Nigeria – Dérive mafieuse à la fac

Nigeria
Dérive mafieuse à la fac
Article publié dans Courrier International, 14 novembre 1997

La violence est devenue endémique sur les campus, où les différends se règlent à l’arme automatique. A l’origine, des confréries estudiantines fondées sur des idéaux humanistes, qui se sont transformées en organisations criminelles.

THISDAY, Lagos

La tradition des "confréries" sur les campus nigérians est née en 1952, avec la création de la confrérie des Pirates sous la houlette de Wole Soyinka, premier Prix Nobel de littérature d’Afrique noire. La confrérie était au départ non-conformiste. Aspirant à introduire des changements dans le milieu étudiant et l’ensemble de la société, l’association était animée d’idéaux "humanistes".

De 1952 à 1997, une mutation "génétique" anormale est intervenue, qui a donné naissance à une pléthore d’organisations secrètes. Pour la plupart, elles ne partagent guère les idéaux des pionniers. Le premier changement serait intervenu au milieu des années 70, lorsqu’un membre de cette confrérie a été exclu. La victime de cette mesure disciplinaire décida de créer une confrérie rivale, baptisée les Boucaniers. A l’origine, elle partageait les idéaux des Pirates. Mais ses membres avaient énormément de mal à asseoir leur crédibilité. D’où un besoin permanent de s’affirmer, qui expliquerait partiellement leur violence.

La discipline allait s’effondrer avec la multiplication, au début des années 80, des établissements d’enseignement supérieur. Sociétés secrètes et confréries poussèrent comme des champignons, avec notamment la création de la Hache noire, des Vikings et du Béret rouge. Ces dix dernières années, des sociétés secrètes féminines ont également vu le jour, telles les Filles de Jézabel et les Amazones.

Le plus troublant, ce n’est pas tant l’ampleur du phénomène que ses effets dévastateurs sur les campus, où certaines de ces organisations se sont livrées à des actes d’une violence inouïe. La plupart du temps, les rivalités sanglantes ont pour motif la recherche de la suprématie. La plupart des affrontements commencent de manière anodine avant de dégénérer en vraies guerres, où les armes perfectionnées sont utilisées à profusion. Les enseignants restent dans l’incapacité d’appliquer des sanctions à l’encontre des coupables. Ces derniers attaquent en plein jour des chambres d’étudiants ou des classes, violent des étudiantes ou volent en toute impunité.

Pourquoi est-il impossible d’y mettre fin ? On peut invoquer de multiples raisons. Bien que la plupart des membres des confréries soient connus de leurs camarades, officiellement ils n’ont pas de visage et aucun compte à rendre. Ces organisations ne sont pas enregistrées auprès des autorités universitaires. Ensuite, nombre de confréries compteraient dans leurs rangs d’anciens étudiants devenus des personnages puissants. Ces hommes influents s’emploieraient en permanence à tirer d’affaire les membres de leur confrérie arrêtés. Sans oublier le facteur familial : on sait par expérience que les parents ont du mal à croire que leurs "enfants adorés" puissent devenir membres d’une société secrète prônant la violence. Quant à l’attitude des autorités académiques, selon certaines rumeurs, aucun vice-président d’université ne pourrait se maintenir sans être en connivence avec une confrérie. On peut donc penser que ces personnages influents, qui vivent sur les campus, servent de points de ralliement pour les confréries. Certains vice-présidents vont jusqu’à se déplacer sur leur campus sous la protection de gardes du corps appartenant à une confrérie. Ce qui montre à quel point ces organisations sont tacitement acceptées.

Enfin, le pouvoir étudiant joue un rôle très important. Ces sociétés secrètes ont noyauté le syndicat estudiantin, le corps enseignant, voire des associations de faculté. Le facteur le plus important est sans doute l’idée que les étudiants obéissent à un code de conduite différent de celui de la société. Par conséquent, des actes qui devraient être considérés comme sacrilèges paraissent normaux sur le campus. Pourtant, les choses commencent à changer : la loi du silence est battue en brèche dès lors que la violence a atteint un niveau insupportable et que des étudiants sont tués presque chaque semaine.

La situation est d’autant plus préoccupante que les sociétés secrètes se sont dotées récemment d’un arsenal impressionnant. Au tout début, les haches et les coutelas étaient les armes les plus répandues. Puis les pistolets ont fait leur apparition, avant de céder du terrain ces dernières années aux fusils d’assaut. Comment les étudiants peuvent-ils se procurer ces armes ? A en croire les intéressés, la réponse est relativement simple. En général, les membres des confréries réunissent la somme nécessaire à l’achat d’une arme, ensuite confiée au chef. Autre méthode : le vol pur et simple. Nombre d’étudiants viennent de familles possédant des armes à feu. Ils les volent à leurs parents afin d’aller semer la terreur sur les campus. Le propriétaire d’une arme à feu jouit d’un grand prestige : on le juge aussi fort que cinq hommes réunis. En temps de crise, son concours est précieux pour rendre coup pour coup à l’ennemi. Les membres des confréries louent également leurs armes. La plupart du temps, ils empruntent les mêmes canaux que les criminels. Après s’être servis des armes, ils les ramènent aux "loueurs". Avant l’engouement pour les fusils d’assaut, les confréries avaient commencé par utiliser des armes de fabrication artisanale. Mais l’escalade dans l’horreur a eu lieu dès 1989, avec le meurtre d’un étudiant handicapé. Les auteurs du forfait avaient utilisé le sang de leur victime pour écrire sa notice nécrologique sur plusieurs murs du campus ! La victime appartenait vraisemblablement à une société secrète et avait eu maille à partir avec un rival. Ce fut l’un des premiers meurtres de campus à faire la une des journaux ; le début d’une période sombre. [Une bataille rangée entre étudiants à l’université de Lagos a fait deux morts et de nombreux blessés les 4 et 5 septembre dernier.]

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