L’Unesco recense 2 500 langues en péril

L’Unesco recense 2 500 langues en péril

Peut-on sauver une langue comme on sauve un temple des outrages du temps ou de la destruction des hommes ? L’Atlas 2009 international des langues en péril, présenté jeudi 19 février à l’Unesco, à Paris, donne une vision plus optimiste et nuancée que ne le laisse supposer son intitulé. Alors que l’atlas de 1999 en relevait 600 et celui de 2001, 900, la troisième édition, réalisée par 25 chercheurs sous la houlette du linguiste Christopher Moseley, estime à 2 511 le nombre de langues vivantes dont la situation est soit vulnérable, en danger, sérieusement en danger, en situation critique ou éteinte dans le monde.

Le basque, le breton, le corse et l’occitan voisinent avec le champenois, le bourguignon, le franco-provençal ou encore le picard, qui, avec ses 700 000 locuteurs dont 500 000 en France, pourrait bénéficier de l’effet Ch’tis. Au total, l’atlas de l’Unesco recense 26 langues dont la plupart sont estimées "sérieusement en danger". Quelques-unes – tel le ligurien, l’alémanique, le luxembourgeois et le francique (ces trois derniers idiomes étant jugés, à l’instar du flamand occidental, "vulnérables") -, sont transfrontalières. Citons encore le languedocien, le franc-comtois, le gascon, l’auvergnat, le limousin, le poitevin-saintongeais, le gallo, le normand, le lorrain, le provençal, piémontais ou alpin. Mais aussi le wallon et le rhénan.

Un chiffre à mettre en regard des 6 912 langues recensées par L’Ethnologue, l’index officiel et seule estimation scientifique disponible. La concentration de langues en danger est particulièrement forte dans les régions du monde qui présentent aussi la plus grande diversité linguistique : la Mélanésie, l’Afrique subsaharienne et l’Amérique du Sud.

Ce bond quantitatif considérable ne signifie en rien une aggravation, mais reflète simplement "un meilleur recensement" des idiomes, explique Cécile Duvelle, chef de section du patrimoine immatériel de l’Unesco. Dans leur typologie, les linguistes ont classifié ces langues et leur degré de "péril" en fonction de critères de "vitalité" linguistique tels que, notamment, le nombre de locuteurs, mais aussi la transmission de la langue d’une génération à l’autre et les politiques linguistiques du gouvernement et des institutions.

"Les langues sont vivantes. Certaines meurent, d’autres naissent. Ça bouge", résume Mme Duvelle qui décèle "une préoccupation grandissante des Etats" sur les questions linguistiques. Celles-ci semblent également avoir profité de la montée des revendications partout dans le monde en faveur de la protection de la biodiversité, de traiter "avec un même sentiment d’urgence la préservation des espèces vivantes et celle des langages humains", précise M. Moseley. Corrélation intéressante, même si elle ne démontre rien : la ceinture des tropiques est également la "zone" où règne la plus grande biodiversité.

Prise de conscience militante ici, volontarisme politique et institutionnel là, tels sont les facteurs qui poussent à la renaissance des langues. L’inscription du bilinguisme dans la Constitution du Paraguay n’est évidemment pas étrangère à la forte augmentation entre deux recensements nationaux du nombre de locuteurs du guarani (de 3,6 millions en 1992 à 4,4 millions en 2002, langue désormais placée à quasi-égalité avec l’espagnol. Au Mexique cette fois, c’est également une loi qui, en 2003, a conféré aux peuples indigènes le droit à un enseignement bilingue, ce qui a suscité la formation d’enseignants dans ces langues. Mais une reconnaissance institutionnelle ne suffit pas : l’irlandais a beau être enseigné très largement dans l’île, 5 à 6 % seulement de la population le parlent, rappelle Christopher Moseley.

Dans tous les cas, la mobilisation des communautés reste essentielle. Ainsi, si l’Amérique du Nord et l’Australie sont les régions du monde où il existe le plus de langues en danger, ces deux "continents" sont aussi ceux où "les campagnes pour faire revivre des langues perdues ou quasi perdues sont les plus importantes", explique M. Moseley, en référence à la mobilisation des communautés indiennes-américaines qui oeuvrent, avec beaucoup de succès ces dernières années, au renouveau du black-foot, de l’apache et du cherokee.

Ce réveil en faveur d’une langue en danger passe aussi par des élites qui, parfois éloignées de leur "pays d’origine", éprouvent le besoin de transmettre leurs origines à leurs enfants. C’est le cas du saami par exemple. Cette langue, parlée en Suède, en Norvège et en Finlande, continue de perdre du terrain sur son territoire d’origine mais bénéficie d’un regain de la part de ceux qui l’ont pour la plupart quittée. Le phénomène de renaissance n’est pas limité aux langues lointaines et exotiques : le welch – qui a reconquis en trente ans le sud-ouest de l’Angleterre – et plus encore le basque et le catalan – qui ont dépassé le castillan dans au Pays basque et en Catalogne – sont des preuves que l’Europe des langues n’est pas figée pour l’éternité.

A l’heure où le global english semble en passe de dominer le monde, il peut paraître déraisonnable de vouloir à toute force préserver la totalité du patrimoine linguistique. Ce n’est pas l’anglais qui menace le plus la diversité linguistique, mais des langues régionales qui tendent à s’imposer au détriment des "petites" langues, objectent unanimement les linguistes. La domination du swahili en Afrique de l’Est, parce qu’il est enseigné et permet de décrocher un emploi, menace bien davantage les 30 ou 40 langues par ailleurs pratiquées en Tanzanie. Même cas de figure en Indonésie, où le barassa provoque la "mort lente" de toutes les autres, nombreuses, qui cohabitaient jusqu’alors dans l’archipel.

Mais à quoi bon maintenir ou revitaliser une langue quand ses locuteurs n’ont plus de relations entre eux ? "Une écologie linguistique saine suppose la coexistence de plusieurs langues : une langue locale de communication et toute une gamme d’autres qui ont chacune un rôle différent", explique James Costa, chercheur à l’Institut national de recherche pédagogique (INRP) rappelant l’exemple des îles Shetland en mer du Nord : "Avant le XVIIe siècle, cette partie du monde était un haut lieu de diversité linguistique. On y parlait une forme de norvégien, mais aussi le frison, le flamand, le hollandais, chacune servant à des usages différents, pour le commerce, la vie quotidienne, etc." Ce sont donc des "écologies linguistiques" qu’il faut aujourd’hui sauvegarder, plaide le linguiste.

Brigitte Perucca
Le Monde
18/02/09

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