Paiement des bourses : LES « CAMPEURS » DE L’ENA
Pour percevoir leur pécule avant les vacances, des étudiants passent la nuit devant les guichets sans garantie d’avoir gain de cause
Depuis deux semaines, le campus de la Faculté des sciences juridiques et économiques, (ex. ENA) déborde d’étudiants. De l’ENA centrale aux nouveaux locaux de la Faculté des sciences juridiques et économiques sur la colline de Badalabougou, le constat est identique : les boursiers ont investis les lieux, pressés (on les comprend) de récupérer leur pécule avant de partir en vacances. Les trois guichets ouverts à l’ENA centrale pour les classes des 1ère, 2e et 3e années apparaissent, dans ce contexte, comme des cavernes d’Ali Baba dont l’accès est subordonné à la connaissance d’un mot de passe magique. A défaut de cet hypothétique « sésame », la manière la plus sûre d’accéder au saint des saints a sauté à l’œil des étudiants les plus déterminés : figurer parmi les premiers dans la queue à l’ouverture des fameux guichets. CQFD : pour y parvenir, la seule solution était alors de passer la nuit sur place. Bon calcul ? Pas tant que cela car l’attente s’est révélée interminable, les files se sont allongées et la nuit à la dure s’est transformée en camping de longue durée.
DANS LE DESORDRE TOTAL. Les « campeurs » ne s’en étonnent pas car chaque année, les étudiants boursiers de la faculté des sciences juridiques et économiques vivent la même épreuve. Ils ont fini par s’adapter à ce cafouillage dont ils sont à la fois victimes et responsables. Lundi matin, au passage de notre équipe de reportage, une bagarre avait éclaté entre les étudiants. Ils s’accusaient mutuellement d’être à l’origine de la pagaille ambiante. Ulcérés par la situation, certains d’entre eux ont tout simplement plié bagages. "Partons, nous reviendrons ce soir passer la nuit. Ainsi, nous serons les premiers servis demain", a ainsi lancé un étudiant à ses compagnons. "Ce n’est pas un fait nouveau chez nous. Le nombre d’étudiants augmente chaque année. Pourtant les autorités avaient promis de tout mettre en oeuvre pour faciliter les choses. C’est vraiment inconcevable d’attendre tout ce temps, je suis ici depuis 3 jours d’affilée et je n’ai pas encore retiré mon argent", explique cet étudiant énervé. Même son de cloche chez un de ses camarades. "C’est regrettable d’assister tous les jours à des scènes aussi surréalistes pour une simple opération de paiement de bourses d’étudiants", s’est-il indigné, avant de renchérir : "cette situation illustre de fort belle manière le désordre qui caractérise nos établissements scolaires. Les boursiers sont obligés de passer des journées infernales pour avoir accès à leur dû. Une situation que semblent tolérer les responsables". Un autre étudiant, très attentif aux crises de nerf de ces camarades, n’a pas pu se retenir : « c’est ça, écrivez et dites partout que la situation qui prévaut au sein de nos établissements est un désastre. Tout est à refaire en termes d’organisation. Les boursiers souffrent le martyre pour leur dû. C’est inadmissible ». Le secrétaire général du comité AEEM de la faculté, Cheick Tidjane Sangho, reconnaît qu’il y a problème mais pointe aussi du doigt ses jeunes camarades. "Vous voyez, tout le monde veut avoir son argent et en même temps, cela crée forcément un désordre. Nous avons demandé aux étudiants de ne pas dormir ici et de venir tôt le matin. Mais comme chacun veut être le premier à être servi, ils préfèrent dormir ici pour former le rang à l’aube voire dans la nuit", constate le responsable estudiantin. Pour introduire un minimum d’ordre dans ce fiévreux regroupement, l’Association des élèves et étudiants du Mali s’est employée à mobiliser ses membres. Ceux-ci font la police devant les trois guichets. Ils recensent les présents le matin et dressent une liste dite « des premiers arrivants ». Celle-ci est remise aux comptables des guichets qui paient en fonction de l’ordre d’inscription. Les guichets s’ouvrent théoriquement à 8 heures pour fermer à 16h30. Ils effectuent quotidiennement près de 200 paiements, précise le patron de l’AEEM de la FSJE. Pour 3 guichets, le rythme n’est pas fameux (même pas 9 étudiants à l’heure par guichet). Sauf à écouter les « campeurs » qui expliquent que les guichetières arrivent au travail entre 9 et 10 heures, tiennent un long briefing avec le comptable, récupèrent l’argent et ouvrent le guichet entre 10h30 et 11h. A 13h, la pause se prolonge souvent jusqu’à 14-15h, poursuivent-ils. Ces horaires ainsi décrits, collent mieux avec les 200 paiements journaliers. La mauvaise organisation ne fait pas que des malheureux. Des spéculateurs qui se trouvent dans les rangs même du comité AEEM de l’établissement, en font leur miel, si on en croit toujours les « campeurs » qui poireautent aux premières loges. Ces spéculateurs, assurent-ils, monnaient l’accès au guichet contre 10 à 20.000 Fcfa selon que le demandeur soit demi-boursier ou boursier plein. « Il est temps que les autorités de tutelle voire l’Etat prennent des dispositions », fulmine un étudiant de 3e année droit privé.
UNE LONGUE PROCEDURE. Le comptable de la faculté, Mamadou Koné, attribue ce désordre aux perturbations occasionnées par les proclamations tardives des résultats des examens annuels de l’établissement. Il faut, explique-t-il, attendre les résultats des examens pour dresser l’état de paiement des bourses. Mais, pour gagner un temps précieux, le comptable ébauche un état de paiement sur la base des résultats provisoires qui déterminent qui est boursier plein et qui ne l’est pas. C’est un travail fastidieux qui demande une attention très particulière. Les premières difficultés apparaissent avec la proclamation des résultats définitifs. Certains étudiants ayant fait des réclamations doivent attendre la fin de cette procédure pour voir leur nom figurer parmi les boursiers. Il faut également ajouter le cas des étudiants transférés dans une autre école en cours d’année. Ceux-ci doivent apporter des justificatifs pour se faire inscrire sur la liste définitive. Ainsi, cette année, la comptabilité a répertorié 6811 demi- boursiers et 5600 boursiers entiers (toutes classes confondues). La bourse entière s’élève à 276 250 Fcfa pour les classes de 1ère, 2e et 3e années, tandis que demi-bourse totalise 138 125 Fcfa pour les mêmes classes. En 4è année, la bourse entière se hisse à 380 000 Fcfa et la demi-bourse à 241 875 Fcfa (frais de mémoire et indemnité de stages compris). Comment éviter l’envahissement des lieux par les boursiers ? Le comptable explique avoir proposé un calendrier de paiement par ordre alphabétique. Cette proposition a été rejetée par les responsables AEEM de la faculté. "Au niveau de la comptabilité, nous avons tout tenté pour organiser ce travail mais à l’impossible, nul n’est tenu. Un projet de bancarisation de ces pécules est à l’étude au Centre national des oeuvres universitaires. Si le système s’avère opérationnel, ce sera un grand soulagement pour tous", soupire le comptable. Même dans le malheur, il y a des degrés. Ainsi, ceux qui piétinent et se plaignent devant les guichets ont pu voir d’autres étudiants, carrément déprimés ceux-là, qui ont pris congé devant le bureau de l’économe. Ce sont des étudiants qui ont été omis à cause d’irrégularités, de candidats libres ayant obtenu le bac et qui ont été orientés à l’université, d’étudiants transférés d’autres facultés ou qui ont déposé des réclamations de notes après la proclamation des résultats des examens, etc. Ainsi va la vie à la FSJE, pas toujours très gaie comme on a pu le voir.
Doussou Djiré
Source: L’ESSOR
9/9/2009