L’OCDE souligne les retards de l’enseignement supérieur français
LE MONDE | 15.09.04
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Taux d’échec élevé dans les filières générales, effort budgétaire insuffisant : la comparaison internationale est en défaveur de la France sur plusieurs points. L’étude annuelle met aussi en lumière la réussite du développement des études courtes et les progrès dans l’accueil des étudiants étrangers.
Voici une étude qui devrait relancer le débat sur les faiblesses de l’université française. Selon le rapport annuel de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur l’éducation, rendu public mardi 14 septembre, la France figure parmi les pays de l’OCDE où l’échec des étudiants des filières générales est le plus élevé et où les moyens consacrés à l’enseignement supérieur sont les plus faibles. Dans la course internationale à la "société de connaissance", la France semble souffrir de handicaps par rapport à ses concurrents.
La faiblesse des filières générales.
La France se caractérise par une proportion d’abandon considérable, largement supérieure à celle des autres pays : seuls 59 % des étudiants inscrits obtiennent le niveau licence – niveau de base du système européen LMD (licence, master, doctorat). Si les bacheliers français peuvent librement s’inscrire à l’université, sans sélection, ils subissent ainsi un sévère écrémage les années suivantes, en particulier lors du DEUG (bac + 2).
Le rapport de l’OCDE distingue, de ce point de vue, deux catégories de pays. D’une part, l’Espagne, la Finlande, l’Irlande, le Japon, la Turquie et le Royaume-Uni, où plus de 75 % des étudiants inscrits obtiennent au moins le niveau licence. D’autre part, les pays, comme la France, la Suède, l’Italie ou l’Autriche, où le "taux de survie", comme l’appelle l’OCDE, est inférieur à 60 %. La moyenne dans les 21 pays de l’OCDE étudiés est de 70 %.
Or, pour la France, cette spécificité s’ajoute à une seconde faiblesse structurelle : le faible taux d’accès à l’enseignement supérieur. Seuls 37 % des jeunes ayant l’âge d’entrer à l’université entreprennent des études supérieures dans les filières générales, contre 51 % en moyenne dans l’OCDE. La France se situe ainsi très loin de pays comme les Etats-Unis (64 %), l’Australie (77 %) ou la Suède (75 %).
Conséquence de ces deux facteurs cumulés : la proportion de diplômés du supérieur "long" – les bénéficiaires de "connaissances avancées", selon l’OCDE – est plus faible en France. Dans une classe d’âge, un jeune sur quatre obtient un diplôme contre 31,8 % dans la moyenne des pays.
Or, ce niveau de formation constitue une garantie en matière d’insertion professionnelle. Mais aussi de rémunération : en France, le salaire moyen d’un diplômé du supérieur "long" est en moyenne 67 % plus élevé que celui obtenu par un jeune sorti avec le niveau lycée. La France figure parmi les pays qui accordent les "primes" aux diplômes universitaires les plus élevées, avec les Etats-Unis (+ 95 % de rémunération), le Canada (+ 77 %) ou le Royaume-Uni (+ 74 %).
Les bons points des filières courtes.
Contrairement à beaucoup d’idées reçues, la France n’est plus en retard en ce qui concerne les études courtes, destinées à une insertion professionnelle rapide. Les instituts universitaires de technologie (IUT) et les sections de techniciens supérieurs (STS), rattachées aux lycées, qui délivrent les BTS, permettent ainsi à la France de figurer parmi les pays où la proportion de jeunes en filières professionnalisées (bac + 2) est la plus élevée. 22 % des élèves en âge d’y accéder s’y inscrivent, contre 16 % seulement dans la moyenne de l’OCDE.
Pour limiter les risques d’échec au DEUG et en licence, les jeunes français privilégient l’inscription dans ces filières où une sélection est opérée après le baccalauréat (Le Monde du 19 juin). Ce choix se révèle assez pertinent pour les étudiants concernés : leur "taux de survie" est bien supérieur, avec 72 % des inscrits qui obtiennent leur diplôme, un chiffre situé dans la moyenne de l’OCDE (73 %). Dans ces filières, les étudiants bénéficient d’un encadrement plus important, et leur volume horaire d’enseignement est plus élevé. Seul bémol, ils obtiennent en comparaison avec les diplômés du "supérieur long", des rémunérations environ 40 % plus faibles.
Le manque de moyens budgétaires du supérieur.
Historiquement, la France a toujours consacré une part plus importante de son budget à l’enseignement scolaire. Cette tradition se vérifie toujours dans les statistiques internationales. La France dépense annuellement 6 965 dollars (calculés en parité de pouvoir d’achat) par étudiant – un montant légèrement inférieur à la moyenne de l’OCDE. Les Etats-Unis (20 098 dollars), le Royaume-Uni (8 101 dollars), l’Australie (9 200 dollars) et la Suède (8 356 dollars) consacrent des moyens nettement supérieurs, l’Allemagne (6 370 dollars), l’Italie (5 064 dollars) et l’Espagne (5 951 dollars), des financements plus faibles.
Dans un rapport au Conseil d’analyse économique, publié en janvier, les économistes Elie Cohen et Philippe Aghion avaient démontré que la faiblesse de l’investissement français dans le supérieur constituait un handicap pour la croissance (Le Monde du 21 janvier), notamment en reléguant la France parmi les pays d’"imitation" et non d’"innovation".
Un léger progrès dans l’accueil des étudiants étrangers.
Malgré ces faiblesses, l’OCDE considère que "la France demeure un lieu d’étude attractif pour les étudiants étrangers". Au total, en 2002, 10 % des étudiants français sont étrangers, contre 7,7 % quatre ans plus tôt. L’Allemagne, le Royaume-Uni et la Belgique se situent à un niveau équivalent. En revanche, les campus américains se révèlent, en proportion, beaucoup moins cosmopolites : les étrangers ne représentent que 3,7 % de la population universitaire totale. Le durcissement des conditions d’émigration vers les Etats-Unis, suite au 11 septembre 2001, pourrait d’ailleurs renforcer ce différentiel.
Luc Bronner