Les MBA se piquent d’éthique
Effet de la crise, ces diplômes prestigieux, autrefois chantres du tout financier, sont davantage orientés vers le social, la géopolitique et les sciences humaines.
Berlin, mai 2010. Lorsque Emmanuel Lulin, directeur de l’éthique du Groupe L’Oréal, prend la parole devant les patrons de business schools réunis pour le congrès annuel des MBA (Masters of Business Administration), ses propos plombent l’auditoire. "Les étudiants que vous formez manquent de réflexion éthique. Ils n’ont pas assez développé de sens critique sur ce qu’ils font", lance-t-il à un parterre ébahi. De fait, il écrira personnellement à toutes les écoles avec lesquelles L’Oréal travaille afin de connaître leur degré d’investissement dans ce domaine.
Depuis le début de la crise, de nombreuses voix se sont élevées contre les MBA, accusés d’avoir formé des cadres qui appliquent des modèles mathématiques à la lettre, sans prendre suffisamment de recul sur leurs pratiques. "La crise a révélé la nécessité d’avoir des collaborateurs qui voient plus loin que le bout de leur nez, qui appréhendent mieux la complexité du monde", lâche Séverine de Cacqueray, DRH de la banque d’investissement HSBC à Paris. De même, les futurs cadres doivent "apprendre à mieux identifier les talents des uns et des autres, quel que soit leur âge", selon les termes de Christine Goavec, la directrice d’Orange Campus. Et "intégrer dans leur raisonnement des paramètres sociaux, politiques ou environnementaux", ajoute Matthieu Beaurain, directeur associé du cabinet de recrutement Lincoln.
On y parle "class action" ou qualité de l’air
Ces reproches, les business schools les connaissent, et nombre d’entre elles ont déjà commencé à revoir leur copie. Le nouveau mot d’ordre est souvent le même : plus de culture générale, de sciences humaines, de connaissance du monde extérieur. "Dans les années 80, les MBA se focalisaient sur les disciplines finance, marketing, etc. Dans les années 90 et 2000, ils ont porté au pinacle les compétences comportementales comme le leadership. Les années 2010 seront celles de la prise en compte du contexte dans lequel l’entreprise évolue", explique Paul Judge, homme d’affaires britannique, président de l’Amba (Association des MBA).
L’Essec a bien compris ce mouvement. Dans son nouveau MBA à temps plein, qui commencera en 2011, les participants suivront des cours aux frontières de l’histoire. Ils étudieront les conséquences du vieillissement de la population, les enjeux de l’urbanisation, l’évolution des ressources énergétiques… A mille lieues des traditionnelles sessions de comptabilité ou de gestion de projets. A l’université d’Exeter, en Grande-Bretagne, le futur One Planet MBA, prévu pour 2011, s’attachera à raisonner en termes de "vrais coûts", "en intégrant dans toutes les décisions de l’entreprise leur coût politique, social et environnemental : impact sur la qualité de l’air, sur le niveau d’emploi d’une région, coût potentiel d’une class action", détaille Jonathan Gosling, responsable de cette formation.
Redonner du sens à son travail
De son côté, l’Escem (Tours-Poitiers) a ajouté une dose de sciences humaines et de géopolitique dans son executive MBA (à temps partiel). Elle lancera en janvier 2011 une option entrepreneuriat social de cent vingt heures. "De plus en plus de cadres s’interrogent sur un modèle économique qui a montré ses limites. Si travailler plus amène plus de chômage et de précarité, il y a un bug. C’est pourquoi certains cadres recherchent davantage de sens dans leur travail, et se dirigent vers l’associatif, les ONG, le parapublic", analyse le responsable de la formation, Laurent Trioreau.