Le petit Henri-Joël mort à cause d’un faux lait ?
Les parents de ce bébé camerounais décédé en 2001 incriminent un produit contenant un substitut végétal commercialisé par Nestlé.
De quoi est mort le petit Henri-Joël Tchamga ? Le 7 mai 2001, ce bébé de 14 mois totalement déshydraté et souffrant de violentes diarrhées était admis en urgence dans une clinique d’Edea, petite ville au sud du Cameroun. Il décédait quatre jours après son hospitalisation. En Afrique, ce décès avait toutes les chances de passer inaperçu. Ce fut d’ailleurs le cas. Mais aujourd’hui, l’histoire d’Henri-Joël Tchamga ressurgit au cœur d’une plainte que révèle Libération : trois familles camerounaises, dont celle d’Henri-Joël Tchamga, ont décidé de demander réparation à Nestlé, en Suisse. Elles sont persuadées que leurs enfants ont été victimes d’un «faux» lait concentré contenant en réalité un substitut végétal. Difficile, voire impossible à digérer par de très jeunes enfants.
Outre le petit Henri-Joël, deux petits garçons se nourrissant eux aussi exclusivement du même lait de la marque Gloria ont été admis en urgence dans la même clinique d’Edea. Eux ont survécu. Mais leurs parents, tout comme ceux d’Henri-Joël Tchamga, ont confié leur dossier à un prestigieux cabinet juridique en Suisse. Où se trouve le siège de Nestlé, qui ne semble guère avoir apprécié la démarche.
«Pressions». Trois familles contre une multinationale ? L’affaire semble perdue d’avance. «Pourtant, il y a eu des pressions folles sur les avocats et les journalistes pour que cette histoire ne sorte pas», accuse maître William Bourdon, le président de Sherpa, un réseau de juristes qui soutient «les victimes de la mondialisation» face aux multinationales. C’est Sherpa qui a servi d’intermédiaire entre les familles camerounaises et le cabinet Lalive en Suisse. Lequel affirme avoir «le plus grand mal à obtenir les réponses les plus simples de la part de Nestlé».
Ce n’est pas la première fois que la multinationale suisse est au cœur d’une polémique sur la nature ou la qualité de ses produits. En 2002, 300 tonnes de lait périmé avaient été confisquées par les autorités colombiennes. Bogota avait alors soupçonné Nestlé d’avoir modifié la date de péremption de la poudre en cause. Deux ans plus tard, en 2005, 30 millions de litres de lait Nestlé pour bébé avaient dû être saisis par la police italienne à la suite de la découverte d’une contamination par une substance chimique, laquelle se trouvait sur l’encre des cartons d’emballage et avait réussi à se diffuser dans les produits laitiers. Sans, apparemment, faire de victimes.
Cette fois, l’homme par qui le scandale éclate s’appelle Pius Bissek. A la fin des années 90, cet entrepreneur camerounais voit sa société de produits laitiers frôler la faillite. Il enquête et découvre que certains de ses concurrents ont ajouté à leurs laits concentrés de l’huile de coco. Ce qui leur permet de casser les prix. «Des faux laits, avec quasiment le même packaging et la même marque que des vrais laits », s’indigne Pius Bissek, qui porte plainte en 2002 pour concurrence déloyale contre une dizaine de ses concurrents, parmi lesquels le géant Nestlé, premier importateur de produits laitiers au Cameroun.
C’est alors que Pius Bissek entend parler d’une étrange épidémie de diarrhées chez des bébés camerounais. Pour lui, les deux affaires sont liées. C’est aussi la conviction du professeur Hughes Nyame. Ce médecin réputé au Cameroun rédige en 2004 une étude officielle à ce sujet : «Depuis 1999, écrit-il, on a observé dans les services de pédiatrie une augmentation des cas de malnutrition. Après enquête, il est apparu que la plupart de ces enfants étaient alimentés par de faux laits concentrés sucrés .» Or la plupart de ces produits sont apparus après 1994, année de la dévaluation du franc CFA qui perd soudain la moitié de sa valeur, provoquant une explosion du prix des importations. Et, notamment, celles de lait concentré, dont raffolent les Camerounais, lesquels en donnent souvent à leurs bébés lors du sevrage.
Interrogé par Libération, Nestlé reconnaît avoir mis sur le marché camerounais «entre 1999 et 2002» un «aliment lacté Gloria» avec de la matière grasse végétale, destiné «à des consommateurs à faible pouvoir d’achat ». Mais la compagnie considère n’avoir aucune responsabilité dans le décès d’Henri-Joël ni dans les autres cas «d’intolérance» au lait Gloria. Car, pour Nestlé, les boîtes mentionnaient bien que «ce produit ne remplace pas le lait maternel». Selon la firme suisse, le consommateur aurait donc été averti. «L’indication figure en tous petits caractères ! s’exclame Pius Bissek. Même en France, si on vous présente un produit que vous avez toujours pris pour du lait, vous n’allez pas lire toutes les mentions sur la boîte ! Alors, imaginez au Cameroun, où c’est d’abord le prix qui prime.» Et Pius Bissek d’ajouter : « Si ces produits ne sont pas destinés aux jeunes enfants, pourquoi alors Nestlé a-t-il demandé une exonération de TVA au titre de "préparations alimentaires infantiles" ?»
Dossier classé. Cette exonération aurait été refusée par les douanes camerounaises. Celles-ci, flairant une fraude sur les taxes de ces «faux vrais laits», ont fait venir au Cameroun deux inspecteurs de l’Olaf, l’office européen de répression des fraudes. En repartant à Bruxelles en avril 2002, ils promettent d’envoyer leur rapport à leurs collègues camerounais. Lesquels l’attendent toujours… En réalité, le dossier a été classé sans suite en septembre 2004. Apparemment sans que les douanes camerounaises en aient été averties. A cet étrange silence, s’ajoute la disparition des preuves éventuelles : fin 2004, tous les produits Gloria ont été retirés du marché camerounais. Pius Bissek, lui, a gardé une boîte, qu’il pourrait utiliser lors du procès intenté à ses concurrents, prévu début 2008.
Reste une interrogation : s’il est confirmé que c’est bien un faux lait qui a tué le petit Henri-Joël Tchamga, combien d’autres enfants en ont été victimes ? «Cet enfant a été examiné dans une clinique privée où l’on garde les dossiers pendant dix ans , soupire le docteur Mpouma, pédiatre de la clinique d’Edea. Mais, au Cameroun, la plupart des gens vont à l’hôpital public, en piteux état, ou bien meurent à domicile.» Sans forcément se poser autant de questions.
Source: http://www.liberation.fr
MARIA MALAGARDIS
13/12/2007
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