Grossesses non désirées en milieu jeunes : Sous-information, inconscience et insoucia

Grossesses non désirées en milieu jeunes : Sous-information, inconscience et insouciance

Elles sont mères sans être mariées. Certains ont fini par leur trouver une appellation : FM (filles-mères). Malgré les campagnes de sensibilisation à l’utilisation du préservatif pour se protéger contre le Sida, les maladies sexuellement transmissibles et, partant, pour éviter les grossesses précoces et, non désirées, des adolescentes et des jeunes filles continuent de faire des enfants sans l’avoir voulu. On estime à 87 millions le nombre de grossesses non désirées dans le monde.

A l’échelle nationale, on n’a pas besoin de statistiques pour reconnaître l’importance du phénomène aussi bien en milieu urbain que rural. Bobo-Dioulasso fait partie de ces villes où la problématique est cruciale, car beaucoup de jeunes filles comme partout ailleurs au Burkina Faso, y manquent d’informations justes et vivent dans des situations précaires qui les exposent à la merci des hommes. A cela s’ajoutent l’inconscience et l’insouciance dans les comportements sexuels. Des jeunes s’expriment dans la ville de Sya avec des témoignages sur des cas certes isolés mais qui constituent une photographie de la situation réelle.

Assita Traoré, nommons-la ainsi, 23 ans. Célibataire et déjà mère de deux enfants : Kader et Aïda. Le premier, né en 2003, lorsque sa mère avait 18 ans, est le fruit d’une aventure amoureuse. Avec la crise en Côte d’Ivoire, beaucoup de Burkinabè de la diaspora ivoirienne sont rentrés au pays pour investir.

Aziz fait partie de ces jeunes qui ont fait fortune au bord de la lagune Ebrié et qui ont décidé de délocaliser leurs affaires au Faso. Cela l’amène à faire des va-et-vient entre Abidjan-Ouagadougou et Bobo-Dioulasso où réside sa famille biologique. Lors de ses séjours à Sya, il fait la connaissance d’Assita.

Commence alors une relation amoureuse ( ?) qui aboutit à une grossesse dont Aziz refuse, dans un premier temps, d’assumer la paternité parce qu’il n’était pas le seul partenaire sexuel d’Assita.

"En fait, j’avais un autre copain sur place à Bobo que mon "Ivoirien" a découvert. Mais la grossesse est de lui", affirme Assita avec un air de certitude. Néanmoins, a-t-elle raconté, le jeune de la diaspora a finalement reconnu le petit Kader, mais a fuit ses responsabilités.

"Depuis, il ne m’appelle plus et ne s’occupe pas de l’enfant". Et la vie est devenue désormais un calvaire pour Assita, qui n’a pas de boulot et vit dans une famille modeste.

"Mes rapports avec mon père sont devenus tumultueux puisqu’au niveau de la mosquée du quartier, il était mal vu surtout que je n’étais pas la seule fille de la famille à tomber enceinte. Du coup, ma mère en a pâti parce qu’il l’accusait de ne pas bien surveiller ses enfants. Mon autre copain aussi m’a abandonnée".

Pour ne rien arranger, cinq ans plus tard, la jeune fille pique une nouvelle grossesse avec un "faux type" selon ses propres termes, un fonctionnaire résidant dans un département du Houet qui lui avait promis le mariage :

"J’ai pensé qu’en faisant un enfant avec lui, il allait m’épouser, surtout qu’il avait l’air de quelqu’un de sérieux. Il s’occupait bien de moi, respectait ma famille et amenait même Kader chez lui pour quelques jours.

C’est après ma grossesse qu’il m’a dit qu’il était marié, qu’il y avait en fait une bagarre entre lui et sa femme, qui est institutrice vers Ouahigouya et qu’il y a eu réconciliation. J’était très choquée. J’ai dû quitter la famille pour vivre avec une tante dont le mari était un fonctionnaire international".

Deux rejetons dans deux relations qui se sont soldées par la déception. Des histoires du genre sont légion à Bobo-Dioulasso. A l’instar d’Assita, de nombreuses jeunes filles continuent de faire des enfants hors mariage avec parfois des pères différents.

Pourtant, avec la lutte contre le VIH/Sida, qui a provoqué la prolifération des associations diffusant des messages de sensibilisation à la fidélité, à l’abstinence ou au port du préservatif, le phénomène des grossesses non désirées devrait se réduire considérablement. Pourquoi une telle situation ?

"En réalité, la capote n’est pas utilisée pendant longtemps. A un moment donné, la confiance s’installe dans la relation, et on fait des rapports non protégés. Moi, je suis marié, j’entretiens une relation avec une fille depuis trois ans.

Nous avons tous les deux fait le test du VIH qui s’est révélé négatif. Depuis, nous faisions des rapports non protégés jusqu’au jour où je me suis rendu compte qu’elle sortait avec deux autres, un étudiant et un fonctionnaire.

Quand j’ai voulu m’en plaindre, elle a répliqué qu’elle voulait se donner des chances d’avoir un foyer. Je lui donne raison. Mais j’ai regretté mes rapports non protégés, puisqu’il est possible qu’avec mes rivaux, elle ait adopté le même comportement sexuel avec tous les risques que cela comporte", raconte un jeune cadre de banque.

Faire un enfant avec un homme, un passeport pour le foyer ?

Karim Sanou soutient qu’il est très difficile d’entretenir longtemps une relation sans succomber à la tentation de s’adonner au plaisir sexuel sans protection. Mais, pour lui, le phénomène des grossesses non désirées à Bobo est lié à la naïveté des filles et à leur faible niveau d’information sur les méthodes contraceptives :

"Beaucoup de nos sœurs, a-t-il dit, pensent que faire un enfant avec un homme est un passeport pour le foyer. En plus, en dehors du préservatif, qui est d’ailleurs mal utilisé par beaucoup de gens, elles ignorent les méthodes contraceptives".

Une assertion confirmée par les réponses données par des adolescentes que nous avons interrogées sur les moyens contraceptifs : la plupart d’entre elles ne connaissent que les pilules du lendemain et la capote. "Tard souvent la nuit, les jeunes filles défilent dans les pharmacies de garde pour se procurer la pilule du lendemain parce qu’elles ont fait un rapport non protégé", constate Ahmed dont le "grin" de thé est situé à côté de la pharmacie Sarfalao.

"C’est cette pilule du lendemain qui fait que nos sœurs n’ont plus peur de faire des rapports non protégés parce qu’elles ont une solution immédiate à leur problème", déplore Yassia. "Elles n’ont que ça dans leur bouche lorsqu’elles se retrouvent pour causer", ajoute Fabrice.

Les autres méthodes contraceptives, elles en ont entendu parler vaguement sans avoir d’informations précises là-dessus. Pourtant, il existe un centre d’écoute sur la santé de la reproduction de l’Association burkinabè pour le bien-être familial (ABBEF). "Je ne suis pas au courant de l’existence d’une telle structure, même si j’en étais informée, je n’irais pas là-bas parce que quand les gens vont te voir, ils vont penser que tu es enceinte".

Annick fréquente le Centre de l’ABBEF avec ses copines. Mais elle soutient que face à la pression des hommes qui les draguent, certaines oublient les conseils qu’on leur donne pour commettre des bêtises.

"Il faut que la sensibilisation soit beaucoup axée sur les jeunes qui ont un faible niveau scolaire. Je suis sûre que la plupart des filles que vous avez interrogées ne sont pas allées loin à l’école. Moi, je suis étudiante, je suis informée de toutes les méthodes contraceptives. Je ne vois pas comment je pourrais tomber enceinte.

Je constate aussi que les filles qui sont victimes de grossesses sont issues de familles pauvres. Certaines d’entre elles ne peuvent même pas se payer des dessous. Si les parents se cherchent, comment voulez-vous que les enfants ne soient pas des proies faciles pour les hommes ?

Même à l’université, des étudiantes ont plusieurs mecs à cause des problèmes de survie, mais, avec l’information, elles prennent leurs précautions", raconte une étudiante en secrétariat-bureautique.

"C’est vrai que la pauvreté y est pour quelque chose. Mais il faut reconnaître que les parents ont démissionné. Beaucoup n’éduquent plus leurs enfants selon le Coran et les Hadiths", soutient El hadj Hamidou Kabré qui cite les versets coraniques qui condamnent la fornication et l’adultère. De l’avis de Harouna Dicko, la réalité sociale fait que les préceptes religieux sont difficiles à respecter.

Il raconte qu’un de ses parents déflatés d’une société s’est retrouvé dans la misère alors qu’il a une famille nombreuse dont huit filles. Bien qu’il ait effectué le pèlerinage à la Mecque et soit un musulman pratiquant, il n’a aucune emprise sur sa descendance.

"Aujourd’hui, certaines de ses filles sont devenues presque des prostituées avec la mauvaise compagnie et les mauvais conseils. Conséquence : elles ont à leur actif plusieurs avortements. En tout cas, c’est ce que j’ai entendu dans le quartier et auprès d’amis officiant dans la santé".

Pour M. Dicko, l’alcool joue aussi un mauvais rôle dans le comportement sexuel. Et de citer sa propre expérience : "Un soir, après m’être bourré de bière dans un maquis, j’ai couché avec une fille qui était aussi saoule, sans préservatif. C’est au réveil que je me suis rendu compte de la catastrophe. Mais chose plus ahurissante, ma compagne d’un soir était sereine et m’a dit qu’aucun de nous ne ressemble à un séropositif.

C’est dire que il y a des gens qui font des rapports protégés seulement à cause du VIH/Sida et croient que le séropositif, c’est celui qui est maigre. Il n’est donc pas étonnant qu’on assiste au phénomène de filles-mères et à l’avortement clandestin".

"La recherche du gain facile est la principale explication des grossesses non désirées. Ici, à Bobo, les jeunes filles n’aiment que les hommes qui ont l’argent. Je les vois défiler dans nos chambres avec des "vieux pères" et des gens qui viennent en mission.

Et la boulimie fait qu’elles ont de nombreux partenaires. Tôt ou tard, elles tombent enceintes. Nous autres qui n’avons pas le fric, nous ne pouvons même pas adresser la parole à certaines demoiselles", affirme un employé d’hôtel de la place.

La solution à ce phénomène est simple selon Adama Sawadogo, enseignant de son état : "Il faut introduire très tôt les questions de santé de la reproduction dans les écoles, puisque, dès les premières règles, les filles commencent à coucher avec les garçons.

Il faut également vulgariser les moyens contractifs et sensibiliser aussi les hommes à leur utilisation". A l’évidence, la sous-information, l’insouciance et l’inconscience, ajoutées à la pauvreté, constituent le cocktail qui favorise les grossesses non désirées en milieu jeunes.

Cette frange de la population doit être sensibilisée à l’utilisation des méthodes contraceptives afin de briser les préjugés et d’éviter les grossesses non désirées, qui entraînent des avortements clandestins.

Adama Ouédraogo dit Damiss

L’Observateur Paalga
24/03/09

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