"On nous qualifie sans cesse d’"Arabes" et on

Source : www.lemonde.fr
"On nous qualifie sans cesse d’"Arabes" et on prétend nous empêcher de nous situer par rapport à l’islam""
Pour les juifs, la communauté, c’est bien vu ; pas pour nous, les musulmans".
Angoulême (Charente) de notre envoyé spécial

Le premier, Zak, 25 ans, a pris la parole avec la véhémence du fils d’immigré au chômage en dépit de son diplôme d’ingénieur. "On nous demande sans cesse de nous intégrer et on nous empêche de faire la seule chose qui nous permettrait de nous faire entendre : nous rassembler. " Ils sont 13 Charentais, ils s’appellent Kadour, Mamadou ou Raffik et sont réunis régulièrement par les sociologues Didier Lapeyronnie et Laurent Courtois pour une étude sur les jeunes de cité. La paisible préfecture ne fait guère parler d’elle au chapitre des violences urbaines. La colère qui sourd du petit cénacle, loin des tams-tams médiatiques, n’en est que plus significative.

Que l’on rouvre la question du "repli communautaire" sur le tapis, et les juifs ne sont jamais très loin. "Pour certains, on accepte le lobby ; à d’autres, on interdit la communauté", lance Zak. Tout le monde, dans le cercle, a traduit. "Pour les juifs, la communauté, c’est bien vu ; pas pour nous, les musulmans, appuie Maroual, 22 ans, en bac pro. Pourquoi a-t-on mis tous les Arabes dans les mêmes quartiers ? C’est voulu." D’ailleurs, renchérit Mamadou, 23 ans, militaire, "il suffit que quelqu’un ait un nom à consonance étrangère pour qu’on lui refuse un logement au centre-ville. Tant qu’on se bagarre entre nous, ils s’en foutent." Angoulême est petit, mais le fossé profond. "Quand je rencontre les gens en ville, je vois la facilité qu’ils ont pour s’en sortir", constate Mounir, lycéen. "Ça se voit qu’ils nous aiment pas", précise Mehdi.

Sami, lui, désigne les responsables de ces regards méfiants : "C’est à cause des médias qui nous assassinent." L’assemblée rivalise d’approbation. Les journalistes et l’image des jeunes de quartier qu’ils colportent, voila l’ennemi ! "Quand on a ramassé les ordures dans la rue pour financer un voyage avec la MJC, on a eu deux lignes dans La Charente libre, qui fait une page entière pour un Abribus cassé", assure le lycéen. "Et quand un Français passe au tribunal, ils ne mettent que son prénom, le Maghrébin, lui, a droit à son nom de famille", renchérit Kadour, 20 ans, tourneur au chômage.

Zak concentre ses critiques sur la télé, qui "se fout de nous avec ses titres provocateurs, genre : "Le voile islamique est-il une menace ?", où les questions contiennent les réponses". Là prospère, selon lui, l’hypocrisie du discours sur le "communautarisme". "On nous qualifie sans cesse d’Ärabes" et on prétend nous empêcher de nous situer par rapport à l’islam." Les médias, perçus comme surpuissants, figurent parmi les préoccupations primordiales des jeunes d’Angoulême. A les entendre, les journalistes "décident des règles" de "cette mascarade". Par exemple celle qui "autorise à qualifier un jeune de "maghrébin" mais interdit de dire qu’un intellectuel est juif", lance Zak, se référant au texte de Tariq Ramadan qui a fait scandale.

Sont-ils musulmans, ces Charentais ? Seuls quelques-uns se proclament "pratiquants". Mais celui qui ose ironiser sur la "B.M.", la "Brigade Muslim" de sa cité – ces prédicateurs "que l’on fuit parce qu’ils nous font la morale"- n’ira pas plus loin. Les objections à l’islam ne sont pas de saison. Si les jeunes s’expriment sur le sujet, c’est pour rendre hommage à "une religion qui nous évite de faire des conneries" et à ces prosélytes qui, "depuis le 11 Septembre, sortent pour nous mettre dans le droit chemin".

SALIS PAR LES MÉDIAS

Eux, en tout cas, ont le sentiment permanent d’être salis par des médias qui "voient l’Arabe, le musulman, avant la personne" et "font croire aux gens que les filles portent le voile parce qu’elles se font taper". Une image systématiquement dépréciative, qu’ils subissent avec d’autant plus de rage qu’ils ont le sentiment de n’avoir aucune prise sur elle. "Quand on est entre nous, on y échappe. Finalement, cette image nous pousse à être entre nous", analyse Mehdi, 17 ans.

Depuis le 11 septembre 2001, les choses se sont aggravées, expliquent-ils d’une seule voix, "depuis que ça cartonne sur l’islam". Ils ne sont pas loin d’avoir perçu comme des agressions l’obligation de respecter une minute de silence pour les morts du 21 avril à Madrid. "Moi, je ne l’ai pas faite", se vante Mounir. Les auteurs de l’attentat sont marocains, comme moi."

Et puis surgit la folle certitude, une évidence pour eux : "Le 11 Septembre, les juifs ont échappé aux attentats. Pourquoi ?" La réponse, insinuée, s’impose : "Les Américains voulaient asseoir leur puissance sur le monde. Ils ont relancé les croisades. Ça arrangeait aussi Israël", balance Raffik, 20 ans. Son voisin opine : "Les juifs, c’est comme si c’étaient des dieux. On ne peut pas y toucher. On défend trop les juifs en ce moment."

Philippe Bernard

• ARTICLE PARU DANS L’EDITION DU 06.07.04

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *