau des objectifs à fixer.
Votre avis : Quel regard portez-vous sur le baccalauréat aujourd’hui ?
Jean pierre Kiki, agent d’entreprise : « Le bac de nos jours n’a plus de valeurs »
Je dirais que le bac de nos jours n’a plus de valeurs. Il n’est plus se qu’il était en 1992. Aujourd’hui, les pouvoirs publics grossissent les taux de réussite. Ils se disent qu’il faut donner les diplômes aux jeunes pour les calmer. Ils ne savent pas qu’il tue le niveau intellectuel de ses jeunes. Ce niveau est déjà vraiment médiocre. IL s’agit d’une course au diplôme et non au plus méritant. Il n’ya plus aucune matière crise dans la tête de ces jeunes bacheliers. En fait ce problème se pose depuis le bac 2002 où le pourcentage de réussite était environ de 12 %. Depuis lors, les pouvoirs publics ont cherchés toutes les manœuvres pour satisfaire le peuple frustré. La solution qu’ils ont trouvée était de nommer le ministre actuel.
Alain Ngassa, agent d’entreprise : « C’est le culte de la médiocrité aujourd’hui »
C’est décevant pour l’intellectuel Camerounais. Je pense que le bac de nos jours a une connotation électorale. Il s’agit d’une politique mise en place par le régime actuel pour calmer les humeurs de la population. Cette tendance du fort taux de réussite varie selon le période électorale. Cette médiocrité se fait ressentir aujourd’hui à travers le parler de ses jeunes bacheliers même la qualité de l’enseignement des instituteurs formés.
Germain Modo, administrateur de sécurité social : « Ce diplôme n’a plus de valeur à l’extérieur »
Je pense que le système éducatif Camerounais a été dévalué par rapport aux années précédentes. La valeur de cet examen a diminué depuis qu’on a enlevé l’oral. Avant, l’oral permettait de déceler les tricheurs puisque l’élève après l’écrit venait se défendre devant un jury. Ce qui n’est plus le cas de nos jours. Les élèves se contentent d’écrire et puis jubiler après une réussite par délibération. C’est vraiment regrettable. Si on sait que le bac est le premier diplôme de l’enseignement supérieur. Les représentants du peuple doivent avoir un regard sur cette affaire car ce diplôme n’a plus de valeur à l’extérieur.
Joseph Moudio, maquettiste : « C’est la corruption qui tue le système éducatif camerounais »
A l’heure où la corruption a envahi notre pays, rien ne se fait plus comme avant. Pour moi, la chute du niveau intellectuel des jeunes est due à la recherche de la réussite des parents. Car de nos jours, les parents sont prêts à acheter les épreuves à des prix exorbitants. Pourvu que leurs enfants réussissent, même si ces derniers n’ont pas le niveau. C’est le cas de nos jeunes bacheliers d’aujourd’hui. C’est également pour cette raison qu’on a des cadres médiocres puisque le niveau n’y est pas. C’est la corruption qui tue le système éducatif camerounais.
Propos recueillis par
Carole Tono (stagiaire)
27 juillet 2010
Source: http://www.quotidienlejour.com