Tidjane Thiam crève «le plafond de verre»
Le rachat par Prudential des activités asiatiques d’AIG remet en lumière le charismatique patron du groupe anglais. Tidjane Thiam, franco-ivoirien, profite de son aura pour souligner les failles d’un système français incapable de faire de la place aux minorités.
«Je suis noir, francophone et je mesure 1,93 mètre». Voila comment Tidjane Thiam se décrit lui-même à un chasseur de tête britannique venu lui proposer un poste chez Aviva en 2002. Ce polytechnicien franco-ivorien a alors 40 ans et travaille pour le cabinet international d’études McKinsey. Pourtant, il préfère prévenir son interlocuteur qui lui propose de se rendre à un entretien pour un poste chez le premier assureur du Royaume-Uni.
A cette époque, Tidjane Thiam est échaudé par toutes les difficultés qu’il rencontre pour trouver un poste à la hauteur de ses ambitions en France. Pourtant, son CV n’est pas censé laisser les recruteurs indifférents. Issu d’une famille de Côte d’Ivoire, fils d’un ancien ministre ivoirien de l’Information et d’une mère analphabète jusqu’à ses trente ans, Tidjane Thiam a intégré la crème des écoles française dans un parcours sans faute. Après les classes préparatoires, il empoche son diplôme de l’Ecole Polytechnique en 1984 et parade sur les Champs Elysées un 14 juillet. Il décroche aussi un diplôme d’ingénieur civil des Mines de Paris en étant majeur de promo en 1986. La même année, il complète ce parcours par un MBA à l’Insead.
La lutte contre la discrimination qu’il a vécue en France devient l’un de ses combats. Dans un texte intitulé «Qu’est-ce qu’être français», écrit pour le think -tank «L’Institut Montaigne», l’homme raconte sa «frustration» quand l’un de ses camarades d’école devenu chasseur de têtes lui annonce avoir rayé son nom de la liste «parce que la réponse invariablement était: profil intéressant et impressionnant mais vous comprenez…’». Il se dit fatigué de heurter sans cesse ce «plafond de verre», image économique qui désigne les difficultés d’une catégorie de personne à accéder à un poste à responsabilités. Terme fréquemment utilisé pour les femmes.
Parenthèse politique
Avant l’épisode Aviva, Tidjane Thiam a fui les discriminations du monde économique pour se réfugier dans la politique. Avec là encore, un parcours exemplaire. Après ses diplômes, il prend une année sabbatique pour suivre le Programme des jeunes professionnels de la Banque Mondiale. Un programme de formation conçu pour attirer les meilleurs jeunes talents de part le monde. En 1994, il accepte un poste de responsable du Bureau National d’Etudes Techniques et de Développement que le nouveau président de Côte d’Ivoire, Henri Konan Bédié, lui propose. Il l’occupera jusqu’au coup d’Etat de décembre 1999.
En août 1998, il devient ministre du Plan et du Développement de son pays natal. Cette même année, il a été sélectionné parmi les «100 leaders les plus prometteurs de demain» du Forum de Davos (Young Global Leaders of Tomorrow). Il est élu membre du Dream Cabinet en 1999 et du Conseil Consultatif de l’Institut de la Banque Mondiale. Avec ses petites lunettes et son sourire en coin, Tidjane Thiam séduit jusqu’à Tony Blair. Le premier ministre britannique de l’époque le choisit pour être l’un des membres de sa Commission pour l’Afrique.
Retour aux affaires économiques
En 2002, Tidjane Thiam ferme la parenthèse politique en acceptant un poste chez Aviva, en tant que directeur de la stratégie et du développement. Il opte pour cette Grande-Bretagne qu’il dit «très tolérante et extrêmement ouverte». Ambitieux, Tidjane Thiam gravit rapidement les échelons pour devenir directeur général du premier assureur en Grande-Bretagne. Aussi, lorsqu’il décide de «rétrograder» au poste de directeur financier chez le concurrent Prudential en septembre 2007, la nouvelle surprend. «Ce n’est pas courant. Ca n’arrive quasiment jamais sauf quand les directeurs dirigent des divisions beaucoup plus petites», écrit Gavin Hinks, journaliste britannique. «Tidjane Thiam est à l’évidence quelqu’un de très talentueux et d’ambitieux. C’est clairement quelqu’un qui est pressenti pour le sommet et qui ne devrait pas rester directeur financier très longtemps».
Le journaliste avait vu juste. En octobre 2009, Tidjane Thiam devient directeur général de Prudential. Il devient au passage le premier noir à la tête d’une multinationale de l’indice FTSE 100. La City aussi est sous le charme. A tel point qu’elle applaudit des deux mains sa promotion.
Aujourd’hui encore, les choix stratégiques du polytechnicien font l’unanimité. Le dernier en date vers l’Asie ne déroge pas à la règle. Cinq mois après son arrivée à la tête de Prudential, le groupe part à la conquête du plus gros marché émergent au monde. Quand Tidjane Thiam a officialisé le rachat des activités asiatiques d’AIG par une transaction colossale de 35,5 milliards de dollars, la nouvelle a enthousiasmé toutes les places financières des Etats-Unis à l’Asie en passant par l’Europe. Au passage, Prudential a aussi renoué avec les profits en 2009, avec un bénéfice net de 676 millions de livres (environ 755 millions d’euros) sur l’exercice écoulé, contre une perte de 396 millions de livres (493 millions d’euros) un an plus tôt.
Par Hayat Gazzane
05/03/2010
Source: http://www.lefigaro.fr
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