«Notre passeur a jeté des gens par-dessus bord pour que la pirogue ne coule pas»
Omar Ba a mis près de trois ans à rejoindre la France. Ce jeune Sénégalais étudie aujourd’hui la sociologie à Paris et publie Soif d’Europe. Témoignage d’un clandestin (éd. du Cygne).
«J’ai quitté Dakar le 5 septembre 2000. J’avais 21 ans et le bac en poche. La veille du départ, dans mon quartier, il y a eu des funérailles de clandestins morts en route. Mais ça ne m’a pas refroidi, je pensais que c’était une exception. J’ai pris les 500 000 FCFA (762 euros) que ma mère avait économisés pour que je fasse le périple et je suis parti. J’ai rejoint le lieu du rendez-vous. On était un groupe de cinquante personnes. Le passeur nous a emmenés jusqu’à la plage de Mbour, direction les Canaries. Face à la pirogue, j’ai hésité quelques secondes. Je ne sais pas nager. Mais j’ai décidé de suivre mon destin. Arrivés à Dakhla, ultime étape avant les Canaries, notre coque a pris l’eau. Mourad, notre passeur, a décidé de jeter des gens par-dessus bord pour alléger la barque, certains pendant leur sommeil. Il a en jeté dix. Les cris étaient atroces. D’un côté, j’étais choqué, et de l’autre, je me disais que c’était peut-être le seul moyen pour que la pirogue ne coule pas. L’instinct de survie avait pris le dessus. Mais nous n’avons pas pu arriver jusqu’aux Canaries.
J’ai tenté de rejoindre l’Europe par d’autres moyens, mais j’ai été refoulé à chaque fois : du Maroc [à Ceuta et Melilla], de l’Algérie, du Tchad, et de Lampedusa [île italienne]. Personne ne voulait de moi. En tout, j’ai pris trois fois des pirogues. J’ai traversé le désert pour aller en Algérie en suivant des caravaniers. J’en étais arrivé à bouffer du sable et je crevais de soif, alors qu’eux faisaient leurs ablutions pour la prière, sans rien nous donner. J’ai supporté tout ça parce que je me disais qu’au bout, un eldorado m’attendait. Mais, enfin arrivé en Europe, j’ai été expulsé et renvoyé à la case départ, au Sénégal. J’ai repris mes études, et j’ai réussi à décrocher un visa étudiant pour la France, où je suis arrivé en 2003. Même si ça a été une souffrance de quitter les miens, aujourd’hui, je veux rester et faire ma vie ici. Mais si c’était à refaire, je ne le referais pas. C’est trop dur.»
Source: http://www.20minutes.fr
20 Minutes, éditions du 08/02/2008 – 07h20
Recueilli par F. V.
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Omar BA – www.omarba.skyblog.com