« Le ventre de l’Atlantique », de Fatou Diome, éd. Anne Carrière, 296 pages, 17 euros
Source : Paris Match (Match de Paris Livres), auteur du texte ci-dessous : Jérôme Bégié
La France fait encore rêver…..Pas ceux qui y sont nés mais ceux qui rêvent d’y habiter. A leurs yeux, y travailler reste le symbole ultime de la réussite. On les envie, on désire les imiter mais, en attendant, on leur impose des devoirs : entretenir le reste de la famille qui n’a pas quitté le pays. A Strasbourg, Salie, l’héroïne du livre de Fatou Diome, est une brillante étudiante. Au Sénégal, elle est un modèle, et on le lui fait payer. On lui téléphone à tout bout de champ en exigeant qu’elle rappelle pour ne pas payer la communication, on veut qu’elle revienne au pays les bras chargés de présents, et son frère lui demande instamment de le faire venir en Europe. Puisqu’elle réside en France, la jeune femme ne peut pas avoir de problème d’argent, de chagrins à confesser, de doutes à exprimer. Elle est le rocher auquel on veut se raccrocher sans lui demander si, un jour, il ne risque pas, lui aussi, d’être emporté par le tourbillon du fleuve. Lorsque Salie tente d’esquisser le tableau de sa vie quotidienne dans l’Hexagone (France), on ne la croit pas. Pis, on la soupçonne de ne pas vouloir partager son bonheur et de maintenir les siens dans la pauvreté. Dès les premières pages, « Le ventre de l’Atlantique » frappe par les propos iconoclastes qu’il contient. En trois cent pages, on lit une autre histoire de l’immigration, très éloignée des clichés habituels. Les dénonciations ne sont pas superficielles. L’auteur sait de quoi elle parle lorsqu’elle montre du doigt ces agents de footballeurs qui font miroiter une carrière internationale à des adolescents prêts à tout pour échapper à leur sort. Une fois débarqués, sans papiers, en Europe, ils sont employés comme manœuvre sur des bateaux ou travaillent dans l’exiguïté des ateliers clandestins. Charge à eux de rembourser au centuple leurs frais de voyage et d’hébergement. Ni manifeste politique, ni plaidoyer pour une Afrique libre et indépendante, ni essai sur l’immigration, ce livre est d’abord un roman aux couleurs chatoyantes et aux expressions imagées, écrit par un auteur dont on reparlera.