L’absentéisme scolaire, un défi majeur

L’absentéisme scolaire, un défi majeur

À Nice, une école des parents aide les familles à renvoyer leurs propres enfants au… collège.

Les lettres se détachent sur fond noir: «École des parents, Maison des enfants». À Nice, tout près de la Promenade des Anglais, un établissement scolaire singulier vient de voir le jour. Le 17 mai, le ministre de l’Éducation, Luc Chatel, viendra visiter ce laboratoire pour en saisir l’esprit. Ici, pourtant, pas de tableau noir, pas de tohu-bohu ni de graffitis rebelles sur les murs. L’atmosphère est plutôt feutrée. Tailleur sage ou tempes parfois grisonnantes, l’air appliqué, les écoliers ont largement atteint l’âge de raison.

En partenariat avec l’inspection académique, l’initiative a été lancée par Éric Ciotti, député UMP, président du conseil général des Alpes-Maritimes. Depuis l’automne 2009, il a engagé une croisade contre l’absentéisme scolaire. Dans un premier temps, il tend la main aux parents désemparés, fait comme il dit «du sur-mesure pour répondre à chaque cas». Dans un deuxième temps, les familles doivent en revanche accomplir de sérieux efforts pour restaurer leur autorité auprès de leurs enfants. Pour cela, elles signent un contrat dit «de responsabilité parentale» (CRP) de 6 mois qui, noir sur blanc, les engage à être accompagnées par des travailleurs sociaux et à suivre des cours dispensés à l’école des parents. Au programme: l’importance de l’assiduité scolaire, l’organisation du travail à la maison, les liens entre la famille et l’Éducation nationale.

«Quand ils arrivent à l’école, les parents ne se sentent pas stigmatisés, ils rompent avant tout leur isolement et reprennent confiance», analyse Mireille Alati, psychologue de l’école. Même pragmatisme chez Michèle Raibaldi, conseillère technique de l’inspection d’académie, «avant j’étais assistante sociale, j’allais parfois moi-même dans les familles chercher les enfants pour les conduire à l’école, confie-t-elle. Si, grâce à de nouveaux outils, on parvient aujourd’hui à récupérer certains de ces adolescents, alors l’expérience est utile.»

Toutes les classes sociales

À l’issue de cette prise en charge, si l’enfant ne revient toujours pas au collège, les parents sont sanctionnés: leurs allocations familiales sont suspendues. À ce jour, dans le département, 65 contrats de responsabilité parentale ont été signés et 80% des enfants ont retrouvé le chemin de l’école. Un dossier de suspension des allocations est en cours. Une demi-douzaine d’autres pourrait suivre. Fort de cette expérience, Éric Ciotti a déposé à l’Assemblée une proposition de loi pour généraliser le système. Elle sera étudiée le 16 juin. «Nous avons tous des droits et des devoirs; le problème, c’est que dans notre société, insiste Ciotti, les droits sont devenus plus importants que les devoirs. L’absentéisme scolaire est un fléau. Il touche en moyenne 7% des élèves. Nous avons mission de l’enrayer. Car un jeune qui erre dans la rue est un mineur en danger. Ce peut être aussi, pour lui, le premier pas vers la délinquance.»

Sandrine fait partie des premiers élèves parents. Assistante dans une école maternelle de Nice, elle élève seule Ludovic, un adolescent de 16 ans qui a été déscolarisé pendant plus d’un an. Le parler franc, elle raconte sans fard, la détresse, les coups de fil quotidiens du collège pour savoir pourquoi son fils n’était pas en classe. «Je cachais le portable dans un tiroir, je ne voulais pas l’entendre, je ne savais plus comment me justifier. J’étais dépassée. Ludovic s’automutilait pour ne pas aller à l’école. Un jour, c’est l’hôpital qui m’a appelée: mon fils avait eu un accident de scooter alors qu’il devait être en cours.» Pendant six mois, elle sombre dans une dépression, frappe à toutes les portes, accepte de signer un contrat de responsabilité parentale (CRP) et revient à l’école.

«En venant ici, je ne me suis pas sentie mauvaise mère. Personne ne m’a jamais renvoyé cette image. Au contraire, j’ai eu le sentiment qu’on valorisait ce que j’essayais de faire. Au début, pour renouer le contact, j’ai appris à parler à mon fils via MSN, alors que nous étions dans le même appartement! Tout est encore fragile, mais il ne traîne plus dans la rue. Il est en apprentissage. J’ai rencontré à l’école des parents des gens de toutes classes sociales, confrontés au même problème que moi: que faire d’un enfant qui ne veut plus aller à l’école.» Et si, en cas d’échec, on lui avait alors enlevé les allocations familiales? «Au point où j’en étais, ce n’était pas mon problème. Ma seule obsession, c’était de sauver mon fils qui partait à la dérive.»

Concertiste, professeur de musique de chambre au conservatoire (il a tourné l’été dernier un film avec Roberto Alagna), Jean, lui, a longtemps été fier des résultats de sa fille, Olivia, 14 ans et demi. Elle caracolait en tête de classe, accumulait félicitations et tableaux d’honneur. Quitte à être parfois moquée par certains de ses camarades. Et puis, elle a commencé à se faire des scarifications et à aller à l’infirmerie plutôt que de se rendre en cours, «à jouer les rebelles, comme dit son père, à essayer de se faire aimer de ses camarades en fréquentant plutôt les mauvais élèves que les meilleurs». Elle ne venait plus voir son père, qui en avait la garde un week-end sur deux. Alerté par les services sociaux, Jean a lui aussi signé un CRP et s’est rendu à l’école des parents. «J’ai écouté et j’ai été écouté. Je ne suis pas naïf pour autant. Tout ne va pas s’arranger d’un coup de baguette magique mais avec Olivia, doucement, les choses semblent se remettre en place», dit-il.

Comment les allocations seront suspendues

Controversée à gauche, critiquée par les associations familiales mais aussi par Jean-Pierre Raffarin, la proposition de loi d’Eric Ciotti de suspendre les allocations familiales est soutenue par le chef de l’État qui, le 5 mai, a même souhaité la voir appliquée «dès la rentrée». Nicolas Sarkozy qui se veut «intraitable» sur le sujet avait déjà évoqué cette mesure à Bobigny, le 20 avril. En fait, la possibilité de suspendre les allocations familiales existe déjà. C’est inscrit dans la loi relative à l’égalité des chances du 31 mars 2006 qui avait mis en place les contrats de responsabilité parentale (CRP). Mais la décision de suspendre les allocations relevait jusqu’ici du président du conseil général et elle n’était pas appliquée. C’est pourquoi Eric Ciotti a souhaité en modifier le mécanisme. Désormais, c’est le chef d’établissement qui alerte l’inspecteur d’académie des absences répétées et non justifiées d’un élève. L’inspecteur, lui, doit prévenir la famille. Si les absences continuent, il doit saisir le directeur de la caisse d’allocations familiales. Ce dernier suspend alors les prestations. La reprise du versement ne reprend que si l’enfant est assidu pendant au moins un mois. Le rétablissement est rétroactif sauf en cas de nouvelles absences.

Par Christine Ducros
10/05/2010
Source: http://www.lefigaro.fr

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