"Pour un dialogue en Centrafrique",
Daniela Kroslak in Le Monde
18 décembre 2008
Le Monde
Une nouvelle fois un pays d’Afrique est au bord de l’abîme et une nouvelle fois l’attention de la communauté internationale se relâche en dépit d’une grave crise humanitaire et politique. Malgré l’ouverture programmée d’un dialogue politique inclusif en République centrafricaine (RCA), notamment entre le gouvernement de Bangui et les forces rebelles, le risque d’embrasement n’a jamais été aussi élevé depuis le coup d’Etat du 15 mars 2003, qui porta au pouvoir l’actuel président, François Bozizé.
Le dialogue politique inclusif, une initiative visant à rassembler l’ensemble des protagonistes de la crise centrafricaine autour de solutions négociées, s’est ouvert le 8 décembre après avoir été repoussé plusieurs fois. Sa réussite nécessite que les participants croient en la possibilité d’un compromis politique véritable.
Pourtant, jusqu’à présent, les parties en conflit continuent de considérer le recours à la force des armes comme l’ultime moyen pour mettre fin à la crise et se préparent à la reprise des combats.
Parmi les adversaires du président François Bozizé, certains ambitionnent de détourner ce dialogue politique afin de le transformer en un outil de conquête rapide du pouvoir. Le président Bozizé, de son côté, semble pris en otage par la faction la plus extrémiste de son entourage. Il refuse de faire les concessions nécessaires à la tenue d’une élection présidentielle démocratique en 2010.
Pour garantir l’impunité de ses forces, il a promulgué, en octobre, une loi d’amnistie générale et n’a pas hésité à tenter d’enrayer l’enquête de la Cour pénale internationale sur les crimes commis en République centrafricaine. Le dialogue politique doit donc impérativement être recentré sur la préparation des élections de 2010 et sur la mise en place d’un mécanisme crédible de justice transitionnelle.
Il est aussi essentiel que le pouvoir à Bangui accepte de réviser la loi d’amnistie d’octobre afin que le dialogue politique inclusif puisse s’appliquer sans exceptions ni conditions. La France devrait donc maintenir la pression nécessaire sur le président Bozizé pour que le dialogue aille de l’avant sans dérailler.
SITUATION CRITIQUE
La communauté internationale plus large a aussi sa part de responsabilité dans la dégradation politique et l’augmentation des tensions. En organisant les états généraux des forces armées au début de l’année, les bailleurs de fonds ont vidé le dialogue national de sa substance sécuritaire, qui est pourtant au coeur de la crise centrafricaine.
Plus généralement, la communauté internationale paye aujourd’hui le prix de sa complaisance en matière de démocratisation : disposée à renoncer à la réconciliation en échange du simple désarmement, elle encourage de facto de nouvelles insurrections en accordant des concessions sans contrepartie aux chefs de guerre prêts à réinvestir le champ de la légalité.
Dans ce contexte, la décision que le Conseil de sécurité des Nations unies doit prendre en décembre, au sujet de la relève de l’actuelle force européenne déployée au Tchad et dans le nord-est de la Centrafrique (Eufor RCA/Tchad), revêtira une importance capitale. L’accalmie sécuritaire aujourd’hui en vigueur dans le nord du pays en dépend.
La communauté internationale devrait clairement maintenir la présence de la Mission des Nations unies en République centrafricaine et au Tchad (Minurcat 2). Cependant, si elle est forcée d’alléger son déploiement, le contingent des Nations unies en RCA devrait harmoniser et coordonner son retrait avec le renforcement équivalent de la force régionale de maintien de la paix, la Micopax, afin de lui permettre de prendre sa relève, d’assurer une cohésion dans l’approche pour la sécurisation du pays et de faciliter la transition entre les deux forces et avec les forces françaises réduites en évitant les affrontements armés.
La France doit prendre les mesures nécessaires pour que le retrait de ses troupes ne laisse pas un vide derrière elle mais que la force de maintien de la paix Micopax possède effectivement les moyens pour assurer la sécurité.
Aujourd’hui, la République centrafricaine fait donc face à une situation interne très préoccupante et à une incertitude internationale majeure. Autant dire que le pays est dans une situation critique.
Si la communauté internationale, et la France en particulier, en raison de son influence et des efforts importants qu’elle a déjà consacrés à cette crise, faiblissait dans son soutien à la paix en RCA à ce moment-clé, tout espoir d’une amélioration des souffrances du peuple centrafricain pourrait disparaître.
Daniela Kroslak, directrice adjointe du programme Afrique de l’International Crisis Group