Turpitudes : Profession : demandeur de visa
Clichés des pérégrinations des Camerounais candidats à l’immigration.
Eugène Dipanda
Source : http://www.quotidienmutations.net/
7/7/2005
A 27 ans, Serge aura tout essayé. En vain. Sur le parvis de certains consulats de Yaoundé, il avait fini par se faire plein d’amis. Des vendeurs de rêve pour la plupart, qui proposent des "facilités" aux demandeurs de visa, et qui avaient fini par s’accoutumer de cette silhouette filiforme dont le dossier était régulièrement rejeté par les services consulaires. Mais, Serge s’était fait de nombreux ennemis aussi. Ces jeunes gens qui lui ont extorqué, à plusieurs reprises, des centaines de milliers de francs Cfa, en lui promettant que cette fois serait la bonne. Qu’il obtiendrait le précieux sésame: le visa d’entrée dans l’espace Schengen. Celui qui permet à son détenteur d’aller sans problèmes, d’un pays à l’autre de l’Union européenne ayant ratifié ce traité. Un rêve qu’il caresse depuis qu’il a abandonné ses études en classe de Première. Et qu’il a finalement dû abandonner, après cinq années de "bataille".
Gérard, quant à lui, n’est pas prêt de jeter l’éponge. Surtout que, contrairement à Serge, il a "goûté", l’an dernier, au plaisir d’un voyage en Europe. Par un tour de passe-passe dont il semble avoir le secret, il avait réussi à traverser les mailles de la police des frontières avec le passeport d’un ami qui avait obtenu un "long séjour" quelques temps avant. Mais, le rêve de Gérard s’est arrêté d’un coup. Le pot aux roses est découvert à l’aéroport de Genève (Suisse), où l’avion en partance pour la France était en transit. La police locale se charge du reste. Rapatriement direct! La joie aura été de très courte durée. Il a juste humé le "paradis". Sans plus. Mais, à 32 ans, Gérard ne semble pas avoir perdu espoir. Comme s’ils s’étaient passés le mot, les services consulaires rejettent systématiquement toutes ses demandes de visa. Sa famille se démène néanmoins comme elle peut, pour trouver une nouvelle astuce. En attendant, il vadrouille au quartier Etoa-Meki à Yaoundé, promettant à qui veut l’entendre que le nouveau départ est imminent.
Exactement la même promesse faite récemment par Justine à ses camarades du quartier Deido à Douala. Titulaire d’un Brevet de technicien supérieur (Bts) en Commerce, elle devait présenter, en France, un concours d’entrée dans une grande école de l’Hexagone. La jeune fille croyait ainsi avoir, au détail près, réuni toutes les conditions exigées par l’Ambassade de France. Elle se rendra vite à l’évidence: un visa, ce n’est pas aussi facile que cela. La date du concours est vite arrivée. Toujours tiraillée par les procédures administratives auprès de l’ambassade, Justine doit désormais revoir ses ambitions. L’école en France, ce ne sera certainement pas pour cette fois. Mais comment donc a réussi Sylvie, sa camarade de lycée? Sans trop chercher, la jeune fille, qui n’est jamais parvenu à décrocher son baccalauréat, vit à Marseille depuis bientôt deux ans. Avant son voyage, elle était en service dans une poissonnerie du Marché New-Deido, où elle a peu à peu épargné de l’argent pour un billet d’avion. Aux cotés de son frère aîné, qui l’a devancé en Europe, elle s’est désormais reconvertie dans la coiffure. Ses nombreux "western union", à sa famille restée au pays, prouvent qu’elle s’en sort plutôt bien. Un indice qui conforte nombre de jeunes de sa génération restés au pays dans ce que, l’eldorado c’est vraiment de l’autre côté. .