L’Afrique sera-t-elle chinoise dans une décennie ? L’interrogation peut sembler fantaisiste. Elle est pourtant prise au sérieux dans les cercles de stratèges occidentaux, qui s’en inquiètent. Depuis la fin des années 1990, la percée chinoise en Afrique a pris des proportions spectaculaires. Les dirigeants de Pékin lui font une cour assidue. En l’espace de deux mois, le président chinois, Hu Jintao, et son premier ministre, Wen Jiabao, ont effectué deux visites remarquées. Le premier a sillonné en avril le Maroc, le Nigeria et le Kenya. Le second est en train d’achever un déplacement qui l’aura conduit en Egypte, au Ghana, au Congo, en Angola, en Afrique du Sud, en Tanzanie et en Ouganda. L’offensive de charme est soutenue et systématique.
Les Chinois ne viennent pas y prêcher la révolution mondiale. Cette époque est révolue. L’heure n’est plus au messianisme idéologique qui inspirait la diplomatie de Pékin à l’époque de la "lutte anti-impérialiste" et de la rivalité avec l’ex-URSS. La phase de l’intense lutte d’influence avec Taïwan, qui y entretenait une poignée d’Etats clients, est elle aussi close depuis que l’Afrique du Sud puis le Sénégal ont cédé aux sirènes de la République populaire. C’est un pragmatisme très cru, cynique, diront certains, qui motive désormais la Chine.
Comme les Occidentaux, la Chine guigne les richesses du continent. Elle achète massivement du pétrole, du manganèse, du coton et bien d’autres matières premières. Et elle écoule un flux croissant de produits made in China, très appréciés des consommateurs africains au modeste pouvoir d’achat. Les échanges commerciaux, qui ont triplé de 2001 à 2004, explosent.
Les Occidentaux sont fort mal placés pour dénoncer cette influence grandissante de Pékin sur un continent à l’égard duquel ils ont été, eux aussi, des champions du cynisme. Les inquiétudes que peut susciter cette inexorable sinisation de l’Afrique n’en sont pas moins légitimes. Car les dirigeants de Pékin ne s’embarrassent guère de scrupules dans cette stratégie dont la finalité n’est autre que d’alimenter la machine économique de l’empire du Milieu. Au nom d’une rhétorique anticolonialiste qui résonne encore puissamment dans les capitales africaines, ils ont fait de la "non-ingérence dans les affaires intérieures" des Etats le principe cardinal de leur diplomatie.
On comprend que des gouvernements répressifs et corrompus apprécient. Mais il n’est pas sûr que les opinions africaines, victimes de ces pouvoirs, aient à gagner d’une telle collusion. La douteuse amitié entre la Chine et le Zimbabwe confine à la caricature. Soucieuse de redresser son image de prédateur, Pékin a fait un geste en finançant la force de l’Union africaine sur le Darfour. Il est temps que la Chine s’intéresse plus aux Africains qu’à leurs dirigeants.