Que deviennent les étudiants à la sortie des écoles de journalisme?
Source : http://www.boivigny.com
Chaque école a sa méthode pour suivre ses étudiants lorsqu’ils quittent son giron, mais toutes ne mettent pas les données obtenues à la disposition du public. Les futurs étudiants des écoles reconnues, ou même seulement ceux tentés par le journalisme et qui cherchent à se faire une idée de la profession, devraient pourtant y avoir accès. Et les établissements ne feraient qu’y gagner en transparence.
Dans chaque brochure présentant les écoles de journalisme, ou sur leurs sites internet, ou encore lors de manifestations auxquelles elles participent, il est rappelé que tel établissement a formé tel rédacteur en chef, tel présentateur, telle plume d’un grand journal. Plus rares sont les écoles à afficher des données sur ce que sont devenues les promotions sorties il y a 6 mois, deux ou trois ans. Certaines par choix, mais qui sont prêtes à livrer les chiffres à la demande, d’autres s’y refusent, arguant d’un usage interne de ces statistiques… Ces précieuses informations peuvent pourtant éclairer l’étudiant qui recherche une école plus spécialisée en radio ou télé, ou encore lui montrer qu’une fois réussi le concours d’une école reconnue, les épreuves ne sont pas terminées sur le chemin du poste fixe dans les médias.
Ainsi, sur les 54 étudiants de la promotion sortie en juin dernier de l’ESJ, seuls deux étaient à la recherche d’un emploi, mais 16 étaient pigistes et 20 en CDD, selon les derniers chiffres fournis par la direction. Ce qui fait tout de même 16 diplômés en CDI, soit 29% de l’effectif. A comparer aux deux anciens étudiants du Celsa occupant un CDI, un an après leur sortie, sur les 19 de cette promotion de la filière journalisme qui ont accepté de répondre à l’enquête de leur école, en octobre dernier. 5 étaient en CDD, 8 à la pige. Le Celsa donne ces chiffres d’insertion professionnelle sur son site, avec des détails sur les salaires, le temps de recherche d’emploi et le mode de recrutement: on apprend par exemple que la candidature spontanée peut encore marcher, du moins pour 4 des 13 personnes ayant répondu à cette dernière question. Autre exemple: l’IUT de Bordeaux, qui présente sur la page "statistiques" de son site où et comment travaillent 1.108 de ses diplômés devenus journalistes professionnels. Des chiffres intéressants, mais insuffisamment détaillés puisque les promotions y sont mélangées. On peut cependant se reporter à l’annuaire en ligne, mais il est moins précis et plus fastidieux. Cette école ne cache pas le fait que "139 diplômés exercent un autre métier, très souvent après avoir été journalistes pendant plusieurs années", dans les relations publiques par exemple. "Trois sont libraires, cinq sont écrivains et en vivent, deux sont même gendarmes, pourquoi pas s’ils s’étaient mal orientés ?", relativise Edith Rémond, qui a développé cette enquête annuelle en tant que directrice de l’IUT en journalisme durant 18 ans, poste qu’elle vient de quitter.
communiquer ou non
"L’avenir des diplômés m’intéresse, je souhaite rester en contact avec eux après les avoir suivis à l’école", explique-t-elle. "Mais cette pratique a fait débat: du point de vue de l’utilisation qui peut être faite de l’enquête. Certains pensent que l’université n’a pas à évaluer ses formations en fonction du jugement des entreprises, qui embauchent ou non nos diplômés". Reste que ce suivi est requis par les autorités publiques: les écoles doivent fournir des éléments sur le devenir de leurs apprentis journalistes chaque année au ministère de l’Education nationale. Les IUT font l’objet d’un contrôle particulier: celui de Lannion notamment doit, tous les deux ans, dire si ses ex-élèves ont poursuivi leurs études ou travaillé, à l’issue de son cursus. "Cela nous a appris que la formation que nous proposions conduisait de façon marginale à la poursuite d’études. On peut réellement travailler dans le journalisme après un DUT, même en étant très jeune", d’après Denis Ruellan, directeur du département journalisme. Du côté de l’IPJ, c’est le conseil de contrôle paritaire qui requiert des grilles de placement des diplômés.
Chiffres publics ou non…toujours est-il que plusieurs responsables de formation, sous couvert d’anonymat, nuancent leur pertinence: ils seraient souvent truqués, les établissements joueraient sur les dates de sortie de la formation, ne donneraient que ce qui les arrange dans le lot des diplômés… En comparant ce qui est accessible sur les sites internet des écoles, on constate en tout cas que les établissements publics divulguent plus volontiers ce type de données que les établissements privés. Le directeur de l’IPJ, Pascal Guénée, relève que "statistiquement, sur une promotion de 46 personnes chez nous, le taux et le type d’emploi ne sont pas significatifs". " Par exemple quand certains sont en CDD à répétition en agence, CDD qui se transforment quasiment toujours en CDI à terme", poursuit-il pour justifier la non-publicité de ses chiffres. De son côté, le CUEJ publie une étude menée sur 10 promotions des "cinq formations universitaires reconnues par la profession"…oui, l’étude date, puisqu’elle remonte à février 2000. Quant au CFJ, il ne fournit pas de chiffres sur son site mais son directeur, Fabrice Jouhaud, affirme qu’il aurait "plutôt intérêt à communiquer car ça se passe pas mal à la sortie". Il faut dire que ce n’est pas directement l’école, mais l’association des anciens, via son annuaire, qui s’occupe de suivre l’état des troupes. De même à l’EJT, et en partie à l’ESJ.
du suivi d’accompagnement à une influence sur les effectifs
Chacun sa méthode, en effet: le Celsa effectue une enquête d’insertion professionnelle sur toutes ses filières (également en communication et en RH), quelques mois après la sortie, mais les journalistes ne répondent pas toujours, d’après une responsable du Celsa. L’IPJ, dans un souci d’efficacité, relance les élèves par téléphone, 6 mois, 18 mois puis 30 mois après l’obtention du diplôme. "Ensuite l’association des anciens prend le relais. Nous considérons que le suivi est de notre ressort pendant les trois premières années", explique Pascal Guénée. A l’IUT de Lannion, outre la vaste enquête commandée par le ministère, il existe une base de données enrichie régulièrement par les étudiants, ainsi qu’une enquête conduite par la direction trois ans après la sortie.
Tous ces outils ont des usages multiples: l’IPJ par exemple parle de "suivi d’accompagnement". "On craint toujours qu’un ancien soit en difficulté, même si c’est rare, et qu’il ne nous l’ait pas signalé. Nous avons alors souvent des offres de collaboration à lui proposer", selon son directeur. Au Celsa, on signale qu’il arrive que des entreprises contactent la direction pour connaître le niveau des salaires, et l’ensemble des chiffres est diffusé à la journée portes ouvertes pour les étudiants intéressés. Plus largement, l’IUT de Bordeaux considère que son annuaire unit le réseau des diplômés, et que ses anciens sont un des moyens pour lui permettre de rester en contact avec la profession. Plusieurs établissements reconnaissent que les indications recueillies auprès des anciens peuvent faire évoluer certains cours: par exemple la spécialité agence étant généralement peu investie à la sortie des écoles, les cours sont réduits. Le directeur de l’EJT et celui du CFJ sont sur la même longueur d’onde à ce sujet: "le placement des anciens ne provoque pas le placement des nouveaux, il faut s’adapter au marché de l’emploi actuel avant tout", selon le premier, Bertrand Thomas. "Nous formons des journalistes polyvalents qui se spécialisent. Nous ne sommes pas là pour répondre au marché", argumente le second, Fabrice Jouhaud.
Il signale cependant un effet concret des statistiques: "l’an dernier, nous avons pris moins d’étudiants", devant les difficultés du secteur. Loïc Hervouet, directeur de l’ESJ, n’exclut pas totalement cette possibilité: "Ces statistiques pourraient influer sur les effectifs. (Mais) nous ne pratiquons pas de malthusianisme élitiste, et considérons que l’ESJ peut et doit fournir des journalistes de toutes spécialités à tous les types de médias. C’est pourquoi, même si elles ne seront peut-être pas éternelles, nous avons créé et maintenu des filières spécialisées". Et le même Loïc Hervouet de regretter l’absence "d’un observatoire professionnel réellement financé pour travailler sur le sujet" de l’insertion professionnelle.
Alison Cartier
2005-02-04