La vérité sur…le duel entre HEC et l’Essec
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L’enjeu de la lutte entre nos deux grandes écoles : décrocher dans les palmarès mondiaux des business schools un meilleur rang que l’autre.
C’est une pénible affaire qui a défrayé cette année la chronique des grandes écoles de commerce. En mai, le livre Les Secrets de la guerre économique (Seuil) révèle que HEC aurait, en 2000, appointé des « consultants » pour faire passer des messages sur des forums Internet et faire intervenir dans des salons d’orientation de faux parents d’élèves ou de faux recruteurs chargés d’enfoncer l’Essec. Après avoir démenti en bloc, HEC a assuré vouloir porter plainte, mais n’a jamais franchi le pas. Et pour cause : les faits sont établis par des documents saisis à la suite d’une demande de l’Essec auprès du tribunal de grande instance de Versailles. Deux professeurs du département stratégie de HEC, Michel Santi et Bernard Garrette, ont piloté l’opération, avec le feu vert de Bernard Ramanantsoa, directeur de l’école. Mais, le « consultant » chargé de l’opération de désinformation – Eric Denécé, un proche des services secrets – n’ayant pas été payé en totalité, il a joué les balances, co-signant le livre sulfureux…
Cette histoire tordue, qui n’a pas eu de conclusion claire, est révélatrice d’un autre combat que mènent nos grandes écoles de commerce, et sur lequel HEC présente des arguments bien plus solides : comment faire pour que nos meilleurs établissements figurent en bonne place dans les palmarès mondiaux des business schools ? Et, en conséquence, attirent à la fois de bons professeurs et des élites du monde entier ? La réponse tient en trois lettres : MBA, Master of Business Administration.
Les Américains, puis les Britanniques, ont popularisé ce diplôme dont le standard s’est mondialement répandu. Un MBA est un programme de formation au management suivi par des participants ayant cinq ans au moins d’expérience professionnelle. Si les participants sont plus chevronnés – au moins 35 ans et des responsabilités de direction –, il s’agit d’un Executive MBA .
Pas de palmarès sans accréditation. Sur cette base, nos confrères anglo-saxons ( BusinessWeek, Forbes, The Wall Street Journal, Financial Times, The Economist ) publient des palmarès ( rankings ) des meilleurs MBA du monde, références pour les candidats, même si certaines écoles (Harvard, Wharton) les contestent. Et là, problème… Nos « grandes écoles » – standard typiquement français –, si bonnes soient-elles, ne peuvent figurer dans ces palmarès : elles ne sont pas des MBA, puisque leurs élèves n’ont aucune expérience, hormis quelques mois de stage.
A partir de 1995, HEC et l’Essec s’attaquent au problème de manière radicalement différente. Côté HEC, la chambre de commerce de Paris puis Bernard Ramanantsoa entament une manœuvre délicate consistant à débaptiser l’Isa (Institut supérieur des affaires), le MBA du groupe HEC, pour le nommer MBA HEC. L’affaire se heurte au lobby des anciens élèves, attachés à leur marque, et provoque de forts remous. Mais, à la hussarde, elle est entérinée en 1999.
De son côté, l’Essec entame des négociations avec l’AACSB, l’organisme américain qui accrédite les meilleures business schools . Coup de théâtre : en 1997, elle devient la première institution non américaine à décrocher le prestigieux label. HEC mettra quatre ans à combler ce retard. D’après les auteurs des Secrets de la guerre économique , c’est ce qui mènera HEC à monter l’opération contre l’Essec. Car, forte de cette accréditation, l’Essec décide – à la hussarde aussi – de se baptiser MBA en 1999. Même si cette appellation est usurpée, les élèves ne sont pas insensibles : le nombre de candidats qui, reçus aux deux écoles, décident d’aller plutôt à l’Essec se monte à 12 en 1999 et à 14 en 2000, alors que, traditionnellement, ils se comptaient sur les doigts de la main ( lire encadré ci-contre ). Pour HEC, c’est un affront. Tout au moins en France.
Communication contre pédagogie. Car à l’étranger, dans une stratégie intense de com’, HEC met le paquet pour faire entrer son « vrai » MBA (celui hérité de l’Isa) dans les palmarès tant convoités. Bernard Ramanantsoa va à New York rencontrer les journalistes spécialisés. A Paris, il confie l’image de HEC à Anne Méaux, qui a en portefeuille, via son agence Image 7, les plus beaux budgets de communication corporate de la place (Pinault, EDF, Veolia…). Le tout ponctué par une campagne de publicité massive.
L’Essec, de son côté, travaille sa pédagogie. Elle réforme la totalité de son cursus afin d’imposer à tous ses élèves entre un an et demi et deux ans d’expérience professionnelle en plus des études, et elle renforce les admissions parallèles de diplômés bac + 5 ayant déjà 23 ou 24 ans. Pour les aider à trouver un job à la hauteur de leurs ambitions, elle crée un assessment center à l’américaine, doté de sept permanents, qui développe un tissu serré de relations avec les recruteurs. D’autant que l’école a instauré la possibilité de faire son cursus en alternance sous le statut d’apprenti.
Au-delà de la norme américaine. Aujourd’hui, la situation est inextricable. L’Essec s’auto-proclame « MBA d’un genre nouveau, avec des diplômés de 24 ans dotés de deux ans d’expérience » , excipant de MBA américains où la moyenne d’âge a baissé : on admet désormais en MBA, au MIT, à l’UCLA, à Chicago ou à Cornell, des jeunes de 22-24 ans. Et l’école répond aux critiques en martelant qu’ « il n’y a pas de raisons de s’inféoder à la norme américaine » . Le missile est ciblé.
Car, à HEC, Bernard Ramanantsoa a fondé sa stratégie sur un constat : « Ce sont les classements anglo-saxons qui font la loi. Nous devons être dans la norme pour y figurer. » Faut-il en déduire que les rankings vont arbitrer ce duel ? Si c’est le cas, HEC a nettement gagné la première manche, fort bien classée dans plusieurs palmarès prestigieux, avec même une quatrième place mondiale dans la dernière livraison du Wall Street Journal (catégorie Ecoles internationales). Mais l’affaire n’est pas si simple. D’abord, cet automne, l’Essec a fait son entrée dans le palmarès de The Economist . Preuve que les normes ne sont pas intangibles. Ensuite, elle figure depuis trois ans dans le palmarès des Executive MBA , une catégorie qui a le vent en poupe, dans laquelle HEC ne figure pas encore.
Surtout, au-delà des classements, les vrais juges de paix, ce sont les recruteurs. Et là, puisque ce n’est pas le cursus « grande école » qui est classé dans les palmarès mais son MBA, comment le groupe HEC gérera-t-il cette dualité à l’avenir ? Les bons professeurs, les bons candidats et les recruteurs sensibles à la norme MBA préféreront-ils le MBA à l’école ? Les « simples » HEC devront-ils s’adjoindre le MBA pour être en cohérence avec l’image internationale ?
Pour l’Essec, le problème est presque identique : les recruteurs familiers avec le standard MBA (27-30 ans) n’appliqueront pas les mêmes grilles de rémunération aux 24-25 ans. Or ces grilles entrent dans l’établissement des classements.
Cependant, nos duellistes ont de quoi se consoler : les deux grandes écoles sont considérées comme excellentes à l’étranger, puisque tant HEC que l’Essec échangent avec succès leurs élèves avec les universités anglo-saxonnes affichant les plus prestigieux… MBA.
Les lauriers de la gloire
AACSB Label américain, le plus prestigieux. Ecoles françaises accréditées : Audencia Nantes, Edhec Lille-Nice, ESC Grenoble, ESC Toulouse, ESCP-EAP, Essec, HEC et Insead.
Equis Accréditation de l’EFMD de Bruxelles. Ecoles accréditées : ESC Bordeaux, Grenoble, Reims, Rouen et Toulouse, Edhec, EM Lyon, Audencia, ESCP-EAP, Essec, HEC, IAE Aix-en-Provence.
AMBA (Association of MBA) Accréditation britannique concernant uniquement les MBA. Programmes accrédités : Edhec, EM Lyon, ENPC (Ponts et chaussées), ESC Grenoble et Toulouse, ESCP-EAP, HEC, IAE Aix-en-Provence, IEP Paris et Insead.
Patrick Fauconnier
Quelle école choisissent les « multi-admis »
La répartition des élèves dans les écoles de tête fait par le jeu des démissions. Beaucoup d’élèves, à ce niveau, sont admis dans trois ou quatre écoles. De tout temps, ils choisissaient d’abord HEC, puis l’Essec, puis l’ex-ESCP, puis Lyon et l’Edhec, quasiment sans exception.
Depuis le coup de tonnerre de l’Essec et la fusion originale ESCP-EAP, observant que les postes offerts à la sortie de ces écoles sont similaires, les candidats se sont mis à déroger. HEC conserve une prééminence écrasante, mais le nombre de ceux qui ont préféré aller à l’Essec a été de 9 en 1997, 8 en 1998, 12 en 1999, 14 en 2000. Il redescend à 3 en 2001 et 2002, puis passe à 6 en 2003 et à 11 en 2004.
De son côté, l’Essec a perdu 36 élèves partis à l’ESCP-EAP en 2003 et 26 en 2004. Et surtout, 288 de ses admis en 2004, également reçus à l’école de Jouy-en-Josas, ont finalement opté pour… HEC.