« Nous voulons vulgariser la private equity en Afrique »
Nouveau président de l’African Venture Capital Association, organisme dont les membres gèrent 5 milliards d’euros, J.Mawuli Ababio pense que le private equity poursuivra son ascension en Afrique en 2008. Entretien.
PAR ADAMA WADE, CASABLANCA
J.Mawuli Ababio.
« Depuis 2006, des fonds équivalant à 3 milliards de dollars ont été lancés pour l’investissement en Afrique. Les expériences sont bonnes, avec des retours sur investissement intéressants. Cela va augmenter l’intérêt des initiateurs de ces fonds pour le continent. »
Les Afriques : Vous venez de rejoindre l’African Venture Capital Association. Quelle sera votre mission?
J.Mawuli Ababio : L’AVCA a progressé de manière extraordinaire ces dernières années. Nos membres aujourd’hui sont au nombre de 97, gérant plus de 5 milliards d’euros à travers des fonds institutionnels. Ma mission sera d’élargir nos membres en incluant tous les investisseurs et acteurs engagés dans le capital risque et le capital investissement en Afrique. Nous avons pour ambition de recentrer les activités de l’AVCA pour que le private equity devienne le sujet majeur de son agenda de rencontres. L’association devra aussi construire un centre pour la recherche et la formation en matière de technique en capital investissement et renforcer l’émergence des pools de compétences entre les managers des fonds africains et les différents partenaires. Dans ce cadre, je mettrai à profit toute mon expérience dans ce domaine.
LA : Quel est l’état actuel du private equity en Afrique ?
JMA : Il y a essentiellement deux niveaux de développement de private equity en Afrique. Dans les petits marchés peu développés (l’Afrique subsaharienne en général), la plupart des acteurs sont des PME dans le premier stade du capital investissement. Ce qui est en adéquation avec le niveau de ces économies. Le capital investissement est orienté essentiellement vers les PME et les fonds allant de 10 à 50 millions de dollars. Ces fonds se refinancent en général auprès des institutions financières de développement comme FMO et de plus en plus auprès des caisses de retraite et des compagnies d’assurances africaines. Parmi les fonds intervenant à ce niveau, il y a aussi le fonds panafricain Aureos Capital, un spin off du fonds britannique Commonwealth Developpement Corporation (ndlr : voir www.lesafriques.com). Interviennent également dans cette catégorie Tuninvest (Tunisie), Cauris (Afrique de l’Ouest francophone) et Fidelity Capital Partners (Ghana). Dans les économies plus développées (Maghreb, Afrique du Sud, Nigeria), les acteurs du private equity disposent de grosses structures. L’Afrique du Sud est leader de la catégorie, avec de puissants fonds comme Ethos et Brait. Cette activité inclut la phase de désinvestissement (buy out) et des transactions particulières dans le programme gouvernemental Black Economic Empowerment destiné à résorber l’inégalité économique entre Blancs et Noirs. La plupart des fonds sont généralistes et limités à un pays spécifique quoique des structures constituées récemment disposent de vocation régionale panafricaine et sectorielle. L’on remarque aussi l’arrivée de fonds mezzanine, de fonds spécialisés dans les dettes etc. Les grands fonds de private equity opèrent en général dans l’énergie, les infrastructures, les services et les activités de l’extraction. Les acteurs arrivent dans ces domaines à mobiliser d’importants fonds, entre 50 et 500 millions de dollars auprès des institutionnels intéressés par les marchés émergents. Aujourd’hui, ces institutionnels (caisses de retraite, dotations et compagnies d’assurances) sont à la recherche de rendements élevés dans cette classe d’actifs. Les plus connus sont les institutions de développement (IFC, CDC, FMO, OPIC), Emerging Capital Partners et Kingdom Zephy (joint-venture entre Zephyr et Kingdom Holdings). Tendance nouvelle à ce niveau, l’émergence de nouveaux fonds africains comme Helios, Vectis et Travant (Nigeria).
LA : Quels pays et quels secteurs conseillerez-vous aux acteurs du private equity ?
JMA : Les fonds de private equity ciblent généralement les pays qui poursuivent une politique de réformes économiques avec des taux de croissance soutenus. Ces pays doivent aussi jouir d’un climat d’affaires transparent. La disponibilité de ressources naturelles (bien que n’étant pas nécessaire) peut forcer la décision de l’investisseur, tout comme la présence d’une classe d’entrepreneurs dynamiques et d’un marché de capitaux pouvant faciliter les opérations de sortie. Je suis persuadé que n’importe quel pays qui poursuit des réformes démocratiques et économiques, ou est en voie de tourner la page d’un conflit, intéresse les investisseurs et les gestionnaires de fonds. Au Maghreb, les pays qui sont suivis aujourd’hui sont le Maroc, la Tunisie et la Libye. En Afrique de l’Ouest, il y a le Liberia, la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Nigeria. En Afrique de l’Est, il y a la Tanzanie, le Rwanda et le Kenya. En Afrique du Sud, l’Angola, le Mozambique et bien sûr l’Afrique du Sud ont la faveur des fonds. Les secteurs d’investissements sont les industries extractives, les services réglementés (banques, assurances, télécoms) et les infrastructures (routes et BTP).
« Je suis persuadé que n’importe quel pays qui poursuit des réformes démocratiques et économiques, ou est en voie de tourner la page d’un conflit, intéresse les investisseurs et les gestionnaires de fonds. »
LA : Quelles tendances futures prévoyez-vous pour le marché du private equity ?
JMA : Depuis 2006, des fonds équivalant à 3 milliards de dollars ont été lancés pour l’investissement en Afrique. Les expériences sont bonnes, avec des retours sur investissement intéressants. Cela va augmenter l’intérêt des initiateurs de ces fonds pour le continent. Aussi bien 2006 que 2007 ont enregistré des records avec 2 milliards de dollars levés chaque année. La tendance devrait se poursuivre. En termes d’investissements, je crois à la poursuite de l’intérêt des fonds dans les secteurs des télécoms et TIC, de la banque et de la finance. Je m’attends aussi à voir les managers des fonds commencer à se concentrer sur des stratégies de sortie dans des marchés arrivés à maturité comme le Nigeria. Je miserais aussi sur une augmentation de l’investissement dans des activités comme le secteur des infrastructures (énergie, BTP). Dans cette phase de transition du marché, il faut s’attendre aussi à une montée en puissance de la finance islamique et des fonds souverains. Pendant ce temps, les institutionnels vont noter avec intérêt si la vague des fonds lancés récemment va engranger les résultats espérés. Au niveau des pays, il faut s’attendre à un renforcement des marchés financiers, lesquels pourront ainsi offrir une voie de sortie royale aux managers de fonds. Les fonds de développement tels que le FMO et le DBSA vont continuer à soutenir les fonds de capital investissement. Quelques fonds autochtones et des compagnies de trading qui interviennent dans le secteur du private equity en investissant dans des instruments spécialisés (comme Mon Loisir Groupe à Maurice).
LA : Quel est l’apport du private equity en Afrique ?
JMA : Le private equity en Afrique permet de renforcer le développement, l’emploi, la création de richesse, etc. En plus, l’activité permet de combler le déficit de financement gouvernemental dans le secteur des infrastructures et des services. La combinaison des deux sources d’investissement est favorable à des projets de partenariat public-privé (PPP). Finalement, il y a un apport important en termes de développement du capital humain et de transferts de savoir-faire, vu que de plus en plus de professionnels africains basculent dans le private equity, ce qui est positif puisqu’ils connaissent bien le marché.
Source: http://www.lesafriques.com
16/02/08