Littérature – L’Héritier, de Sayouba Traoré. Éditions Vents d’ailleurs, 2009

L’Héritier, de Sayouba Traoré. Éditions Vents d’ailleurs, 2009

Littérature africaine ? Littérature francophone ? Littérature-monde, peut-être ? Littérature certainement. Littérature d’Africains vivant en France. Littérature vivante, forte, rythmée, plurielle, diverse. Par les thèmes qu’elle aborde, la langue aussi. Langue française, bien sûr, mais revisitée. C’est de l’Héritier, de Sayouba Traoré, dont il est question ici.

L’auteur, Sayouba Traoré, est un journaliste et écrivain burkinabé reconnu ; il s’est longtemps considéré comme un « prisonnier dehors ». En effet, en 1987, à la suite du coup d’État de Blaise Compaoré qui a renversé et assassiné Thomas Sankara, Sayouba, alors étudiant à la Sorbonne à Paris, se voit interdite de rentrer dans son pays et privé de bourse. Depuis, pour lui « la quête essentielle que nous avons aujourd’hui est celle de lutter pour les droits de l’homme. Mais pour défendre les droits de l’homme, il faut aussi se mobiliser contre l’impunité de certains de nos dirigeants. Un peuple qui ne peut choisir ses dirigeants est aussi un peuple qui ne peut pas choisir son destin ». Clair et sans appel. Après des études de lettres sanctionnées par un doctorat, il devient journaliste et n’a de cesse de dénoncer les travers de la société et du régime politique qui lui est imposé. Plusieurs romans voient le jour avec, en fil rouge, la quête des valeurs. « La mondialisation a détruit notre société. Les valeurs sociales se sont beaucoup délitées. Il y a des valeurs culturelles et morales à reconquérir : j’entends celles qui devraient nous permettre de mieux vivre ensemble », affirme-t-il. Dans l’Héritier, Sayouba Traoré met en scène une famille burkinabé prise dans une stratégie de survie. Il y a le vieux : « Que dire du vieux ? Avec quels mots ? Toujours présent. Toujours prêt. Toujours apprêté. Immuable figure qui surveille de loin. Qui regarde de haut. Qui voit de partout. » C’est lui, le garant de l’harmonie du clan, harmonie factice qui fait dire au narrateur que ce sont de « tranquilles trahisons soulignant des faillites ancestrales ». Le propos est cinglant pour les Anciens : « Pauvre sagesse des ancêtres soudain frappés de mutisme. Poussiéreux ancêtres dépassés par le cours des choses. » Nous sommes loin du dithyrambe classique. Il y a la vieille, celle qui veille sur tout, « … silhouette unique… Mère cocon au duvet protecteur. Mère amère aussi. Mère sévère qui geint. Mère altière qui frémit de rage. Mère remède qui plante des banderilles émoussées de tendresse ». Il y a Mouni, leur fils, qui a étudié en Europe et, revenu au pays, se prostitue le soir, devenant Franck pour plaire aux dames qui « ont pris l’avion depuis la grande Europe », à qui il faut « … en donner pour leur argent…un pénis brillant, avec des veines saillantes. Un vrai pénis exotique. Un sexe aussi nègre que possible ». Et il y a Odile, jeune universitaire, qui épouse Mouni. L’écriture est rythmée par des phrases courtes, simples, sonnant comme une rafale de mitraillette, accélérant ainsi le récit. La langue utilisée est mâtinée d’expressions empruntées à l’oralité « laisser la bouche aux hommes », « les enfants versent la figure de leurs parents par terre ». La vie d’une famille burkinabé tiraillée entre modernité et traditions est une question qui taraude le romancier, qui n’a de cesse d’explorer les travers de sa société et de les dénoncer avec rage.

Yahia Belaskri
20 juin 2009
Source: http://www.humanite.fr

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