Les ingénieurs sont satisfaits de leur emploi mais jugent leur rémunération trop faible
Source : Le Monde
Annie Kahn
Article paru dans l’édition du 21.10.05
DEVENIR ingénieur après avoir fait une "grande école" a longtemps été considéré, en France, comme l’aboutissement d’un parcours scolaire réussi. Depuis plusieurs années, l’attrait des carrières financières ou de gestion a bousculé cette tradition. Les brillants élèves se sont mis à préparer d’autres concours que ceux des écoles d’ingénieurs, et ceux qui sortent diplômés de ces dernières optent pour des carrières plus gratifiantes financièrement.
Il ne faut néanmoins pas exagérer ce phénomène, estiment les auteurs de la 16e enquête socioprofessionnelle du Conseil national des ingénieurs et des scientifiques de France (Cnisf), publiée début octobre. "Contrairement à une crainte parfois exprimée, les débutants ne fuient pas les métiers techniques -…-. Les activités non techniques (commerciales, administratives) ou d’enseignement ou autres ne représentent que 14,2 % des premiers emplois", écrivent-ils.
Selon la même étude, 80 % d’entre eux estiment que l’intérêt du travail est leur principal motif de satisfaction. En revanche, le niveau de stress, la qualité de l’organisation de l’entreprise et la rémunération sont le plus souvent cités comme des motifs d’insatisfaction. Le salaire moyen annuel des ingénieurs débutants est de 30 000 euros. Et celui des ingénieurs confirmés (âgés de 45 à 59 ans) est de 75 240 euros. Ces derniers gagnent en moyenne 11 % de plus quand ils travaillent dans une société d’ingénierie.
MANQUE DE JEUNES DIPLÔMÉS
Les ingénieurs sont de plus en plus nombreux à travailler à l’étranger. Le pourcentage de ceux qui exercent en dehors de l’Hexagone est passé de 6,9 %, en 2000, à 13,3 %, en 2004. Par rapport à la moyenne française, ils sont peu nombreux (4,6 %) à être au chômage. Ce taux est plus élevé (8 %) pour les plus âgés (45 à 59 ans).
Globalement, le secteur souffrirait plutôt d’un manque de jeunes diplômés. Car l’attrait pour les métiers techniques relevé par le Cnisf ne concerne que les personnes ayant fait le choix de suivre des études d’ingénieurs. Il ne rend donc pas compte de l’érosion provoquée en amont par l’intérêt pour d’autres professions.
Pour stopper ce phénomène, il faudrait que les ingénieurs soient mieux rémunérés. "Un avocat d’affaires est bien mieux payé qu’un ingénieur", s’insurge Claude Martinand, vice-président du conseil général des Ponts et Chaussées. "Or, si un ingénieur des Ponts a fait du droit et de la finance, un financier est incapable de construire un pont ! Ce travail est non seulement difficile, mais il fait aussi supporter à celui qui l’exerce d’énormes responsabilités" , ajoute-t-il.
A tel point que les assureurs rechigneraient à assurer les entreprises d’ingénierie. Celles-ci sont en effet responsables des constructions dont elles ont fait les études, alors qu’elles ne touchent que 5 % à 10 % du coût de l’ouvrage. "Si un gros sinistre survient, elles déposent le bilan" , explique Yann Leblais, président de la Fédération européenne des sociétés d’ingénierie. Dans de nombreux pays, comme aux Etats-Unis, les responsabilités sont proportionnelles à la rémunération.