Maroc : centres d’appels, pièges pour étudiants subsahariens

Maroc : centres d’appels, pièges pour étudiants subsahariens

(Syfia Maroc) Pour subvenir à leurs besoins au Maroc, de nombreux étudiants subsahariens travaillent au noir dans des centres d’appels. Une poignée d’entre eux fait carrière dans le secteur, mais beaucoup abandonnent leurs études et se retrouvent bloqués, sans statut légal ni diplôme. Ni moyens suffisants pour construire un autre avenir.

"Avec mon casque sur la tête toute la journée, au début, je croyais que ce job au centre d’appels allait me rendre fou. Je venais de m’inscrire, à Oujda [ville du nord-est du Maroc, Ndlr], en thèse d’économie du développement. Pour moi, c’était juste un petit boulot de dépannage… À l’époque, mon idée n’était pas de rester au Maroc, mais plutôt de rentrer à Abidjan ou de finir mes études en Europe…" La vie de Bréhima (*) a pourtant pris une toute autre direction.

Quatre ans après avoir démarré comme simple télé-conseiller dans un centre d’appels français délocalisé au Maroc, cet Ivoirien est loin d’avoir fini sa thèse. Il a par contre gravi tous les échelons de l’entreprise. Il est aujourd’hui chef de projet et d’équipe, avec le stress et la surcharge de travail qui vont avec de telles responsabilités. Pour un salaire qu’il ne veut pas révéler. Après beaucoup d’hésitations, c’est finalement son ami Baldet (*), un Guinéen, qui répond : "Pour ce genre de poste, le salaire varie entre 8 000 et 12 000 dirhams par mois (entre 700 et 1 000 €), plus les primes… Cela correspond au salaire d’un ingénieur d’État ici".

Du travail au noir
Baldet fait partie des rares heureux élus à avoir obtenu une carte de séjour et de travail à la fin des études. Il a créé sa propre boîte de négoce et communication au Maroc, après avoir, lui aussi, travaillé pendant quatre ans dans un centre d’appels. "Dès les années 2000, il y a eu beaucoup de boulot, souvent au black [au noir, Ndlr], pour les Subsahariens dans ces centres à la recherche de francophones. Beaucoup d’étudiants se sont jetés sur ce filon et ont abandonné leurs études." Certains ne les ont même jamais commencées….

Près de 10 000 étudiants subsahariens se trouvent au Maroc. Deux tiers d’entre eux bénéficient d’une petite bourse du royaume chérifien (750 dirhams par mois, moins de 70 €) dans le cadre de programmes de coopération Sud-Sud. Bon nombre d’entre eux sont de "faux-étudiants", attirés par les possibilités d’emploi dans ces centres appartenant à des multinationales ou à leurs sous-traitants marocains. Mais la réussite de Bréhima, qui envisage aujourd’hui de retourner à Abidjan travailler dans une banque française et ainsi retrouver un rythme de vie plus normal, est rare.

Dans une coquette chambre où une vingtaine d’anciens étudiants africains se sont réunis pour témoigner de leur expérience au Maroc, la tension est palpable. Pas tant en raison de leur situation de travailleurs illégaux dans des centres d’appels, mais parce qu’ils ne sont pas sûrs d’avoir fait le bon choix en arrêtant leurs études. "Avec ce boulot, je gagne de 3 000 à 4 000 dirhams par mois (260 à 350 €, alors que le salaire minimum au Maroc est de 160 €, Ndlr) reconnaît Etienne (*). Ça me permet de payer mon loyer, mes repas et la boisson le week-end… Mais je ne peux pas fonder une famille, car ma situation est très fragile. Je n’ai pas de contrat de travail, et je sais que pour une discussion déplaisante, le boss peut me chasser du jour au lendemain." Son malaise est d’autant plus grand que ses parents lui envoient depuis des années de l’argent d’Abidjan pour poursuivre ses études, sans savoir que son "statut d’étudiant", négocié avec une école privée, n’est qu’un moyen pour lui d’avoir une carte de séjour au Maroc.

"Avec l’informatique, tout va migrer ici "
En attendant, tous pensent que leur avenir se jouera dans leur pays d’accueil ou leur pays d’origine, pas en Europe. Johara Berriane, dans une étude de l’Université de Freibourg (Allemagne) sur la mobilité des étudiants subsahariens au Maroc, constate que, "tout en espérant pouvoir continuer leur chemin et atteindre de nouvelles destinations, les étudiants sont aussi conscients des limites de leurs possibilités de migrer. Le Maroc leur paraît la seule alternative. Plusieurs parmi eux comptent y rester au moins quelques années, tout en développant des liens professionnels avec leur pays d’origine". "Repartir à zéro et finir comme plongeur dans un restaurant à Paris, non merci ! Au moins ici, je me sens utile", considère par exemple Baldet.

Le royaume chérifien, avec, entre autres, la construction du Port de Tanger, leur semble plein d’avenir. "Grâce à l’informatique, tout va migrer ici ", pronostique Christian (*), un Congolais, confiant, qui, en plus de ses études, travaille dans un centre d’appels. "Les étudiants peuvent déjà trouver un emploi dans la presse francophone, l’ingénierie, les télécommunications…", énumère Johara Berriane. Leur principal souci, pour concrétiser ce désir de s’installer au Maroc, est d’ordre juridique. Les possibilités de régularisation sont en effet limitées par diverses lois, renforcées dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, à la suite des attentats de Casablanca, en 2003.
Depuis trois ans, le recrutement d’un étranger doit être approuvé par l’Anapec (Agence nationale pour la promotion de l’emploi et des compétences) dont la mission est désormais aussi de vérifier qu’il n’existe pas localement un demandeur d’emploi marocain répondant au profil du poste.

Mais les employeurs, intéressés à trouver des travailleurs francophones, rares sur le marché du travail marocain officiel, engagent des Africains, illégalement, en connaissance de cause.

(*) Noms d’emprunt

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