La diaspora africaine, l’autre acteur du développement
Dans certains pays, les transferts de fonds des migrants dépassent de loin le montant de l’Aide publique au développement (APD) et le volume des Investissements directs étrangers (IDE). Mais au-delà de l’apport financier, la diaspora africaine recèle de ressources humaines de qualité utiles au développement du continent.
Toutes les études sur le sujet convergent : organisée et soutenue, la diaspora peut jouer un rôle décisif dans le développement des pays, particulièrement ceux du Sud. « Aux bailleurs traditionnels, pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), s’ajoutent aujourd’hui les bailleurs émergents comme l’Inde, le Brésil ou la Chine. Les migrants sont aussi des acteurs qui figurent au premier rang des forces motrices du développement. Ils l’ont toujours été. Ils le sont de plus en plus. Les transferts de fonds des migrants sont aujourd’hui supérieurs à l’aide publique au développement ou à l’investissement direct étranger dans le monde », explique Xavier Musca, directeur général français du Trésor et de la politique économique lors de la présentation, le 28 janvier dernier de l’étude conjointe de la Banque africaine de développement (BAD) et du ministère français de l’Economie et des finances sur « Les transferts des fonds des migrants, un enjeu de développement ».
L’étude qui a porté sur 2000 ménages dans quatre pays africains (Maroc, Mali, Comores et Sénégal) fait ressortir l’impact économique, social et financier des transferts de fonds effectués par les migrants dans leur pays d’origine. En 2005, les fonds envoyés de la France vers le Maroc ont atteint 4074 millions d’euros, soit 9% du Produit intérieur brut (PIB) du pays et 750% de l’aide publique au développement (APD), tandis que le Sénégal a été destinataire de 1254 millions d’euros, soit 19% du PIB (1 euro = 655,55 F CFA). La même année, le Mali a reçu 456 millions d’euros, soit 11% du PIB et 80% de l’APD, et les Comores 72 millions d’euros, soit 24% du PIB. Les ménages bénéficiaires de ces fonds reçoivent en moyenne et par an, 495 euros au Maroc, 855 euros au Mali, 515 euros aux Comores et 585 euros au Sénégal. Des sommes qui permettent à ces ménages d’avoir un niveau de revenus supérieur à la moyenne nationale.
En décembre 2007, une étude plus large menée par la Banque mondiale (BM) évaluait à 240 milliards de dollars le montant des transferts d’argents des migrants dans le monde, contre 221 milliards de dollars en 2006 et la tendance est toujours à la hausse. Ce montant, faut-il le souligner, ne prend pas en compte les transferts informels, estimés au moins égal à la moitié du volume officiellement comptabilisé.
Toutefois, relève la Banque mondiale, contrairement à l’aide internationale qui est prévisible et budgétisée, les fonds des migrants se caractérisent par leur imprévisibilité aussi bien sur le volume que la régularité des transferts. Ainsi, entre 1980 et 1999, le volume des transferts d’argent vers l’Egypte a varié de 17% en moyenne d’une année à l’autre, de 50% vers le Cameroun, le Cap-Vert, le Niger, le Togo, et plus de 100% vers le Lesotho, le Ghana et le Nigeria. Ces fortes variations perturbent non seulement les économies des pays bénéficiaires, mais peuvent plonger de nombreuses familles dans une extrême précarité. D’où la nécessité pour les gouvernements africains de prendre des mesures facilitant les transferts d’argents à moindre coût de leurs expatriés et de mieux canaliser rationnellement ces flux financiers.
« Le rôle de la diaspora devient de plus en plus prépondérant au regard de l’importance et de la stabilité de ses transferts de fonds. Il s’agit maintenant de l’engager dans le développement de nos pays en levant les contraintes freinant le transfert des fonds », estime Donald Kaberuka, le président de la BAD.
Selon la Banque mondiale, si les frais de transaction étaient réduits de 5%, les fonds envoyés dans les pays du Sud augmenteraient de 3,5 milliards de dollars par an. Les sociétés de transferts d’argent comme Western Union et Moneygram qui ont flairé la bonne affaire se sont positionnées sur le marché et proposent des services adaptés aux besoins des immigrés avec un coût relativement élevé, entre 12 et 20% des sommes transférés.
Parmi les quatre pays concernés par l’étude de la BAD et le ministère français de l’Economie et des finances, seul le Maroc dispose d’un système bancaire adapté à la captation des fonds des migrants : 41% des fonds passent ainsi par les réseaux de banques populaires contre seulement 36% au Sénégal et 16% au Mali et aux Comores. Depuis quelques années, le Mali et le Sénégal ont toutefois mis sur pied une politique de captation des flux financiers de leur diaspora. A Paris, trois banques, la Banque de l’Habitat du Sénégal, la Banque de l’Habitat du Mali et la Banques des Ivoiriens de France proposent des services à des taux préférentiels à leurs ressortissants souhaitant faire des opérations de transfert d’argent. Résultats : ces institutions bancaires effectueraient environ 400 transferts de fonds par jour.
Au delà de l’apport financier, la diaspora africaine recèle de ressources humaines de qualité, de compétences techniques et intellectuelles que le continent pourrait faire appel pour relever les défis de la lutte contre la dégradation de l’environnement, le VIH/Sida et pour la sécurité alimentaire. Au moment où les pays occidentaux sont obsédés par le risque d’une invasion migratoire qui déferlerait du Sud, que les promesses d’aides financières du G-8 ne sont pas respectées, il est peut-être temps de porter un autre regard sur les expatriés, trop souvent stigmatisés, au mieux comme de lâches déserteurs, au pire comme des traîtres à leur pays d’origine. Et si l’on cessait de dénoncer, comme on le fait depuis des années sans résultat, « la fuite des cerveaux et le pillage des compétences » pour, conformément à la résolution de l’Union africaine, considérer la diaspora comme la sixième région du continent ? L’heure est à la diaspora positive
La percée de la Chine en Afrique ces dix dernières années repose en partie sur les diverses formes de soutien qu’elle apporte à ses ressortissants. « Notre gouvernement nous aide par tous les moyens. Des informations, des conseils juridiques, des prêts sans intérêts », confie aux auteurs du livre « la Chinafrique » (1) un chef d’entreprise chinois installé à Lagos, au Nigeria. Pour faciliter leur déplacement, les Vietnamiens expatriés, potentiels investisseurs ou chercheurs vivant au Japon, en Australie ou en Europe sont depuis 2007, dispensés de visa pour se rendre dans leur pays d’origine. Sur le continent, c’est au Mali que la diaspora est sans doute la mieux considérée en tant qu’acteur de développement du pays. En 1998, le projet Tokten (Transfer of Knowledge Through Expatriate Nationals) lancé par le gouvernement visant à faire bénéficier l’enseignement supérieur et la recherche de l’expertise des Maliens expatriés est un succès. Chaque année, des professeurs et chercheurs Maliens de l’étranger séjournent dans leur pays, dispensent des cours à l’université et encadrent des étudiants inscrits en troisième cycle.
Comparé au Mali et au Sénégal, le Burkina accuse un retard dans l’organisation de sa diaspora. Créé en 1993, le Conseil supérieur des Burkinabè de l’étranger (CSBE) est resté plongé pendant des années dans une profonde léthargie et n’a été réveillé qu’en 2003 à la faveur de l’opération Bayiri. La troisième assemblée générale du CSBE qui s’est tenue fin janvier dernier à Ouagadougou et à laquelle ont participé 87 délégués marque t-elle le début d’une réelle volonté politique d’associer la diaspora au développement du Burkina ? Au cours de ces assises, les délégués ont sur la nécessité, entre autres, de renforcer le CSBE par la création d’un Secrétariat d’Etat pour les Burkinabè de l’étranger, le lancement d’une étude sur la diaspora en vue d’asseoir une politique nationale migratoire, l’élargissement du droit de vote des Burkinabè de l’étranger, l’amélioration des systèmes bancaires pour faciliter les transferts de fonds et l’octroi de crédits, ainsi que la possibilité d’ouverture aux souscriptions aux bons de trésor. La balle est maintenant dans le camp du gouvernement.
Joachim Vokouma, Lefaso.net
mardi 8 juillet 2008.
(1) La Chinafrique ; Serge Michel et Michel Beuret, éd Grasset, 2008 ; 19,50 euros