Niger – La fraude et la corruption menacent l’école

Niger – La fraude et la corruption menacent l’école
IPS – [07/10/05]

Ousseini Issa

NIAMEY, 7 oct (IPS) – ”Un camarade de classe, Razak Abidi*, l’enfant d’une haute personnalité de l’Etat, a séché les cours toute l’année. Il nous a ouvertement révélé avoir obtenu certaines épreuves et les corrections à la veille de l’examen”, déclare à IPS, Kassoum Abdoulkarim, un jeune bachelier nigérien de 2005.

”Les rares fois que Razak mettait pied à l’école, c’était pour nous narguer et perturber la classe. Il clamait haut et fort qu’il aura son bac et il l’a obtenu effectivement à l’écrit, sans avoir eu besoin de passer des épreuves orales”, ajoute Abdoulkarim, dans son témoignage.

”La fraude et la corruption à l’école et aux concours se font aujourd’hui à visage découvert. Tout le monde s’y adonne, à commencer par les autorités politiques”, explique à IPS, Moumouni Djibo, le directeur des enseignements secondaire et supérieur, à Niamey, la capitale nigérienne.

Selon des analystes du monde de l’éducation, ces pratiques, qui ont pris des proportions inégalées ces dernières années, menacent la crédibilité des diplômes nigériens.

Entre 2004 et 2005, les résultats de trois concours, dont un test de recrutement de douaniers, ont été annulés par le ministère de la Fonction publique et du Travail à cause de la fraude qui a émaillé leur organisation, a constaté IPS.

Mais, aucun agent du ministère n’a été sanctionné jusqu’à présent, malgré la pression des acteurs sociaux qui exigent que les coupables soient démasqués et punis.

”Lorsque même des hautes personnalités de l’Etat cherchent à faire admettre illégalement des candidats aux examens et concours, il est illusoire de croire qu’on peut éradiquer le fléau”, déplore-t-il, sans citer des noms.

Une enquête sur la corruption à l’école réalisée, en 2004, par la section nigérienne de Transparency International (TI), relève que l’éducation est le secteur le plus corrompu au Niger, avec une proportion de 35,8 pour cent contre 20,2 pour cent à la douane, 6,6 pour cent dans l’administration, et 6,2 pour cent dans la justice. (TI est une organisation non gouvernementale basée à Berlin, qui surveille et lutte contre la corruption dans le monde).

De l’admission dans une école publique à l’obtention d’un diplôme, en passant par l’obtention de la mention à l’examen, d’une bonne note ou d’une bourse d’études, tout se monnaye aujourd’hui dans le système éducatif nigérien, selon l’enquête.

”Les sommes perçues varient selon le diplôme ou l’objectif recherché. Pour le Brevet d’études du premier cycle (BEPC), le montant varie de 50.000 à 100.000 francs CFA (de 100 à 200 dollars environ), et pour le baccalauréat, de 150.000 à 200.000 FCFA (entre 300 et 400 dollars environ). Pour obtenir une bourse pour l’étranger, il faut débourser entre 200.000 à 300.000 FCFA (entre 400 et 600 dollars”, note le rapport de TI.

Pour Djibo Hama, inspecteur pédagogique de l’enseignement secondaire à Niamey, ”la fraude se pratique ces dernières années à grande échelle au Niger, et elle a forcément un impact sur les taux de réussite aux examens, qu’il est difficile de quantifier”.

”En revanche”, ajoute-t-il, ”on réalise la généralisation du fléau à travers les élèves qui accèdent au Lycée ou à l’université. Ils sont de plus en plus nombreuxàles élèves qui accèdent aujourd’hui à des études supérieures, mais qui ne reflètent aucun niveau”.

Selon des analystes, ce sont de ”véritables réseaux” qui se constituent pour organiser la fraude à l’occasion des examens de fin d’année.

”L’anonymat des copies d’examen sensé garantir le mérite ne sert plus à rien, car des enseignants parviennent toujours à déchirer les codes utilisés par les présidents des jurys”, déclare à IPS, Mody Alzouma, un agent du ministère de l’Enseignement de Base et de l’Alphabétisation, à Niamey.

”La fraude à l’école revêt plusieurs formes. Il y a l’attribution de notes de complaisance, la substitution des copies ou la falsification des notes par les enseignants. Vous avez aussi les fuites de sujets qui sont organisées par les gestionnaires du système éducatif”, explique à IPS, Zaman Allah Seybou, enseignant dans un lycée de la capitale.

Selon Halimatou Garba, une étudiante de l’Université de Niamey, ”De nombreux étudiantes monnayent aujourd’hui leurs charmes contre les notes pour passer” leurs examens.

”L’enseignant est seul responsable devant ses copies. Il peut refuser de donner une note de complaisance ou de prendre de l’argent pour faire admettre un candidat”, estime Seybou.

Selon Hama, la corruption s’est développée à l’école à cause de la misère dans laquelle végètent les enseignants, mais surtout de l’impunité.

”L’enseignant n’a que son salaire pour survivre. Avec le non-paiement des salaires à terme échu qu’on a connu les années antérieures, de nombreux enseignants ont pris goût à la corruption”, explique Hama à IPS, précisant que le salaire mensuel d’un enseignant au Niger varie de 70 dollars à plus de 300 dollars environ.

”Mon enfant a échoué l’année dernière au brevet alors que j’ai donné de l’argent à un enseignant qui m’a fait comprendre que même si l’enfant travaille bien à l’école, son admission n’est pas garantie si les correcteurs ne sont pas soudoyés”, confie à IPS, Assana Bouba*.

Pour Souleymane Anafi, un chef de service au ministère des Enseignements secondaire et supérieur, de la Recherche et de la Technologie, les animateurs des réseaux sont des marchands d’illusions. ”Rien ne garantit l’admission de votre enfant même lorsque vous donnez de l’argent. Malheureusement, de nombreux parents tombent dans le piège”, dit-il à IPS.

Aux examens scolaires 2004-2005, plusieurs réseaux ont été démantelés dans le pays dont trois à Dosso, une ville dans le sud du Niger, où un gardien d’école, un planton et un commerçant ont été interpellés et remis à la justice. Ils ont été identifiés par une enquête comme faisant partie de ceux qui ont organisé la fraude à Dosso.

Les prévenus encourent une peine de deux ans à moins de 10 ans d’emprisonnement et une amende de 100 à 200 dollars, selon le Code pénal nigérien.

Mais pour Hamissou Mamane, le président de l’Association nigérienne pour le droit à l’éducation, basée à Niamey, il ne s’agit là que des menus fretins. ”Dans cette affaire, il y a de gros poissons qui ne sont nullement inquiétés parce qu’ils occupent des positions stratégiques dans le système”, affirme-t-il à IPS.

Mamane estime que les vrais coupables sont à rechercher parmi les décideurs politiques et les gestionnaires du système éducatif. ”Si on veut véritablement combattre le fléau, il faut d’abord commencer par nettoyer les deux ministères chargés de l’éducation au Niger. C’est là-bas que se trouvent les cerveaux de la fraude, ceux qui alimentent tout le système, en toute impunité”.

Le Conseil national de l’éducation, qui a examiné les problèmes de l’école nigérienne du 26 au 27 septembre, au cours d’une réunion à Niamey, a demandé au gouvernement de créer une commission pour faire la lumière sur tous les cas de fraude et châtier les auteurs ainsi que leurs complices. Les participants à la réunion se sont engagés à tout mettre en œuvre pour éradiquer le fléau.

Pour y parvenir, ils ont proposé le retour à la permutation des copies d’examen entre les régions, consistant à envoyer, par exemple, les copies des candidats de Niamey dans une localité de l’intérieur du pays pour la correction, et vice versa. Le gouvernement n’a pas encore donné une suite à leurs propositions.

*(Ces noms ont été changés pour protéger l’identité des personnes concernées).

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