IMMIGRATION AU CANADA

Un couple français outré par le refus d’Immigration Canada
Le dimanche 12 décembre 2004
Caroline Touzin

La Presse

Un couple français remplissant tous les critères d’Immigration Canada et ayant même reçu son certificat de sélection du Québec risque de ne pas pouvoir venir vivre au pays, à moins de laisser derrière lui son fils de 3 ans, atteint de trisomie-21. Merlin Bernard n’a qu’une déficience légère qui lui permettra de fréquenter une école ordinaire. Pourtant, Immigration Canada le considère comme un « fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé ».

Sophie Bolo-Bernard, 28 ans, et son conjoint, Cédric Bernard, 34 ans, rêvaient d’aller vivre à l’étranger dans un pays « francophone où il fait froid ». Leur choix s’est arrêté sur le Québec. Ainsi, en 2000, ils ont commencé leurs démarches auprès de l’ambassade canadienne à Paris pour obtenir deux visas de résidents permanents.

Merlin a vu le jour le 30 novembre 2001 alors que le couple venait de recevoir son certificat de sélection du Québec. Sophie, inquiète de ne plus pouvoir réaliser son rêve à cause de la déficience de son fils, a donc appelé l’ambassade, qui lui a répondu que les gens atteints de trisomie-21 n’étaient pas systématiquement refusés. Chaque dossier est évalué en fonction d’une grille nationale produite par Santé Canada, comme pour toute personne voulant immigrer au pays.

Lorsque le médecin de l’ambassade a vu Merlin la première fois, il n’a pas noté la déficience du bambin. « J’ai été obligé de le lui dire à la fin de la visite », raconte sa mère.

Le 20 novembre 2003, elle reçoit une lettre de l’ambassade. « Cet enfant âgé de 23 mois présente un retard d’apprentissage léger, surtout dans l’acquisition du langage et de la marche. Il aura besoin selon les médecins qui le suivent d’éducation spécialisée et vraisemblablement d’orthophonie », peut-on y lire.

La famille Bolo-Bernard ne pourra donc pas déménager au Canada en vertu de l’article 38 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Merlin est considéré comme un « fardeau excessif », car les sommes que devront dépenser les services sociaux et les services de santé canadiens pour le soigner dépasseront d’au moins cinq fois la moyenne par habitant au Canada, estimée à 2629 $ pour 2004-2005.

La famille a décidé de contester l’avis médical de l’ambassade, comme le permet la loi, avec l’aide d’un avocat montréalais. Après maintes démarches juridiques, elle a réussi à faire retirer l’évaluation médicale du dossier. À l’heure actuelle, elle doit fournir un nouveau rapport, cette fois-ci d’un médecin spécialiste. Mais le couple croit peu en ses chances de faire renverser la décision.

La Société québécoise de la trisomie-21 et la critique du Bloc québécois en matière d’immigration, Meili Faille, condamnent cet avis, qu’elles assimilent à une politique d’exclusion et de discrimination.

Pour Sylvain Fortin, directeur général de la Société québécoise de la trisomie-21, le Canada tient un double discours. D’un côté, la Charte des droits et libertés reconnaît les personnes vivant avec une limitation fonctionnelle comme des membres à part entière de notre société et, de l’autre, Immigration Canada les considère comme un fardeau excessif, dénonce-t-il.

Au Québec, les enfants trisomiques sont souvent intégrés dans les réseaux des services de garde et scolaire ordinaires. Le fédéral devrait prendre cela en considération, ajoute Meili Faille. Selon elle, que le Québec se prive de deux professionnels (Sophie est webmestre et Cédric est assistant-réalisateur) en raison de la déficience de Merlin est vraiment désolant.

Le porte-parole d’Immigration Canada, Robert Gervais, sans commenter ce cas précis, affirme que la loi est ainsi faite pour « protéger le système de santé canadien ». Les personnes atteintes de trisomie-21 ne sont pas systématiquement refusées, informe-t-il.

Sophie Bolo-Bernard, jointe au téléphone à Saint-Cloud, en banlieue de Paris, se dit épuisée par toutes les démarches entreprises depuis environ quatre ans. Durant cette période, elle a eu un autre enfant en pleine santé. Le couple, qui a déjà dépensé quelque 8000 $ en frais bureaucratiques et d’avocat, se donne jusqu’en janvier pour décider s’il continue à se battre ou s’il abandonne son rêve.

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