L’hyper-président Sarkozy
Inévitablement, ce vieil escroc qu’était Jacques Chirac finirait par manquer à la France et au reste du monde. Mais qui eût cru que cela arriverait si vite? Cela fait à peine trois mois que l’ex-président français a douloureusement quitté le pouvoir — dernièrement, il est apparu boudeur à Biarritz (peut-être se cachait-il simplement afin d’éviter les diverses enquêtes judiciaires dont il est l’objet) — et voilà qu’il commence déjà à avoir meilleur mine. Ne serait-ce qu’à cause de son successeur hyperactif, Nicolas Sarkozy, un individu bien bizarre.
En France, le débat sur la personnalité de Nicolas Sarkozy existe depuis longtemps. Sarkozy est-il aussi superficiel qu’il en a l’air, ou son populisme à base d’attaques impulsives (comme le fait d’avoir traité ceux qui ont participé aux émeutes de l’année dernière de «racaille») relève-t-il d’une stratégie délibérée pour attirer les électeurs de droite à coup de préjugés ? On ne pourra jamais trancher, toujours est-il que les éléments en faveur de l’hypothèse de la «stupidité» poussent de plus en plus à y adhérer.
Il y avait, par exemple, cette remarque de Nicolas Sarkozy dans son premier grand discours de politique étrangère, le 27 août : l’alternative consiste seulement en «la bombe iranienne ou le bombardement de l’Iran». Et si l’Iran ne cherchait pas à se doter d’armes nucléaires dans l’immédiat ? Et de quel droit la France, elle-même fière détentrice de centaines d’armes nucléaires, pourrait-elle bombarder l’Iran, quand bien même Téhéran chercherait à s’en procurer ? Ce genre d’hypocrisie reste toutefois monnaie courante au sein de la masse du peuple qui croit au «choc des civilisations» ; le vrai choc vient du commentaire de Sarkozy au sujet de l’Afrique.
Il y a tout juste un mois, lors d’une brève visite au Sénégal, le président français a prononcé un discours à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Ce discours s’adressait non seulement aux Sénégalais mais aussi à tous les «jeunes d’Afrique». Des intellectuels originaires d’une demi-douzaine de pays africains l’ont immédiatement condamné et qualifié de version réchauffée de l’idéologie française coloniale et raciste du 19e siècle (Nicolas Sarkozy n’a jamais dit que la France avait une «mission civilisatrice» dans ces termes-là, mais cette vieille expression planait sur l’ensemble de son allocution). Le passé colonial de la France a également fait l’objet de bon nombre de controverses en France.
Citoyen de l’Afrique?
Ce qui a donné de l’ampleur à cette affaire, cependant, c’est la lettre qu’a envoyée le président sud-africain, Thabo Mbeki, à Nicolas Sarkozy, dans laquelle il remercie ce dernier pour son discours et le félicite d’être un «citoyen de l’Afrique». La lettre a été rendue publique par le quotidien français Le Monde, à la suite de quoi les médias sud-africains se sont mis en branle (en anglais). Ce qui a eu pour conséquence de diffuser les étranges points de vue de Nicolas Sarkozy à travers le monde.
Pour reprendre ce qu’a dit le romancier sénégalais Boubacar Boris Diop : «un président étranger faisant, du haut de son mètre soixante-quatre, le procès de tous les habitants d’un continent, sommés d’oser enfin s’éloigner de la nature, pour entrer dans l’histoire humaine et s’inventer un destin.» Sarkozy a en outre indiqué à son auditoire que le colonialisme, du moins sa version française, avait beaucoup apporté à l’Afrique. Mais son message principal était que les Africains devaient cesser d’être de «nobles sauvages» (même s’il ne l’a pas tout à fait dit comme ça) et entrer dans le 21e siècle.
«Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire», a affirmé Sarkozy devant son public. «Le paysan africain qui vit avec les saisons depuis des millénaires, dont l’idéal de vie est d’être en harmonie avec la nature, ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles.» Et d’ajouter : «Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine, ni pour l’idée de progrès.»
«Dans cet univers où la nature commande tout, l’homme (africain) échappe à l’angoisse de l’histoire qui tenaille l’homme moderne mais l’homme reste immobile (piégé) au milieu d’un ordre immuable ou tout semble être écrit d’avance. Jamais l’homme ne s’élance vers l’avenir. Jamais il ne lui vient à l’idée de sortir de la répétition pour s’inventer un destin […] Le problème de l’Afrique est […] [qu’elle doit] prendre conscience que l’âge d’or qu’elle ne cesse de regretter, ne reviendra pas pour la raison qu’il n’a jamais existé.
Condescendant
Il y a un terme complexe de quatre syllabes pour désigner les gens qui pensent de cette façon : orientaliste. Un autre terme de quatre syllabes, plus simple, remplit la même fonction : condescendant. Et il existe un vilain mot de deux syllabes qui résume le tout : raciste. Dieu seul sait qui a validé l’allocution de Sarkozy avant qu’il ne la fasse : ils sont en tout cas aussi ignorants que lui. Pour une analyse des problèmes de l’Afrique moderne, c’est tout simplement pitoyable.
Pourquoi Sarkozy parle-t-il de cette manière? Parce qu’il aime choquer et il sait que son vrai public est en France, pas en Afrique. Mais aussi parce qu’il ne connaît pas l’histoire et qu’il manque de patience et peut-être des capacités pour tolérer un tant soit peu de complexité et d’ambiguïté.
Et pourquoi un homme aussi intelligent que Thabo Mbeki a-t-il écrit à Nicolas Sarkozy pour le féliciter de son discours? Eh bien, parce que c’est ainsi que cela fonctionne en coulisse. Le chef d’État français avait aussi indiqué, dans son discours, que la France était prête à débloquer des moyens au service de la «renaissance» de l’Afrique. Voilà pourquoi le chef d’État sud-africain lui a adressé une lettre ne tenant pas compte de toutes ses remarques stupides et le remerciant de sa promesse d’aider l’Afrique. «Le président, par ce geste visant à féliciter [N. Sarkozy] ne s’est pas concentré sur ce sentiment mais a pris acte de l’engagement de la France à développer le continent [africain] et son peuple», a précisé le porte-parole du président sud-africain Mukoni Ratshitanga.
En France, les années à venir vont être longues…
Gwynne Dyer
Journaliste indépendant canadien, basé à Londres, dont les articles sont publiés dans 45 pays.
Source:
Samedi 08 septembre 2007
http://www.cyberpresse.ca