Les amours tourmentés de couples franco-africains
Par Emmanuel De Solère Stintzy
(Syfia France) Pour un Africain ou une Africaine, épouser une Française ou un Français n’a rien d’une formalité et ne met pas à l’abri des problèmes. Refus du consulat de transcrire le mariage ou de délivrer le visa, interminable attente à la Préfecture pour renouveler le titre de séjour, suspicion du maire, enquête de police… Rencontre avec des couples mixtes qui se sentent traqués.
Jointe par téléphone au Cameroun, Marie* répond aux questions d’une voix faible, presque éteinte : "J’ai beaucoup maigri. Je déprime. Mon chéri me manque." L’été dernier, cette Camerounaise, qui vivait sans-papiers dans l’est de la France depuis plusieurs mois, voit débarquer des policiers au domicile de celui qui devait prochainement devenir son mari : "Ils ont écrit dans leur rapport que je ne vivais pas dans cet appartement, que je voulais l’argent et la nationalité de Jacques. Nous ne pourrions donc pas faire notre vie en paix, uniquement parce qu’il est plus âgé que moi (près de 30 ans d’écart, Ndlr)" Après dix jours terribles en centre de rétention, Marie est expulsée au Cameroun où elle vit depuis en famille : "Je n’ai pas osé tout leur raconter. Quand tu rejoins un Européen en Europe, la famille est convaincue que sa vie va s’améliorer…"
Rencontré dans le sud de la France, Didier a lui reçu, un mois après son mariage avec Amandine, une Française, la redoutée OQTF (Obligation de quitter le territoire français). Depuis deux ans, ce Gabonais se dit dans une impasse. "Je ne peux ni rentrer, ni rester. Au Gabon, ma mère a déjà 12 enfants à charge. En France, je n’ai plus de papiers et donc pas de travail ni d’aides sociales." Le jeune homme au look branché marque une pause, puis reprend : "En venant étudier ici, je me voyais comptable. A présent, il m’arrive de m’imaginer délinquant".
Une vie gâchée en cinq minutes
Des témoignages comme ceux-là, le collectif national des Amoureux au ban public affirme en avoir reçu près de 3 000 depuis sa création en juin 2007. Le renforcement de la lutte contre les faux mariages ("mariages blancs") et l’immigration illégale est passé par là (voir encadré). "Nous sommes saturés. Les conjoints français réalisent à leur tour que la législation actuelle réprime sans distinction étrangers et Français. Cela va à l’encontre d’une idée reçue qui veut qu’une fois marié(é) à un(e) Français(e) vous n’avez plus de problèmes", analyse Nicolas Ferran, un des initiateurs de ce mouvement né de "l’envie de couples mixtes de s’engager dans une démarche collective et politique".
"Comment peut-on gâcher la vie des gens en cinq minutes ?", s’interroge par exemple Gabriella, les larmes aux yeux. Il y a 3 ans, cette Française s’est mariée au Maroc avec Mustapha. "Notre vie a basculé après un entretien au Consulat de France à Fez. Dans son rapport, l’agent de l’état civil a affirmé m’avoir posé des questions qu’elle ne m’a jamais posées. Elle a aussi mentionné que nous n’avions échangé aucun signe affectueux… Notre demande de transcription n’a donc pas abouti, car il y avait suspicion de mariage blanc." Aujourd’hui, Mustapha est bloqué au Maroc. Gabriella l’y rejoint quelques jours tous les deux ou trois mois.
Mariés depuis 3 ans eux aussi, Gaston et Fabienne sont eux réunis en France. Ils ne se sentent pas pour autant à l’abri des tourments administratifs. "Nous ne parvenons pas à obtenir la carte de résident de 10 ans. Un responsable de la Préfecture nous a dit en février que ses services traitaient en ce moment les dossiers déposés en… octobre ! Nous avons l’impression de recommencer toutes les démarches à zéro. Mon épouse est pourtant ici depuis 9 ans !", commence Monsieur. "J’ai obtenu des diplômes en France, mais avec ma carte d’un an renouvelable, les patrons ne m’embauchent que pour des remplacements", poursuit Madame, de nationalité camerounaise.
S’aimer ailleurs qu’en France
Certains couples, après avoir vécu leur lot d’émotions, semblent pour le moment tirés d’affaire. Soumaila et Camille, mari et femme depuis 2006, sont de ceux-là. "Nous avons construit notre nid sur la braise. Les Africains qui veulent venir ou rester en Europe en clandestins doivent savoir que même mariés à une Française et avec un enfant, ils risquent d’être expulsés !", prévient toutefois le jeune Malien. L’automne dernier, Soumaila a pour la première fois emmené Camille à la découverte de son pays et de sa famille. Des photos et un petit film témoignent d’une fête improvisée et d’une sérénité retrouvée.
Fin septembre, Mariam, jeune maman angoissée, fumait cigarette sur cigarette. À ce moment-là, Noé, son bébé, n’avait que quelques jours. Il ne connaissait pas encore Christian, son papa, expulsé au Bénin cinq mois auparavant. Un peu avant Noël, la famille recomposée (Mariam avait eu un premier enfant d’un autre homme) est à nouveau réunie. "Je sais que la situation ne change pas pour d’autres couples. Je ne suis pas réconciliée avec la France", nuance la Française d’origine sénégalaise, avant de conseiller aux autres couples franco-étrangers, "Ne lâchez pas, l’amour gagne toujours à la fin !"
Impressionné par la réussite professionnelle de certains de ses camarades de lycée qui sont restés en Afrique et ont aujourd’hui de belles villas et roulent en 4×4, Christian complète : "L’amour peut se vivre autre part qu’en France. Peut-être se vit-il même mieux ailleurs…"
*À la demande des couples interrogés, tous les prénoms cités ont été modifiés
Mariages mixtes : le vrai et le faux
(Syfia France) Le mariage avec un Français ou une Française est aujourd’hui la première source d’immigration légale en France. Des dérives existent : mariages via des réseaux crapuleux, unions militantes entre amis, mariages de dupes où le conjoint français est abandonné une fois le titre de séjour obtenu…. Il y a un an, Yannick Blanc, ancien directeur de la police générale de la Préfecture de police de Paris, donnait dans l’hebdomadaire Le Nouvel Observateur un ordre d’idées : "En matière d’étrangers, l’obtention de papiers par voie de mariage de complaisance est très rare. Environ 300 par an, à Paris, contre 120 000 titres de séjour délivrés."
Officiellement, c’est pourtant pour débusquer ces faux mariages, communément appelés "mariages blancs", qu’en 2003 est adoptée une loi sur la maîtrise de l’immigration. En 2006, les contrôles sur les mariages mixtes se durcissent. Depuis trois ans, les maires peuvent refuser de célébrer un mariage qu’ils jugent suspect et saisir le procureur de la République. Les faux époux risquent cinq ans de prison et 15 000 € d’amende. Si, dans les quatre ans qui suivent le mariage, les époux se séparent, le conjoint se voit retirer sa carte de séjour et devient expulsable. En vertu de la loi Hortefeux de 2007, les nouveaux conjoints de Français doivent dorénavant passer notamment des tests de langue.
Sous l’effet de ces différentes lois, le nombre de mariages mixtes en France a diminué de près du quart, passant de 47 579 en 2003 à 36 659 en 2007. À l’étranger, le nombre de transcriptions de mariages de ressortissants français, après avoir pratiquement doublé entre 1995 et 2007, a baissé de près de 5 % entre 2006 et 2007 (50 350 à 47 869).
Depuis sa nomination le 15 janvier dernier, Éric Besson, le nouveau ministre de l’Immigration entend "professionnaliser l’immigration familiale". Aujourd’hui, moins de 10 % des cartes de séjour sont délivrées au titre de l’emploi. En parallèle, il "travaille sur l’objectif" de 26 000 reconduites aux frontières de sans-papiers en 2009, le même chiffre que celui qui était prévu et a été dépassé en 2008 par son prédécesseur.
Source: http://www.syfia.info
20/02/09